En 1929-30, juste avant que la crise et les prémices de la guerre mettent brutalement fin à leurs initiatives, une bonne dizaine de constructeurs pensent à faire des quatre-cylindres en Europe dont quatre en France (Motobécane 500 et 750, Train, Dollar). Avons-nous, pour une fois, lancé la mode ? Eh bien non, l’Allemagne était devant avec la Berlinoise Windhoff en 1927.
Texte et photos François-Marie Dumas – Archives Erwin Tragasch et musée d’Hockenheim
La petite marque créée par l’ingénieur Hans Windoff, fabriquant de radiateurs automobiles depuis 1907, vient à la moto en 1925 avec une 125 deux temps refroidie par eau suivie, pour la compétition seulement, par des 175 et même 493 et 517 cm3 deux temps dont je vous parlerai plus tard. La révolution, la vraie, est présentée sur le circuit de l’Avus en 1927 avec cette 750 quatre-cylindres conçue avec l’assistance de l’ingénieur Josef Dauben. L’homme est déjà connu pour avoir travaillé sur les motos Delta puis réalisé une autre moto berlinoise en 1923, la Mabeco un V-twin réplique de l’Indian Scout. Il deviendra célèbre dans le monde automobile pour sa réalisation chez H.G. Röhr d’un huit cylindres puis en collaborant en 1952 à la conception de la Mercedes Benz six cylindres baptisée W194 (pour la course) et 300 SL dans sa version commercialisée.
La première des quatre-cylindres modernes
Le quatre-cylindres à toujours tenté les constructeurs de motos ; on dénombre plus de vingt-cinq tentatives en Europe de la Hilldebrand & Wolfmüller de 1894 et les FN, Antoine et Laurin-Klement de 1904-1905, à la FN 750 de 1923 à 26, mais seuls cinq ou six dépassèrent le stade du prototype et furent réellement commercialisés. Le rêve revient en force à l’aube des années trente, Brough Superior présente un prototype 1000 cm3 à deux V-twins accouplés en 1927 puis un autre à quatre cylindres en ligne en 1928. AJS, AJW, et McEvoy en Grande-Bretagne et MAT en République tchèque y vont aussi de leurs projets. Viennent ensuite les salons de Paris 1929 et 1930 dont les vedettes sont les quatre-cylindres Motobécane, 500 latérale puis 750 à ACT (dont le dessin n’est pas sans rappeler la Windhoff) , la Train et, la Majestic à moteur Cleveland bien que cette dernière n’aît semble-t-il pas eu les honneurs du Grand Palais. Elles sont suivies par la Dollar de 1932. A partir de 1930, les Britanniques tirent à leur tour, puis l’Autriche et l’Allemagne… mais le premier quatre-cylindres de cette nouvelle ère qui va vivre de 1927 à 1930 et le premier quatre-cylindres allemand de série est bel et bien la 750 Windhoff, une machine révolutionnaire en tous points.
Trois versions se succèdent qui ne diffèrent que par des détails, principalement sur la commande des soupapes. Sur la première mouture de 1927, le réservoir triangulaire de 12 litres est en deux parties boulonnées et la selle en porte-à-faux est suspendue sur lames de ressort. Le frein avant est un modeste tambour à flasque en tôle de ø 170 mm. La seconde version (photographiée ici) apparaît en 1928 avec un réservoir de 14 litres de formes plus arrondies et le troisième modèle ne se distingue que par son équipement électrique. Toutes versions confondues, la 750 quatre cylindres Windhoff, victime de la crise de 1929 comme beaucoup, ne vivra qu’une quarantaine de mois et sera produite à 1450 exemplaires de 1927 à 1931 dont seuls une vingtaine survivent aujourd’hui.
Un moteur
Le moteur, un beau parallélépipède aileté de 70 kg et 746 cm3 est de côtes super carrées (63 x 60 mm) ce qui est déjà tout à fait exceptionnel. Ce choix a sans doute été fait ici plus pour réduire la hauteur du bloc que pour atteindre des hauts régimes et la Windhoff n’annonce que 22 ch, ce qui est déjà confortable à l’époque, à 4000 tr/min. Sauf erreur de ma part, il faudra quand même attendre des motos de course comme la Guzzi 500 quatre cylindres en ligne de 1952 pour retrouver un rapport alésage course aussi super carré (56 x 50 mm = 493 cm3). Ces côtes ne sont pourtant qu’une des moindres originalités de la Windhoff. Regardez là, ce gros bloc moteur parallélépipédique ne vous fait-il penser à rien ? Bien évidemment, à la fameuse 350 Sévitame dont je parle si souvent, une 350 cm3 bicylindre deux temps refroidie par huile. Idem pour notre Berlinoise qui reprend ce mode de refroidissement inauguré, en partie, par Granville Bradshaw sur les 500 flat twin Zenith de 1922 et ses monocylindres culbutés de 350 cm3 de la fin des années vingt à cylindre refroidi par huile. Révolutionnaire encore, la Windhoff s’offre le luxe d’une distribution à simple arbre à cames en tête, une première dans le monde des 4 cylindres entrées en production.
