C’est maintenant une tradition établie, une quarantaine de motos prestigieuses s’exposent dans le cadre du très célèbre concours d’élégance automobile de la Villa d’Este sur les bords du lac de Côme en Italie. Pour les motos c’est un peu plus loin, le long du lac, à la tout aussi majestueuse Villa Erba et le plateau se répartit cette année en six thèmes de l’avant 14 aux concepts du futur. En route pour une présentation des grands vainqueurs primés par le jury où j’ai l’honneur de représenter la France.
La grande gagnante, élue à l’unanimité, est la 350 Major. Une véritable œuvre d’art imaginée dans l’immédiat après-guerre en Italie par l’ingénieur Salvatore Maiorca et réalise par Aertalia, une filiale du groupe Fiat. La coque porteuse aux formes sculpturales est en tôle d’acier et sert tout à la fois de cadre et de carénage. Elle englobe une direction déportée commandée par biellettes. Sous cette carrosserie se cache un moteur monocylindre quatre temps, dessiné par l’ingénieur Angelo Blatto. C’est un 350 cm3 refroidi par air forcé avec son vilebrequin dans l’axe de la machine, une boîte quatre rapports et une transmission par arbre. Il pèse 43 kg et permet à la Major de promettre 110 km/h. Seul ce prototype subsiste, mais il était aussi prévu une version bicylindre à refroidissement liquide qui utilisait justement les deux superbes échappements en queue de poisson qui restent intégrées à la carrosserie de ce modèle dont l’unique silencieux sort… sous la moto. J’ai gardé pour la fin les éléments les plus étonnants de cette machine, les suspensions. Ce sont en fait les roues remplissent cet office. Leurs moyeux sont reliés à la couronne-jante extérieure par le biais de six tampons caoutchouc qui travaillent en torsion. D’après les commentaires de l’époque, ce curieux dispositif était relativement efficace pour l’absorption des chocs… mais désastreux au freinage où la roue manquait totalement de rigidité latérale. La Major fut exposée au salon de Milan 1948 et ne réapparut plus depuis.
Dans la catégorie des motos américaines de l’âge d’or, des origines à 1917, la palme revient à la rarissime Thor 1000 cm3 type U de 1913 exposée par le Top Mountain museum.De 1902 à 1907, l’Aurora Automatic Machinery Company dans l’Illinois construit les moteurs pour Indian. Elle produit aussi ses propres motocyclettes sous la marque Thor et en 1912, William Ottaway crée ce modèle U bicylindre de 1000 cm3 qui est porté à 1140 cm3 à partir de 1914. L’ingénieur passe chez Harley Davidson en 1916 et Thor cesse la fabrication de motos, mais continue d’exister jusqu’en 1960 en produisant de l’outillage pneumatique. On note au passage que cette Thor de 1913 est à ma connaissance la première Américaine à offrir une boîte deux vitesses logée dans le moyeu arrière.
Le second prix est attribué à l’Henderson 1000 cm3 type C2 de 1914,elle aussi présentée dans son jus bien que partiellement restaurée. Ce pionnier des quatre cylindres américaines est né en 1911 et cette version de 1913 qui n’en diffère guère que par la forme anguleuse de son réservoir, conserve cet empattement étonnamment long qui laisse une plate-forme libre pour les pieds devant le moteur ; un vrai scooter ! Selon William Henderson, le grand espace devant le pilote était aussi l’endroit idéal pour installer un passager ! Un moyeu arrière à deux vitesses est disponible à partir de 1914. Les Henderson abandonnent en 1917 leur design pieds-en-avant pour adopter une disposition plus classique qu’elles conservent jusqu’à leur ultime modèle en 1931.
Dans la même catégorie, un prix spécial du jury est attribué à l’Indian de 633 cm3 de 1907.Une belle survivante de ce tout premier modèle bicylindre de la marque sorti en 1905 dont il fut produit 2176 modèles en 1907. Il en subsiste un certain nombre, mais la particularité de celui-ci est de n’avoir jamais été utilisé. Religieusement conservée par son propriétaire, la machine est si neuve qu’il faut la détailler de très près pour constater que ce n’est pas une réplique !
Le choix fut cornélien pour élire le grand gagnant de la classe Grand luxe des années 20 et 30 sur trois roues. Il échoit finalement à la Brough Superior SS 80 de 1939 attelée de son side-car maison.Une palme méritée en grande partie par la remarquable authenticité de l’ensemble ce qui n’est pas toujours le cas pour une marque aussi prisée. Toute l’originalité du side-car vient de l’énorme tube parechoc qui entoure sa carrosserie et sert de réservoir d’essence additionnel.
N° 2, mais je serais tenté de dire N° 1 ex æquo !, le monumental attelage d’une Reading-Standard 1160 cm3 bicylindre de 1922 attelé à un side-car italien Borgo. Un mariage bien naturel car les trois frères Borgo viennent alors de racheter 1500 V twins à Reading-Standard en faillite et les vendent sous leur nom. Ce side-car hors du commun est un quatre places en tandem et la moto est équipée de tous les accessoires possibles à son époque : Main mécanique télécommandée indiquant les changements de direction, antivol en U logé sous la selle passager laquelle est suspendue avec ses repose-pieds. Éclairage des instruments, etc.
La Major élue « Best of the show » remporte aussi sa catégorie Nouveaux concepts des années 50, secondée par deux motos bien intéressantes.
