Scootavia : un si beau rêve

Le rêve éternel d’une auto à deux roues est une des nombreuses constantes de l’histoire : la voiture étant inaccessible après guerre, il fallait en donner l’illusion, et quelques « super-scooters » s’y essayèrent… avec maestria, sinon avec succès.

Vittorio Tessera dans son musée du scooter à Rodano près de Milan, a récupéré l'un des premiers, sinon le premier, Scootavia construit.

Passionné de technologie dés son plus jeune âge, André Morin, devenu ingénieur aéronautique, travaille dans le bureau d’études de Devoite Arado et Farman à Paris sur un projet d’hydravion capable de traverser l’Atlantique. La guerre terminée il dessine pour son compte un avion monoplace qu’il renonce à construire faute de moyens. Il se lance alors, en 1947, dans la construction de roues automobiles à jantes démontables en alliage léger (plus précisément, en Alpax un alliage de fonderie d’aluminium et de 13 % de silicium). De la roue au microcar il n’y a qu’un pas qu’il franchit en 1948… au niveau des études et de la publicité pour un fantasmagorique Aérocar, un trois roues à châssis en profilés d’Alpax habillés de feuilles de dural ou de plastique qui ne peut, hélas, voir le jour. Encore trop cher !

L'Aerocar étudié en 1948-49, cyclecar de 110 kg avec un Ydral 125 cm3 , promettait 50 km/h.

Puisque l’auto est trop chère, ce sera le scooter et cette fois le projet arrive à terme avec le Scootavia, « Scoot » comme scooter et « Avia » d’avion. Nez mis à part, les formes sont très inspirées par le Bernardet A48 présenté l’année précédente, à ceci près que le Scootavia conçu par André Morin est presque entièrement en alliage léger, à part justement ce gros nez fixe en tôle soudée. La plateforme de base en magnésium est assemblée au tablier avant du même métal par sept boulons de 8 mm. À l’arrière s’empilent, comme chez Bernardet, deux coques (ici en Alpax moins coûteux, mais moins résistant que le magnésium) articulées sur l’avant et surmontées d’un coussin biplace en caoutchouc alvéolé (encore un modernisme à l’époque). La coque supérieure fait office de réservoir d’essence et se soulève pour donner un accès rapide à la bougie. Si c’est plus grave qu’une perle ou pour une crevaison, il suffit de soulever la coque inférieure qui découvre toute la mécanique et la roue. Comme sur le Paul Vallée présenté la même année 1949, la suspension avant est télescopique dans la longue colonne de direction qui enferme le ressort. Un compas se charge de transmettre la direction… comme sur les trains d’atterrissage des avions… et le Gilera 195 CX de 1991 !

André Morin s’installe à Paris, rue Manin dans le 19e , où, assisté de deux ouvriers, il assemble les pièces commandées aux fonderies locales et à l’aluminium français et peint lui-même ses scooters au pistolet. L’entreprise démarre si bien qu’il finit par employer 17 personnes et annonce produire 10 Scootavia par mois. Il n’y en aura pourtant au total que 37 dans cette première série 1949-51 animée par un 125 cm3 Ydral. Curieux, les deux prospectus édités en 1949 et en 1950 sont identiques aux chiffres près ; le premier annonçant 55 kg, 75 km/h et 131000 F alors que sur le second le Scootavia est passé à 115 kg, et 95 km/h pour seulement 500 F de plus. Une affaire, non !

Ce n’est, hélas, pas assez pour passer à une vraie production en série. Des versions utilisant les 150 et 250 cm3 AMC ont bien été prévues et une publicité annonce même un Scootavia vendu en kit prêt à recevoir « tout moteur de 125 à 250 cm3 », mais cette vente à monter soi-même n’aura jamais lieu.

Vittorio Tessera nous montre l'assemblage des deux coques en Alpax. L'échappement passe dans la plate-forme inférieure en magnésium.
Le châssis et le tablier avant sont en magnésium et le moyeu de roue arrière à jante démontable peut se fixer à droite (AMC) ou à gauche (Ydral) en fonction du moteur choisi. (Doc. Frederic Tison)
Le châssis en magnésium et, à droite, la superbe fourche monobras en fonderie d'alliage léger des 1ere et 2e séries. Si vous connaissez le Gilera 125 CX de 1991, la ressemblance est frappante ! Documents Frédéric Tison
Le reste de la carrosserie est en Alpax et le nez en tôle d'acier.
André Morin en personne sur une des premières publicités pour le 175 AMC où la nouvelle coque ne possède pas encore ses ouïes d'aération du moteur. (doc Frédéric Tison)
Séance de pose où André Morin présente un prototype de la série 3 qui diffère notamment des modèles produits par ses suspensions. (doc. Frédéric Tison)

