La Dama de Tonti

Du 3 au 6 mars 2022 a lieu le Salon du 2 roues à Lyon où on attend quand même, en plus des motos modernes qui sont aussi de la partie, près de 1500 motocyclettes de collection. Parmi elles (stand 6B23), une exposition magistrale et unique réalisée par Alain Nibart, moi-même et moto-collection.org qui réunit une sélection des grandes œuvres de Lino Tonti. De 1949 à 1979, cet ingénieur a conçu quelques-unes des plus fabuleuses motos italiennes, du très utilitaire Cigno pour Aermacchi à la V7 Sport Moto Guzzi en passant par nombre de machines de course, et, sous sa propre marque Linto (comme LIno TOnti) la Linto 500 et une autre Linto restée inconnue, la Dama 200 de 1953.

Drôle de Dame, un étonnant prototype unique de moto-scooter « flat one » quatre temps de 200 cm3 dont l’unique modèle est sur la région parisienne… au grand dam des Italiens !

Texte et photos François-Marie Dumas / moto-collection.org sauf mention contraire

Son heureux propriétaire, Alain Nibart, au guidon de la Dama lors du Vintage Revival à Montlhéry en 2017.
La Linto 200 Sport-4 reprend exactement les mêmes éléments de base, mais avec deux combinés amortisseurs à l'arrière.(photo Motociclismo d'Epoca)

Trop beau pour être vrai

Réalisé par lino Tonti en 1953 à 1954 à la commande d’industriels turinois qui ne donnèrent finalement pas suite, la 200 Linto Dama est certainement l’un des scooters à grandes roues les plus intelligents jamais construits et cet exemplaire est le seul existant.

Quel dommage qu’un concept aussi fascinant soit resté à l’état de prototypes d’étude. J’ai bien écrit prototypes avec un S car le même moteur fut aussi essayé sur deux motos dont une seule a survécu, et cette belle mécanique a été développée dans plusieurs cylindrées de 200 à 270 cm3 et même en version diesel. (Chut, il est, paraît-il, mal vu d’oser même penser à ce type de moteur aujourd’hui !). Une étude superbe, mais mieux vaut ne pas imaginer ce qu’une telle débauche technologique aurait pu couter, face, par exemple au très simpliste Moto Guzzi Galetto, qui eut été le concurrent direct de la Dama.

Lino Tonti, chez lui en 1994, regarde avec tendresse, le prototype de Dama qu'il a créé 40 ans plus tôt. (Photo ©Milagro / Gigi Soldano
La Dama est un 2/300 cm3 cossu et luxueux juché sur des roues de 15"

Flat One

Ce moteur pour reprendre une terminologie qui me paraît fort explicite, est un « flat one » c’est-à-dire avec un cylindre horizontal et transversal, une disposition idéale pour un scooter de par sa compacité et la facilité d’avoir une transmission acatène directement le long de la roue arrière. C’est un atout majeur, mais il ne s’applique bien sûr qu’à des scooters sophistiqués et chers, ce qui a limité sa diffusion. On le vit successivement le Ducati 250 Cruiser à transmission hydraulique en 1952-54, le BSA 200 Beeza en 1955 et le NSU Prima 5 de 1957 à 1960. Pour une compacité absolument maximale sur sa Dama, Lino Tonti a disposé sa boîte de vitesses parallèlement au cylindre. La transmission, dans le même alignement, s’effectue par arbre, cardan et flector. Le moteur est suspendu sous le cadre constitué d’un simple tube de gros diamètre avec des suspensions oscillantes avant et arrière amorties sur blocs caoutchouc.

Le moteur de la Linto Dama fut étudié en quatre cylindrées différentes dont une version en diesel ici au centre.
Version essence. Le bloc est extraordinairement compact avec, devant le moteur proprement dit et son cylindre à plat sur la droite et derrière l'embrayage et la boîte.
Version essence. Le bloc est extraordinairement compact. Devant le moteur p.oprement dit et son cylindre à plat couché vers la droite et, derrière, l'embrayage et la boîte.(photo Alain Nibart)
Un moteur partiellement démonté sont extraits, à gauche, l'arbre moteur et son allumage en bout, à droite la transmission par arbre.
Le guidon en tube et tôle recouvre toute la câblerie et le réservoir d'essence est dans le tablier avant.
Le moteur ouvert montre bien l'embiellage monté en porte-à-faux.
Ce concept ultra compact, idéal pour un scooter, est suspendu en un seul point au cadre poutre tubulaire.
Cylindre à gauche et carter de boîte totalement ailette à droite donne au moteur vu de l'avant une sacrée allure. Qui croirait que c'est dans le meilleur des cas un 270 cm3 !
On recense trois prototypes de ces Linto, cette version scooter (n°2), et deux motos dont une disparue.
Lino Tonti avait poussé la finition jusqu'à la création d'un logo en cuivre du modèle.
Un capot facilement amovible sur le tunnel central donne plein accès à la mécanique.
Lino Tonti sur sa Dama en 1995 (photo Gigi Soldano) et Alain Nibart en réplique sur la même et unique Dama !
Alors vous préférez la moto-scooter Dama…
… ou la Linto 200 Sport-4 ?

