Petit tour d’horizon de la popularité de la transmission par arbre pour les motos et des techniques employées. On y verra que ce dispositif n’utilise pas toujours de joint de cardan bien qu’il soit presque toujours nommé ainsi et qu’il y a les partisans du couple conique et ceux de la vis sans fin. Un long combat.
Comme d’usage les liens en bleu vous renvoient vers les fiches descriptives ou les autres articles du blog sur les modèles concernés.
Les premières motos à transmission par arbre sont nées chez nous avec les Ader puis Moto-Cardan monocylindre et bicylindre en V face à la route dès 1903 toutes deux équipées d’un arbre et de deux cardans et d’un couple conique. C’est pourtant en Belgique que FN popularise la technique à partir de la fin 1904 avec sa quatre cylindres de 362 cm3 à transmission par arbre rigide avec un flector absorbant les défauts d’alignement. FN reste fidèle à l’arbre jusqu’en 1919 tandis que chez nous, un peu plus tard, la mode ne prend pas encore. Seules deux apparitions météoriques, la Lutèce 1000 cm3 à deux cylindres en long en 1921 qui propose même un démarreur électrique et les Beatty & Claxton, bien de chez nous comme leur nom ne l’indique pas, en 1922-23, défendront l’art de l’arbre. Après ces mise-en-bouche, la vraie mode de l’arbre arrive en 1929 ; pas de chance, c’est aussi l’année d’une des plus grandes crises financières que le monde a connu et seuls de rares acatènes survivront de la forêt d’arbres conçue à grands frais dans toute l’Europe et présentée à l’aube de la récession. Les petits constructeurs lancés dans ce développement plus onéreux et sophistiqué que la chaîne en seront pour leurs frais et, à partir de 1932, les seuls représentants français de motos à transmission acatène seront deux motos exotiques : Le prototype MGC à quatre cylindres inversés de 600 cm3 et transmission par arbre vis sans fin et la Sévitame construite à quelque 13 exemplaires de 1938 à 39 dans les usines Simca ex-Donnet de Naterre et munie elle aussi d’un pont à vis, mais avec ici une excuse car c’était pour mettre une hélice au bout ! Pour ce qui est des productions en série, il n’y eut qu’Ultima jusqu’à la Guerre, et Gnome & Rhône qui persistera même pendant la guerre et un peu après avec les AX 40 de l’escorte de Pétain nées en 1939 et utilisées jusqu’à l’aube des années 60. On verra après les hostilités les semi françaises CMR puis les Cemec et les brillantes Ratier défendre à nouveau la transmission par arbre jusqu’en 1962. Elles sont suivies par l’extravagant Solex 6000 Flash de 1968 à 72 avant que BFG ne reprenne le flambeau au tout début des années 80.
15 marques françaises arborisées et sans compter leurs sous-marques.
Parmi les marques séduites par la mode de la transmission par arbre, Alcyon, Dé-Dé, Dollar, Dresch, Favor, Gnome & Rhône, Helyett, Loriot, Magda, Majestic, Motobécane-Motoconfort, Sévitame, Train, Utilia ou Ultima, pour ne rester que dans l’avant guerre peu construisaient eux-mêmes leurs transmissions sans doute seulement Gnome & Rhône, Ultima et Dresch. Pour les couples coniques, l’un des plus gros fournisseurs était les établissements Lardy plus connus sous leur nom de marque Ydral, voisins liés sinon associés avec Bridier-Charron, fabricant de pignonnerie et de boîtes de vitesses, également à Suresnes dans la banlieue parisienne.
Le ver perd…
Un engrenage par vis sans fin se nomme « worm gear « , en anglais, soit engrenage par ver et je trouve cette appellation d’outre-Manche trop belle et parlante pour ne pas l’adopter. A se tortiller devant son pignon ce ver est supposé absorber beaucoup de puissance (environ 10% de la puissance disponible en sortie de boîte). Certes un renvoi d’angle par roue dentée et vis sans fin est moins couteux à fabriquer et a l’avantage d’être plus silencieux que le couple conique avec des engrenages à taille spiroconique dite Gleason qui va équiper la quasi-totalité des motos à transmission par arbre. Ce couple conique a été popularisé dans le monde entier par BMW et, en France, par Ydral alias Lardy à Suresnes. Dans la forêt des motos à transmission par arbre de 1929 au début des années 30, il m’a paru intéressant de voir qui, du ver ou du conique, avait la majorité et quels constructeurs avaient profité de cette transmission par arbre pour retourner leur moteur en lui donnant le même sens de rotation que l’arbre et économisant ainsi tout renvoi.
