La grande saga des Lapins
Texte et archives François-Marie Dumas
L’Italie et le Japon sont aujourd’hui les acteurs majeurs du marché du scooter et l’histoire de ce véhicule débuta en même temps dans ces deux pays avec comme acteurs majeurs au Japon, Mitsubishi et Fuji qui vont se livrer à une guerre effrénée pendant plus de 20 ans. Pour fêter l’entrée dans l’année du lapin selon les signes du zodiac chinois, je ne pouvais faire autrement que de me lancer dans l’histoire des lapins… japonais, ce qui n’a aucun rapport, mais cela me faisait une bonne excuse !
Il faut remonter à 1914 pour trouver les sources du colossal groupe Fuji Heavy Industries fondé par le pionnier de l’aviation nippone Nakajima. Avec une production estimée à 30 000 avions, Fuji deviendra durant la Seconde Guerre mondiale le deuxième avionneur japonais derrière Mitsubishi et ses torpilleurs B5N Kate feront des ravages sur Pearl Harbour en 1941. Démantelé à la fin des hostilités, le groupe devient Fuji Sangyo puis Fuji Heavy Industries en 1952. Dans le Japon anéanti de l’après-guerre, le besoin de motorisations individuelles est criant et Fuji va donc, comme son concurrent Mitsubishi et bien d’autres avionneurs (Gnome & Rhône, Piaggio, etc.), se reconvertir dans le deux roues économique. Le premier du genre, qui inaugure l’appellation Rabbit (contrairement aux marins, les Japonais considèrent le lapin — rabbit, en anglais — comme un porte-bonheur), est présenté dès 1946, à une époque où n’existaient encore aucune des quatre grandes marques actuelles. Ce S-1 n’est guère qu’une copie d’un scooter américain de l’époque, le Powel de 1939 avec un moteur de 135 cm3 à soupapes latérales qui développe 2 chevaux et propulse les 75 kg de l’engin à 60 km/h… sur le plat. Le démarrage s’effectue à la poussette et il n’a pas de frein avant, mais quand même un embrayage automatique.
Dés 1947, Fuji devient le premier constructeur japonais avec… 881 scooters vendus pour une production globale japonaise de 2 010 unités) et le Rabbit évolue avec une version S-2 en 1947 dotée d’une suspension avant à roue tirée et d’une roue de secours puis, en mai 1948, avec une version esthétiquement remaniée.
En 1950 Fuji invente même le scooter électrique avec sa version ES tandis que les modèles standards, comme le 135 cm3 S-23, sont suivis par la série des S-41 qui troque ses petites roulettes de 5 pouces pour des chaussettes en 8 pouces. Le vrai passage à l’âge adulte de Fuji arrive en 1952 où la marque tente même de se lancer dans la vraie moto avec une 408 Hurricane RB-11 monocylindre quatre temps de 350 cm3. Trop tard, Honda domine déjà le marché et les motos Fuji ne survivront que trois ans. Côté scooter, par contre un modernisme galopant débute cette même année avec le S-3 à fourche télescopique, suspension arrière et carrosserie aux lignes fuyantes inspirée du Lambretta et une roue de secours posée à plat sur l’arrière. C’est aussi le premier scooter japonais à proposer une boite de vitesses à deux rapports. Les lignes toujours lourdes se modèlent un peu en 1954 avec l’apparition d’un 222 cm3 à moteur quatre temps à soupapes latérales d’inspiration germanisante.
Guerre technologique
Dés la fin des années 50, les fabricants de scooters japonais se livrent à une guerre technologique sans merci : double variateur pour les Mitsubishi Silver Pigeon, transmission hydraulique complexe système Badalini pour Honda et convertisseur chez Fuji Rabbit. Le premier gagne et disparait, le second perd et perdure, et Fuji meurt avec les honneurs.
Le premier scooter Fuji à convertisseur apparaît en avril 1956 avec le S-61 modèle D dont on note au passage qu’il n’a toujours pas de frein avant. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un nouveau modèle, mais d’une évolution de la version de base de 1955 qui troque sa boîte à 2 vitesses contre un convertisseur hydraulique monté en bout de vilebrequin. Pour combler la perte de puissance inhérente au glissement continu de ce type de transmission, le moteur quatre temps à soupapes latérales passe de 222 à 236 cm3 (67 x 67 mm), de 5,9 à 6,5 ch et de 135,7 à 142 kg en ordre de marche pour…72 km/h ! Les autres caractéristiques restent identiques et déjà fort évoluées : suspension arrière oscillante façon Moto Guzzi… ou T-Max avec un amortisseur horizontal sous le moteur, clignotants et une autre grande première : des pneus tubeless de 8 pouces.
C’est la première fois qu’une telle technologie de transmission est proposée sur un scooter au Japon et la seule autre antériorité en scooter est, à ma connaissance, le Ducati 175 cm3 Cruiser apparu en 1952 en Italie. Fuji restera fidèle à cette onéreuse transmission sur ses modèles de haut de gamme S-101 et S-601 jusqu’à son arrêt de production en 1968. Tandis que son plus grand concurrent, Mitsubishi, fera confiance dés ses débuts en 1946, à une technologie promise à un avenir beaucoup plus brillant, le double variateur à courroie.