Autre curiosité ce bloc moteur (qui n’a jamais porté si bien ce nom), ses plans de joint dans tous les sens. Vertical dans l’axe de la machine pour la partie basse cylindre-carter moteur, horizontal, évidemment pour la culasse qui surmonte ce bloc, et vertical transversalement pour la boîte à 3 vitesses boulonnée derrière le moteur. La transmission s’effectue par arbre et cardan. Le simple arbre à cames en tête et la pompe à huile sont entraînés par un train de 6 pignons (alternativement en acier et en matériau composite style Celeron (fibre + résine) pour réduire le bruit) sur l’avant du moteur. Le vilebrequin entraîne à son tour la magnéto par engrenages sur l’arrière du bloc. Un simple petit carburateur Zenith de ø 22 mm alimente l’ensemble. De larges conduits dans le bloc moteur en aluminium permettent la circulation de l’huile (5 litres quand même !) autour des chemises de cylindres en fonte. Les soupapes sont parallèles, attaquées directement par l’arbre à cames sur la première version de 1927, puis avec des linguets intermédiaires sur les versions suivantes.
Totalement “décadrée”
Voilà pour la mécanique, passons à la partie cycle ou ce qu’il en reste ! Il n’y a tout simplement pas de cadre. Un triangle de fonderie intègre la colonne de direction et se fixe par six boulons sur l’avant du bloc. Deux paires de tubes horizontaux fichés dans l’arrière de ce bloc moteur à tout faire supportent le boîtier du couple conique et l’axe de roue. La suspension avant, à biellettes, roue tirée et amortisseurs à friction, fait travailler en traction deux paires de ressorts à lames (comme sur Les Mabeco dessinées par le même ingénieur). Côté freinage on ne peut qu’admirer le beau tambour avant de 220 mm à flasque aluminium (qui a remplacé celui à flasque en tôle de 170 mm des versions 1927). L’arrière est plus original avec un frein à segments extérieur sur l’arbre de transmission, comme sur la plupart des BMW de 1925 à 1934.
Le prix du luxe
Avec 22 chevaux annoncés, la Windhoff est alors la plus puissante des motos allemandes avec les Victoria 600 KR 6, un flat twin en long culbuté, et la BMW 500 R 47. Rançon de sa complexité, c’est aussi la plus chère (1750 DM + 400 DM pour l’éclairage), jusqu’à la sortie en 1928 de la BMW 750 R 63, une 750 culbutée annonçant 25 chevaux pour 2100 DM suivie, en 1929, par la BMW 750 R 16 dotée du même moteur, mais dans le nouveau cadre en tôle, affichée à 2200 DM. Proposée en Grande-Bretagne, la Windhoff s’affiche à 97 £ 18 s, bien moins chère qu’une Brough Superior 1000 Alpine Grand Sports à 170 £, mais considérablement plus onéreuse que la 800 K1, la plus chère des AJS à 73 £ ou la sportive Norton 500 CS1 à 89 £ ou même l’Américaine Henderson 1301 cm3 quatre cylindres affichée outre-Manche à 118 £.
La 1000 Four de trop
Bien qu’il ait introduit en 1929 une 1000 flat twin, Hans Windhoff n’abandonne pas l’idée du quatre-cylindres et réalise, en 1931, deux ultimes prototypes en 1000 cm3. Retrouvé récemment dans l’ex-Allemagne de l’Est, l’exemplaire présenté et seul survivant est en parfait état de marche. Il reprend les grandes lignes de la 750, mais en diffère sur de nombreux points. L’ailetage du moteur est plus important. Le vilebrequin tourne désormais sur 5 paliers montés sur coussinets. Un linguet est monté entre l’arbre à cames et les queues de soupapes pour éviter les usures prématurées constatées sur la 750. Les bougies auparavant à 45° sont désormais disposées horizontalement, sans doute en raison d’un nouveau dessin des chambres de combustion. Le cadre, ou ce qui en tient lieu, est aussi modifié. La pièce en fonte qui supporte la colonne de direction est fixée différemment au moteur et deux berceaux boulonnés viennent améliorer la rigidité de l’ensemble en supprimant au passage les belles plateformes en alu (qui intégraient un logement pour les outils) au profit de classiques repose-pieds. A l’arrière, deux tubes supplémentaires relient le haut moteur au moyeu arrière. Le frein arrière sur la sortie de boîte est abandonné au profit d’un curieux tambour à segments externes autour du pont (pour le réchauffer sans doute !). Un prototype sera même doté d’un compresseur volumétrique monté sur le côté gauche du bloc moteur et entraîné par chaîne depuis le vilebrequin.
… à suivre
Et ben voilà, on leur donne ça et ils veulent encore plus ! Et bien désolé, j’avais le moteur ouvert mais pas son dessin en coupe. Je tâcherai de faire mieux la prochaine fois.
quelle belle machine. merci de nous faire profiter de vos lumières. et de ces magnifiques photos. dommage tout de même qu’il n’y ait pas de plan de coupe du moteur comme pour la sévitame…
j’avais vu cette Windhoff 750 lors d’une exposition au Technikmuseum de Berlin. j’avais été fasciné par la technique originale de cette moto, mais aussi frustré de ne pas en savoir plus sur le pourquoi du comment de sa conception.
Merci de combler cette lacune par cette brillante étude (comme toujours).
Continuez tant que vous trouverez des motos originales, on ne s’en lasse pas!
c ‘ est avec beaucoup d ‘ intérêt que je suis vos envois .En tant que préparateur je me régale de voir de magnifiques restauration .
Encore merci
Le frein sur la transmission, c’est simple et très efficace…le problème, c’est que ça fait travailler le pont et
que si quelque chose pète là dedans( flector, cannelures etc) et tu te retrouves sans frein. Le frein autour du pont est loin d’être idiot cas ça permet d’avoir un grand diamètre de tambour, et il devait rester en place lors de la dépose de la roue arrière. si je n’ai pas rêvé, il me semble qu’il y a une Windhoff a Neckarsulm…
Exceptionnel !!!!
Bravo