…et le conique séduit.
La Dé-Dé de 1929 se distingue avec un deux temps (un Moussard de 350 cm3) alors que la transmission acatène est en général réservée aux quatre temps plus haut de gamme. C’est aussi l’une des premières motos à intégrer son arbre de transmission à l’intérieur d’un tube (on ne parle pas encore de bras oscillant, il n’y a pas de suspension arrière).
Chez Dollar, c’est le super marché en 1930. Tous les monocylindres sont (annoncés) disponibles avec transmission par chaîne ou cardan (supplément 850 F). Le moteur Chaise conserve son sens de rotation traditionnel et la transmission s’effectue par arbre et couples coniques (un en sortie moteur, l’autre sur le moyeu arrière) et deux joints de cardans, car, Dollar propose aussi en option une suspension arrière oscillante (supplément 500 F) qui est ni plus ni moins celle de la Majestic qui vient d’être rachetée par l’Omnium Métallurgique dont Dollar est la marque. L’arbre n’est quand même pas donné, et il n’est pas sur qu’il s’en vendit. Une 350 R3 de 1931 vaut ainsi 5250 F à chaîne, 6100 F acatène et… 6600 F si vous y rajoutez la suspension arrière. Au sommet de la gamme se trouve évidemment la quatre cylindres qui, cette fois, n’a pas besoin de renvoi d’angle en sortie moteur, car le vilebrequin est dans le sens de la marche. Sur toutes les Dollar acatènes, Bridier Charron est bien sur de la partie côté boîte et le moyeu-couple conique est un Lardy qui, exceptionnellement, n’utilise pas le frein de même origine, mais un AYA comme le reste de la gamme Dollar.
Dresch, le chantre de la moto économique, n’en a pourtant pas fait sur ses transmissions par arbre et ses 500 bicylindres en long à soupapes latérales ou culbutées ont opté pour le couple conique tout comme les 250 et 350 monocylindres. Ces dernières ont un bloc moteur tout à fait spécifique avec l’axe moteur en long, aligné avec la transmission. Curieusement, la différence de prix avec les modèles à chaîne avec une boîte séparée classique n’est pas énorme. 2700 et 2900 F pour les 250 et 350 acatènes, contre 2375 et 2475 pour les versions à chaînes. Dresch tentera même de perpétuer l’espèce après-guerre en présentant sa 350 deux temps Baltimore avec un bloc moteur redessiné et la transmission par arbre. Ce fut un échec retentissant.
L’Helyett 750 MH de 1930 à 33 coche toutes les cases : moteur JAP bicylindre en V face à la route, boîte Bridier-Charron et transmission par arbre sous carter avec un moyeu et couple conique Ydral. C’est à se demander pourquoi une moto aussi belle et richement dotée ne s’est pas vendue. Les frères Picard créateurs de la marque à Sully-sur-Loire proposaient également sa transmission sur ses monocylindres.
La très éphémère 350 Magda que l’on vit au Bol d’Or 1928 (mais non classée) et au salon 29 permit d’admirer ses lignes très nettes avec un bloc moteur JAP 350 cm3 quatre temps à soupapes latérales monté transversal, un arbre de transmission sous carter et un couple conique.
On pourrait encore citer les Motobécane quatre cylindre 500 cm3 de 1929 à soupapes latérales ou 750 cm3 de 1930 à soupapes culbutées, qui, toutes deux, offraient une transmission par arbre et cardan et un couple conique qui semblait bien provenir de chez Ydral bien que Motobécane ne le dise point.
Parmi les trois autre cylindres français présentes au salon de Paris en 1930, la Train équipée d’un bloc moteur maison de 500 cm3 excessivement compact. Malheureusement cette moto aussi moderne que sophistiquée ne fut construite qu’à trois exemplaires et le célèbre motoriste disparaitra en 1936.
Encore un point pour le couple conique avec les Ultima lyonnaises de 1930-31 350 D1 à soupapes latérales D2 culbutée et 50 D3 à soupapes en tête. Sur les trois le vilebrequin tourne face à la route comme c’est le plus logique et le couple conique est fait maison.
Dans la famille Corbeau, créateur de la marque Utilia, on mange à tous les rateliers. Sont ainsi présentés au catalogue 1930, une 500 R30 à moteur Staub à soupapes latérales disposé conventionnellement plus un renvoi d’angle, arbre de transmission et couple conique pour 6700 F tout comme une 500 R9 animée cette fois par bloc moteur LMP à soupapes culbutées qui tourne dans l’axe de la moto, et une transmission par arbre et vis sans fin. Est-ce le couple conique qui fait la différence ou un mystérieux calcul du père Léon Corbeau, cette R9 ne vaut que 6300 F, 400 F de moins que la R30 !