En moto scooter ou moto, au choix

Monté sur des roues de 15 pouces (aux pneus quasi introuvables aujourd’hui !), la Dama a été étudiée dans ses moindres détails avec des petits coffres sur les flancs du garde-boue avant, un large capot couvrant le tunnel central qui, une fois ôté, donne un plein accès à la mécanique, la câblerie entièrement dissimulée sous le guidon en tube et tôle emboutie chromée, etc.

La version moto est bâtie exactement sur la même base et l’ailettage complet du bloc côté moteur comme côté boîte lui donne un aspect de gros cube bien qu’elle se limite à moins de 300 cm3.

Linto 200/270 Dama 1953

Bloc moteur 4 temps – 269, 232, 218 ou 197 cm3 (alésage 70, 65, 63 ou 60 mm, course 70 mm) – Soupapes culbutées – Vilebrequin sur 1 palier et bielle en porte-à-faux – Graissage sous pression et carter d’huile sous le moteur – Carburateur Dell’Orto ø 24 mm – Allumage par volant magnétique – Boîte 4 rapports et sélecteur double branche à droite – Embrayage multidisque humide –  Transmission finale par arbre, flector et cardan –  Cadre poutre tubulaire – Suspensions avant à roue poussée, arrière oscillante amortissement sur blocs caoutchouc – Freins à tambour simple came ø 175 mm – Pneus 3,50 x 15″ – env 100 km/h.

Du 3 au 6 mars 2022 a lieu le Salon du 2 roues à Lyon où on attend quand même, en plus des motos modernes qui sont aussi de la partie, près de 1500 motocyclettes de collection. Parmi elles (stand 6B23), une exposition magistrale et unique réalisée par Alain Nibart, moi-même et moto-collection.org qui réunit [...]

Gilbert Guignabodet

Gilbert Guignabodet nous a quittés brutalement le 7 février 2022. Il avait 87 ans.

Qui mieux qu’un de ses amis proches pouvait nous parler de cet homme qui fut l’un des grands personnages de la moto ? Je laisse donc la plume à Pierre Astier.

Gilbert Guignabodet (source www.paddock-gp.com)
Gilbert Guignabodet sur une Alcyon 175 à moteur Ydral au au Bol d'Or 1956.(archives François-Marie Dumas)

Quand on parle de Guignabodet, on n’évoque pas un personnage, mais toute une lignée. Les parents de Gilbert étaient déjà marchands de moto à Chelles et son père a participé plusieurs fois au Bol d’Or sur un side-car. Au Bol d’Or 1948 et 9, il pilote encore un side 600 FN, mais il ne finit aucune des deux épreuves. Quant à son grand-père, ce dut être aussi un grand sportif puisqu’en Belgique il gagna une FN quatre cylindres en participant à…. une course à pied !

 Gilbert, lui, est né en 1934 à Nogent-sur-Marne. Il va lui aussi courir à moto, et ce, dès l’âge de 16 ans, sur une 125 Jonghi Il participe au Bol d’Or 1950 et se classe douzième de sa catégorie. C’est déjà  un exploit pour quelqu’un de son âge, car, à l’époque,  il fallait tenir le guidon 24 heures d’affilée. Au Bol d’Or 1951, sur une Puch, il termine 10e de la catégorie 175 et, en 1952, il est dix-huitième sur une Guiller à moteur AMC.