Souple et efficace la transmission par convertisseur hydraulique a le gros désavantage d’absorber beaucoup de puissance. Le premier deux roues utilisant le système est une BSA en 1932 qui restera au stade de prototype, mais quelques autres constructeurs lui feront confiance dans les années 60 et 70 : Yamaha en 1960 avec son 175 SC1 qui fut un flop retentissant et faillit même mettre en péril le devenir de la marque, puis Moto Guzzi avec sa 1000 Convert de 1974. Honda y viendra aussi avec ses CB 400 A et CB 750 A automatiques de la fin des années 70 après avoir tenté en 1962 une transmission hydraulique beaucoup plus couteuse et sophistiquée, le système Badalini, sur ses scooters Juno 125 M80 et 170 cm3 M85. Après une très longue gestation, ce système sera réutilisé avec une gestion électronique sur la DN-01 apparue l’an dernier..
Le Fuji Rabbit S-61D n’est produit que jusqu’en 1957 (à 7370 unités). En août de la même année arrive le S-101 Superflow (appellation des modèles à convertisseur), un 250 cm3 quatre-temps latéral luxueux et d’une ligne beaucoup plus moderne avec un garde-boue avant prolongeant le tablier et un équipement encore plus complet : démarrage électrique par dynastart, jauge à essence, etc.
Une nouvelle génération apparait en 1957 avec un 250 à garde-boue avant intégré au tablier, mais il faut attendre 1960 pour voir cette nouvelle ligne adaptée au 125 cm3 qui du même coup trouve, enfin, un frein avant. Rabbit étend aussi sa gamme à deux autres catégories en plein essor en sortant en 1958 un 90 cm3 à roues de 15″ (ici dans sa version S-202 de 1962) et un petit 50 cm3 en 1961.
Le 125 cm3 S-301 fut best-seller de la gamme des Rabbit,, mais la Rolls des scooters japonais sera le S-601 qui apparaît en 1961 et sera produit à 74 694 exemplaires en versions à boite 4 rapports puis à convertisseur (sans boîte associée). Pour faire face à la concurrence de Mitsubishi Silver Pigeon, le Rabbit S-301 affine ses lignes, adopte une peinture bicolore et même une selle biplace deux tons en 1963. De 1960 à 68, ce S-301 sera le modèle le plus vendu avec près de 137 500 exemplaires. Il passera de 7 à 8 ch et 95 km/h dans sa version luxe de 1967 et existera dans neuf versions différentes, dont le S-301D avec un convertisseur accouplé à une boîte trois rapports (une association adoptée plus tard par Guzzi avec ses 1000 Convert et Honda avec les 400 T et 750 Hondamatic) et, pour l’anecdote, une version très spéciale équipée d’un complexe châssis entièrement repliable avec quatre roues ferrées pour rouler sur les voies de chemin de fer et assurer leur entretien. Les dernières versions seront exportées avec un certain succès aux États-Unis et équiperont même la police ! Hélas le scooter est alors en plein déclin et Fuji cède son département deux-roues à la branche automobile du groupe, Subaru. Le dernier et 536 408 ème scooter Fuji sort des chaines le 26 juin 1968, trois ans après Mitsubishi, et il faudra attendre les années 80 pour voir renaitre le scooter qui, merci les encombrements, connaît aujourd’hui un succès jamais atteint.
Les années noires
À l’aube de ces années 60, le phénomène est le même au Japon qu’en Europe. Le niveau de vie a notablement progressé, les petites voitures sont devenues abordables et les constructeurs japonais vont tout tenter pour réagir face à la désaffection grandissante pour le scooter en produisant à la fois des modèles de petite cylindrée plus simples et économiques et des versions haut de gamme ultra sophistiquées comme les Fuji Rabbit 601, Mitsubishi Silver Pigeon C-140/C-240, Yamaha YC-1 ou Honda M-80/85. Hélas, les midgets, ces petites voitures de moins de 3 m de long et 1,30 m de large, très favorisées fiscalement proposent quatre places au chaud pour environ 300 000 yens alors que nos beaux scooters valent quand même de 145 à 170 000 yens. Le choix des utilisateurs est vite fait, au Japon, comme en Europe, le deux-roues motorisé rentre dans la période la plus noire de son histoire. Fuji avec près de 500 000 scooters produits de 1946 à 1968 reste l’un des plus grands producteurs de scooters de cette période, mais, à titre de comparaison, Il s’est quand même vendu 3,5 millions de Vespa de 1946 à 1965… et ça continue.
Bonsoir,
Excellent article sur ces scooters du soleil levant. Bien que ces engins ne soient pas ma tasse de thé ( !!! ) ce sont neanmoins des monotraces; et puis j’ame bien qu’il soit rendu hommage a l’industrie japonaise .
Bien motocyclistement.