La Stilma, construite à un unique exemplaire par Giuseppe Molino, le célèbre fabriquant de frein Salvai en 1948 réunit toutes les meilleures et les plus modernes techniques.Un moteur 500 cm3 culbuté de fort belle allure logé dans un cadre dont la partie arrière très aérodynamique et enveloppante est en tôle emboutie. Les suspensions sont également très étudiées avec une fourche télescopique carénée à l’avant et un double bras oscillant formant un parallélogramme déformable à l’arrière qui permet de conserver une tension de chaîne constante. La selle est également suspendue. La Stilma est présentée au salon de Turin 1950, mais elle ne saura trouver les fonds nécessaires à sa production.
L’autre palme revient à la Miller Balsamo, une 200 cm3 bien sage qui illustre parfaitement la tendance de l’époque aux motos totalement carénées. Les trois frères Balsamo commencent par l’importation en Italie des Excelsior américaines en 1919 puis des Ariel britanniques et produisent leurs propres motos à partir de 1924 sous la marque Miller-Balsamo avec leur célèbre sigle en forme de cocotte en papier. La révolution arrive en 1939 avec l’apparition de cette moto dotée d’un cadre coque en acier embouti entourant totalement le moteur Balsamo deux temps. Le remplacement de cette mécanique par un quatre temps en 1946 ne suffit pas à relancer les ventes et la petite Miller Balsamo carrossée n’aura guère de succès. La marque cesse son activité en 1959.
Catégorie Monocylindres italiens de GP en 250 cm3. Allez donc faire un choix entre une MV Agusta 125 double arbre totalement carénée, une Mondial bialbero de 1957tout aussi habillée, une Morini Bialbero de 1963avec son beau carénage à taille de guêpe, les Moto Guzzi à simple et à double ACT, et une Benelli de 1952dans sa plus belle version rendue célèbre par Dario Ambrosini champion du monde en 250 en 1950 avec le long réservoir englobant la colonne de direction. C’est à elle que revient le premier prix, le second allant à la Guzzi double ACT de 1953, géniale construction de Giulo Carcano, championne du monde en 1949 et 51 avec Bruno Ruffo.
Transformations célèbres des Anglaises et Allemandes des 70’s. Vous direz ce que vous voulez, mais l’organisation du concours est particulièrement douée pour trouver des noms de catégorie à rallonge. Cela dit, la définition est claire et la grande gagnante de la catégorie revient à l’Indian 750 Royal Enfield de 1969. Une décoction tout à fait internationale avec un commanditaire américain Floyd Clymer qui a racheté le nom Indian, un moteur Britannique, le 750 Royal Enfield Interceptor dont Clymer a acheté 200 exemplaires qu’il revendra plus tard aux frères Rickman, car le bel exercice de style réalisé par la maître Leopoldo Tartarini ne rentrera jamais en production. Les mêmes parties cycles et habillage sont utilisés sur l’Indian Velo de 1968 animée par le 500 monocylindre Velocette et sont étroitement dérivées des Italjet 650 Griffon produites par Tartarini à quelque 600 exemplaires en 1967.
La BMW Zabrocky 728 cm3, seconde classée, est inconnue dans nos frontières, mais fort célèbre dans son pays d’origine où elle valait environ deux fois le prix d’une BMW R69 Sstandard. Zabrocky ne produisit qu’une ou deux machines complètes, mais vendit 20 à 30 de ses cadres spéciaux avec suspension arrière modernisée qu’il équipait à la demande d’une fourche Horex modifiée, comme ici, ou d’une fourche Ceriani, et d’un frein Fontana. Le moteur de la R69S était suralésé à 728 cm3 totalement revu et doté d’une boîte 5 rapports.
Enfin, comme d’usage, BMW, organisateur de l’événement profitait de l’occasion pour dévoiler son dernier concept annonciateur d’une très prochaine version de série. Edgar Heinrich, le patron du design moto présentait cette année la 9-cento, un nouveau roadster sur la base du bicylindre parallèle de 850 cm3. Avec des lignes très agressives et une astuce en plus : un ensemble selle passager et petites sacoches latérales qui se clipse instantanément sur l’arrière de la moto.
Super millésime 2018 a la Villa d’Este.
Je découvre ton reportage comme un gamin passionné. De quoi rêver, j’apprécie beaucoup.
Et puis c’est génial sur le proto BMW le ‘tand-sad’ de-clipsable.
un grand salut
Yves COMPAN
Merci FMD de nous faire découvrir ou redécouvrir toutes ces belles motos, a défaut d ‘acheter LVM tous les Jeudis j’ ai pris l ‘habitude de me rendre sur ton site tous les Jeudis et je ne le regrette pas.
Continue a nous faire rêver.
Apriliabarth.
Encore une fois FMD, tu nous gâtes!!
Toujours fidèle au rendez vous
Merci pour toutes ces merveilles !
Il y a bien eu une (toute petite , certes) production de 750 Indian Enfield, distribuées par Moto-Rallye, alors importateur Velocette…
Effectivement profusion de choses intéressantes, merci de nous les faire partager. Ces protos pur jus de cervelle sont dans leur rôle d’explorer des solutions hors du commun même si certaines sont manifestement farfelues. Mais c’est bien d’imaginer, ça peut indiquer des pistes de travail. Dans la série motos de course, il me serait difficile d’exprimer une préférence, je les voudrais toutes ! Sur la Brough, la boucle faisant aussi office de réservoir me fait penser à un side-car Garrard, est-ce le cas ? Quant à la Reading Standard attelée au monumental Borgo, je me vois mal à son guidon : par expérience je sais qu’un side Harley 1918 freiné uniquement sur la roue arrière prend son temps pour s’arrêter , alors je n’ose imaginer ce que ça peut donner avec 4 passagers dans le panier !!