 En 1955, c’est le service militaire, il est incorporé au Premier Régiment du Train et, vraie aubaine pour un motard, son colonel l’autorise à continuer de participer à des compétitions. Il est aussi engagé par son régiment dans des épreuves de trial. Cette même année, il participe au Championnat de France 1955 sur une Guzzi et remporte le titre. Au Bol d’Or 1955, il fait équipe avec Fernand Tiers et pilote une AGF. C’est son premier contact avec Ydral, mais une panne mécanique les contraint à abandonner à la 15e heure. En 1956, Gilbert Guignabodet est champion de France sur une Guzzi 250  tandis que c’est sur Alcyon que Guignabodet participe au Bol d’Or. Avec son équipier Rouger, il termine à une belle deuxième place des 175 cm3 derrière la redoutable Gnome-Rhône de Court et Dagan.

Une mémorable victoire au Bol d'Or 1957 avec la Libéria n° 49 à moteur 175 Ydral que Gilbert Guignabodet (à droite) pilote avec avec Georges Agache (à gauche).

 L’année suivante, au Bol d’Or, notre jeune champion se retrouve dans l’équipe Ydral qui, associé à la marque Libéria, a de grandes ambitions. La Libéria-Ydral avait déjà montré un énorme potentiel en 1956, mais l’embiellage n’avait pas tenu et c’est Gnome-Rhône qui avait recueilli les lauriers. Pour cette nouvelle édition, on attendait un exploit. Les Tiers, Arambol, Croix, Godin, Moizan et quelques autres qui couraient pour Ydral ou AGF n’étaient pas des coureurs professionnels. De bons amateurs, mais des pilotes occasionnels. Seul Agache sortait du lot. De tous ceux qui ont couru pour Ydral, le plus talentueux fut sans conteste Alain Dagan. Georges Agache m’a souvent vanté son pilotage facile, sans effort apparent, mais diablement efficace. Or Alain Dagan avait quitté Ydral pour Gnome & Rhône. Il fallait trouver un remplaçant du même niveau pour piloter la performante Libéria carénée. Gilbert Guignabodet n’accepte qu’à condition de faire équipe avec Agache. « Car c’est lui qui va gagner » dit-il. Et ce fut l’exploit attendu : 24 heures à plus de 100 km/h de moyenne, record battu et quatrième place au classement général. La performance fut certes énorme, mais ce ne fut pas tout à fait une partie de plaisir. Imaginez la Libéria lancée à 160 sur l’anneau sur ses petits pneus de 300 x17, le pilote recroquevillé derrière le carénage. Ça allait encore pour les types jockey comme Agache, Tiers et Arambol, mais pour le longiligne Gilbert c’était extrêmement inconfortable. Et lorsqu’on manœuvre la machine à la main, on est sidéré par la faiblesse du rayon de braquage. Il devait falloir calligraphier au plus juste les trajectoires aux virages des Deux Ponts, de la Ferme et à l’épingle du Faye. C’est la nuit surtout que ce fut particulièrement périlleux, car les organisateurs avaient vraiment lésiné sur l’éclairage de la piste. Chez Ydral, on avait monté deux ampoules sur le phare. Lorsque l’une des deux rendait l’âme, on connectait immédiatement l’autre et on avait bien recommandé aux pilotes de signaler l’incident lors de l’arrêt au stand pour qu’on ne manque pas de changer l’ampoule grillée. Ce qu’oublia de faire Georges Agache ! Et Gilbert prit le relais avec une seule ampoule en bon état… Laquelle ampoule ne manqua pas de griller à l’approche d’un virage… Le trou noir… Notre pilote fit un tout droit, mais, heureusement, l’obscurité ne cachait aucun obstacle et il put reprendre la piste.

"Quelques" années plus tard Gilbet Guignabodet pose fièrement aux côtés de son fils Jean-Louis derrière la Libéria n°49 qui a rejoint leur collection.(archives www.ydral.com)

En parcourant le joli palmarès de Gilbert Guignabodet, on constate que son passage chez Ydral n’a été qu’une courte parenthèse. Il n’a rejoint l’équipe que le temps de contribuer à son plus beau succès ! Sinon, il a couru sur d’autres marques : Guzzi 250 pour le Championnat de France, 350 AJS ou la prestigieuse 500 Gilera Saturno. Sur cette dernière, il a réalisé le meilleur temps absolu de la course de Côte Lapize en 1958. Dans les épreuves où il s’est illustré, qu’il soit au guidon d’une machine française, anglaise ou italienne, on le reconnaît facilement sur les photos des revues de l’époque grâce à la pureté de son style, mais aussi à son casque démesurément haut !

Notre parisien « descend »  ensuite dans le midi, à Toulon où il ouvre un petit atelier de réparation moto et il arrête la compétition en 1961 avec une troisième place au Championnat de France 350 Inter.