Parmi les prototypes ou réalisations confidentielles, il faut aussi citer, Les Favor type K à moteur Favor et boîte Bridier Charron de 1929 et type G à bloc moteur Staub de 1930, la Prester 350 monocylindre à moteur Chaise qui fit leTour de France 1930, et quelques autres expériences dont certaines ne vécurent que sur le papier ! Tous les constructeurs français étudient la transmission par arbre.
Les rares adeptes de la vis sans fin
Alcyon et sa 500 Blocvis de 1930 devait donc se sentir bien seul avec sa transmission par arbre et vis sans fin, une solution gourmande que seul prôna en son temps la Beatty & Claxton, puis, dans les années 30, LMP avec son bloc moteur transmission utilisé par Utilia. Dans l’immédiat avant-guerre, en 1938, Marcel Guiguet, le petit constructeur des MGC à Corbelin en Isère, réalise son rêve avec une 600 cm3 qui s’inspire d’un moteur d’avion à quatre cylindres quatre temps en ligne disposé tête en bas ce qui place la transmission par arbre et sa vis gourmande au dessus de la couronne arrière. La même année, la Sévitame reprend un principe similaire, mais avec deux cylindres inversés seulement et en deux temps. La seule excuse à son pont à vis, est qu’il est prévu pour recevoir une hélice en bout d’arbre et transformer la moto en une sorte de moteur de hors bord.
Epilogue
Les suites de la crise de 29 mettront malheureusement un point final à la renaissance des motos françaises de haut de gamme et élagueront bien vite cette forêt d’arbres si rapidement poussée chez nos constructeurs. L’arbre français renaît pourtant dans l’immédiat après guerre avec les CMR basées sur des pièces BMW et qui se francisent progressivement avec les CEMEC de 1946 à 55, puis avec les Ratier, mais l’aventure prend malheureusement fin en 1962.
En 1968. C’est une révolution qui apparaît là où on l’attend le moins, chez Vélosolex qui présente le Solex Flash, plus tard rebaptisé 6000, un cyclomoteur hors normes avec une transmission par arbre et couple conique. Le modèle vivotera jusqu’en 1973.
La belle histoire des motos françaises à transmission par arbre se termine avec la BFG. Seuls les prototypes « Boccardo » empruntaient boîte et transmission à Moto Guzzi. Sur le modèle définitif la boîte et la transmission par arbre sont conçus par BFG avec, au départ, une fabrication en Italie puis, après la reprise par MBK en 1983, une fabrication entièrement française.
La transmission roue et vis sans fin est un non sens technique dès lors que la puissance transmise est importante. La puissance absorbée par frottement se transforme en chaleur qu’il faut évacuer.
BMW n’a jamais hésité depuis 1923 à l’utilisation du couple conique et à corriger au fil du temps ses défauts.
Le pignon bronze de la sévitame devait être en bonne place dans le carnet d’entretien.
Super article, j’adore ce type de fil conducteur pour un article de cette qualité . De plus ce ne sont que des photos magnifiques
Encore bravo
Bravo et merci du complément. Il est bien sur impossible d’être exhaustif. Ci après une photo d’usine de la Favor injustement oubliée et une copie du Motocycle et Scooter présentant ce fabuleux proto Guiller. J’enrage ! j’ai dans mes archives toute une série de photos du salon de Paris 1954 et pas celles-ci… mais je cherche ! Par contre pour la Styl’son de 1937 présentée dans LVM, je pense que vous parlez du 100 BMA, certes fort original, mais à chaîne sous carter étanche. Cordialement.
On peut egalement citer dans les motos françaises à cardan :
ARGENTRE : 350 laterale de 1929 avec juste un croquis dans le MR 351
FAVOR : type K de 1929 avec un article dans le Motocyclettiste 111
GUILLER René : trés original mono Act et cardan de 1954 dans Motocycles et scooter 134
LORIOT :mono de 1928 dans le MR 295
PRESTER : 350 Chaise de 1930 dans le MR 378
ROYAL MOTO (St Etienne) : mono de 1928 dans le MR 295
STYL’SON : mono 2T de 1937 dans le LVM 229
et sans doute bien d’autres………..
DJ
Une fois n’est pas coutume, je vais commenter.
Celà étant,c’est juste pour dire ce que je pense lors des autres sujets sans l’écrire: fouillé, instructif, surprenant…!