Autre projet avorté en 1951, un triporteur-taxi poussivement animé par le 125 Ydral et destiné à l’Indochine … en pleine guerre et certainement insensible à une construction aussi sophistiquée ! Mauvaise pioche, le projet capote et les finances ne s’améliorent pas. Ce projet de taxi indochinois séduit pourtant au moins un acheteur et André Morin reçoit une commande spéciale d’un propriétaire forestier pour, raconte le constructeur lui-même, « un véhicule à trois roues, deux places en tandem, dont l’une serait abritée pour emmener confortablement son épouse visiter l’exploitation forestière ».  Le châssis constitué de deux longerons en U se reprend sur la carcasse en Alpax de l’arrière du scooter. La porte « suicide », à droite, laisse un accès aisé à la cabine. Le système de direction est assez complexe et la colonne traverse le plancher de la cabine. « La direction est plutôt dure, et le manque de visibilité dû à la cabine en porte à faux important, ne met pas plus en confiance. Bref… la conduite relève un peu de l’aventure ! » avoue Claude Le Bihan qui a sauvé le prototype. Par rapport au taxi « indochinois », le pare-brise est en une seule pièce, et la partie arrière du tri est apparenté à la future série 3 de 1952 avec un 175 AMC qui arrive a emporter deux personnes malgré les 200 kg à vide, et quelques 3,00 m de longueur. En fait, le véhicule ne répondra jamais aux attentes de son client, et ne s’avérera pas très pratique dans les futaies avec ses 1,34 m de large…

Le projet de 125 Taxi-Pousse étudié en 1950-51 restera sans suite, mais André Morin réalisera plus tard un triporteur à moteur 175 AMC pour une commande spéciale. (Doc. F. Tison)
Le prototype de "tri-forestier" vers 1951. (photo Claude Le Bihan)

Fin 1951 est présenté le Scootavia 2e série qui passe au quatre temps avec l’excellent bloc 175 cm3 des Ateliers Mécaniques du Centre pourvu d’une turbine de refroidissement montée sur le volant magnétique.  Ouf ! Les 5,5 ch de l’Ydral avaient bien du mal à tirer les 115 kg finalement avoués par le Scootavia en alliages légers certes, mais de grande épaisseur ! Fort de 8,5 chevaux et bien assisté par sa boîte quatre rapports, l’AMC va mieux s’en tirer et friser les 90 km/h. Et ce n’est pas tout, ce Scootavia version 2 qui, avec 95 unités construites, va constituer l’essentiel de la production change autant esthétiquement que techniquement. La coque arrière plus effilée et d’une fonderie plus aisée (donc plus économique) est pourvue d’ouïes de refroidissement et n’a plus que deux grosses baguettes latérales au lieu de cinq petites. L’échappement ne passe plus dans le cadre. On y découvre aussi une suspension arrière monobras avec un ressort qu’on verra successivement placé au-dessus puis au-dessous du bras. Le grand luxe pour 225 000 F sans les options (montre, clignotants Labinal , roue de secours, pare-brise et même compteur !) alors qu’un Vespa au salon de Paris 1952 n’annonce que 85 kg et 134 000 F… dure concurrence ! A ce même salon le stand Scootavia indique « construction R. Petigat, licence André Morin » , mais il semble que la cession de la licence de fabrication à Mr Petigat n’ait pas abouti.  Fin 1952, Morin restyle une nouvelle fois son scooter. L’avant de cette 3e version est allégé avec un nez plus fin, un long parechoc et une échancrure permettant le braquage de la roue. Une plus grosse ouverture sur le côté de la coque arrière améliore la ventilation du moteur et la suspension avant abandonne son bras en alu pour un gros tube acier flanqué d’un ressort latéral.

Les ventes s’effondrent pourtant et cette troisième version ne semble avoir été produite qu’à 5 ou 6 exemplaires. Comme maints autres petits constructeurs, André Morin doit arrêter sa production en 1954. Il exercera ensuite ses talents d’ingénieur avec diverses sociétés jusqu’en 1982, où retraité, il reviendra à ses premières amours aéronautiques pour dessiner et commercialiser des plans d’ULM.

Environ 140 Scootavia ont été produits au total et le spécialiste passionné de la marque Frédéric Tison en recense aujourd’hui 18 plus un triporteur et une épave incomplète. (Pour un problème Scootavia, une seule adresse : Frédéric Tison – ftyson@free.fr (un i dans le nom, un y dans le mail)

La fiche technique et la description sont ICI

 

Ultime publicité pour le Scootavia série 3
Récemment restaurée, cette rarissime version de 1954 a un nez un plus fin dont la jupe est échancrée pour le braquage de la roue, et un parechoc plus long. Une large ouverture sur la coque aère le moteur et la fourche monobras a troqué l'alu pour un tube acier avec ressort latéral.
Très design années 50, le tableau de bord en alliage léger (ici sur la version 1954) comporte un compteur de vitesse et un logement symétrique pour une montre en option.
Un dessin un peu maladroit sur ces publicités de la série 3.
Les dessous d'un Scootavia V2 de 1952 montrent bien la suspension et la roue à jante démontable.

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3 commentaires sur “Scootavia : un si beau rêve

  1. motocine dit :

    Après guerre l’aluminium n’était pas cher. L’ingénieur GREGOIRE avait proposé un proto de petite voiture dont la caisse était en aluminium moulé aux grands constructeurs sans succès. Il a réalisé par contre la suspension et le bras oscillant sur la Monet Goyon Pulmann tout alu ! …

  2. Philippe ESCOFFIER dit :

    Une très belle étude d’ingénieur, mais malheureusement pas une production industrielle beaucoup plus tristement rationnelle.

  3. Une bien belle présentation d’André Morin et des différentes versions de cet étonnant Scootavia avec ou sans Ydral!
    Amitiés Catherine