Gilbert Guignabodet va dès lors se consacrer à la préparation de motos pour de jeunes coureurs, dont certains se retrouveront plus tard sur des podiums aux Championnats du monde tels Jean-François Baldé et Patrick Pons. Les motos qu’il met au point sont des Suzuki, des Kawasaki puis des Yamaha alors qu’il vend des Honda ! Mais préparer des machines compétitives devient de plus en plus difficile et de plus en plus onéreux. Et la course, de l’autre côté de la barrière, lui donne de moins en moins de plaisir. « Je côtoyais des gens qui pensaient être à un niveau où ils n’étaient pas » regrette-t-il.  Il retrouve la motivation en 1974 lorsque son fils Jean-Louis se lance à son tour dans la compétition. Voilà la troisième génération de Guignabodet en piste. Jusqu’à ce que Jean-Louis devienne à son tour patron d’écurie et ce sera la saga du Championnat du monde d’endurance. Sur des Honda cette fois.

Sur une Norton 500 Manx avec laquelle il est le premier français classé à Magny Cours en 1961.(archives Jacques Bussillet)
Toujours en 1961, cette fois sur une 250 Aermacchi à Montlhéry.(archives Jacques Bussillet)

Un film et un site pour en savoir plus sur Gilbert Guignabodet : 

L’excellent site www.paddock-gp.com et le non moins instructif livre Ydral ou l’incroyable histoire du moteur d’Anatole Lardy écrit par la fille du constructeur Catherine-Sophie Bouillard à qui nous devons aussi le film ici en ligne sur les courses à Provins en 1958 avec en vedette la Libéria-Ydral carénée de Georges Agache et Gilbert Guignabodet.

Gilbert Guignabodet nous a quittés brutalement le 7 février 2022. Il avait 87 ans. Qui mieux qu'un de ses amis proches pouvait nous parler de cet homme qui fut l'un des grands personnages de la moto ? Je laisse donc la plume à Pierre Astier. Gilbert Guignabodet (source www.paddock-gp.com) Gilbert Guignabodet sur une Alcyon 175 [...]

Les « vraies » motos Koehler Escoffier

Les « vraies » motos Koehler-Escoffier. C’est du Salvat. Un pavé, indispensable pour tous ceux qui s’intéressent à la moto française des années 20 à 30. Indispensable pour trois raisons ! Primo, il n’y avait pas d’ouvrage sur Koehler Escoffier et l’œuvre de son géniteur Raymond Guiguet ; secundo, il y a tout ou presque dans celui-là, tertio, après une étude pareille sur la marque il est fort improbable qu’un autre livre lui soit un jour consacré. On admire les colossales recherches, la qualité du travail et le soin apporté aux photos, bien sûr. Koehler Escoffier n’est qu’une toute petite marque, mais elle fit de grandes motos. Merci, Bernard d’en avoir si luxueusement conté l’histoire.

320 pages, 900 photos, 2,9 kg, 4500 heures de travail pour les recherches, les "nettoyages" des photos, la mise en page, etc. et le tout pour 190 €.

Comme d’usage chez l’auteur, le style est un peu à l’ancienne (attention, je n’ai pas dit vieillot qui est péjoratif) avec des phrases parfois touffues et des mots devenus moins usuels. C’est du compact et dans le texte comme dans l’illustration (remarquable !), on sent sans cesse un désir d’exhaustivité. L’information est là, mais ça ne se lit pas vite. Au moins, si on compte la lecture au tarif horaire, vous en aurez pour votre argent avec les 190 € que coûte le livre. Il y a tout et souvent bien plus. J’avoue avoir glissé dans quelques digressions à mon avis parfois trop longues, voire (rarement) superflues. Pas grave, si, sur 320 pages, votre goût personnel vous pousse à en sauter quelques-unes, il n’y a pas mort d’homme. On notera à propos des dimensions que le format légèrement italien (26,2 x 29,7 cm) qui s’adapte fort bien aux photos de motos, est quasiment ce que les imprimeurs nomment le format Raisin ce qui s’impose bien sûr pour la Koehler ! Par ailleurs, vu les 2,9 kg de l’œuvre, on la lit assis à table plutôt qu’affalé sur un canapé et c’est bien meilleur pour le dos et pour le livre !

Comme vous pouvez vous en douter, Bernard nous a sorti beaucoup d'inconnues de ses tiroirs. Il présente ici la plus étonnante de ses découvertes, un moteur prototype de 350 cm3 bicylindre à compresseur étudié par Raymond Guiguet pour le Fonds de course moto en 1938.
Quand on vous dit que Salvat, c'est du lourd ! Curieux, j'ai pesé ses oeuvres dans ma bibliothèque. En oubliant "Les Side-cars" et en omettant la revue du Motocyclettiste et ses livres sur les tracteurs, on en est à plus de 13 kg.
Lambert sur Koehler Escoffier 500 au Grand Prix du Motocycle Club de Lyon, le 21 mai 1922] (BNF Gallica-Agence Rol)

La première partie du livre est consacrée aux hommes qui ont fait la grandeur de Koehler Escoffier, les créateurs la marque  Jules Escoffier et Marcel Koehler, l’ingénieur Raymond Guiguet, Edouard Grammont dit Eddoura, Marcel Chateau et Georges Monneret.

Raymond Guiguet à gauche et Marcel Chateau, à droite, derrière la Koehler Escoffier 350 à Montlhéry en 1930. (archives Jean Bourdache)
La 350 verticale à simple ACT ici avec Georges Monneret et sous les couleurs de Monet Goyon en 1937
LE pilote vedette de Koehler Escoffier, Eddoura ici avec la 1000 à Planfoy le 19 juin 1927. Curieusement l'immatriculation 9772 C4, vérifiée par le très méticuleux Bernard Salvat, est celle d'une 500 Mandoline en février 1924.
Le jury très international que je présidais au dernier concours de motos de la villa d’Este en 2019 a élu à l’unanimité (et je n’ai pas influencé leur choix) la 1000 Koehler Escoffier "Best of the show" car tous considèrent que c’est sans doute la plus belle de toutes les motos françaises, (même si celle primée affichait une différence d’âge entre cadre et moteur, ce qui m’a fait traiter d’incompétent par des spécialistes qui ne se sont pas demandé une seconde quels étaient les critères du jury). Qu’importe les détails de cet exemplaire ou d’un autre, je persiste, c’est la plus belle des motos françaises et je suis fort content qu’elle et ses sœurs aient aujourd’hui leur livre.

J’avoue quand même un petit regret (et c’est en général un parti pris de l’auteur dans ses livres) c’est que cette production des Koehler ne soit pas plus comparée à celle des belles étrangères et, à peine, à nos autres marques nationales. Moi, la question qui me turlupine c’est de savoir pourquoi, les motos anglaises et certaines suisses se sont si bien exportées en l’Europe et avec tant de succès ; pourquoi il y eut tant de concurrence, à l’intérieur de leurs frontières, en Italie ou en Allemagne, et comment les Françaises se situent par rapport au reste du monde. La réponse n’est pas évoquée ici (sauf à comparer les résultats dans les palmarès), pas plus que, dans le Terrot du même auteur, un livre-pavé tout aussi remarquable. « Bon, et bien, si t’es pas content, va te faire voir !« , va sans doute me dire Bernard Salvat dont on connaît le caractère… entier, mais pourtant si, je suis content, ravi même par cet ouvrage, mais j’eus préféré me passer de quelques photos de factures ou autres documents ou abréger un peu la vie de Chateau (au figuré, hein !), un pilote qui ne démérita pourtant pas. J’aurais aimé lire pourquoi, mécaniquement, financièrement ou politiquement, les Koehler, les Terrot et les Peugeot (à l’exception de ses 500 M1 et M2) n’ont pas plus souvent cherché à jouer dans a même cour que les Norton ou les Motosacoche. Où sont les différences en technique comme en performances ?

Mais, comme le dit souvent un autre de nos auteurs motocyclistes, tout ceci n’engage que moi.

Le livre « Les vraies » motos Koehler-Escoffier est à commander chez son auteur

Bernard Salvat, éditions E.B.S., 24 chemin de la Cache-Boulie, 71850 Charnay-les-Mâcon

Prix 190 € TTC, plus port sous une protection efficace : 10 €

Les "vraies" motos Koehler-Escoffier. C’est du Salvat. Un pavé, indispensable pour tous ceux qui s’intéressent à la moto française des années 20 à 30. Indispensable pour trois raisons ! Primo, il n’y avait pas d’ouvrage sur Koehler Escoffier et l’œuvre de son géniteur Raymond Guiguet ; secundo, il y a tout ou presque dans celui-là, tertio, après une [...]

Michel de Thomasson

La moto ancienne en France, voire le marché de la moto français en général, ne seraient pas ce qu’ils sont sans les constants efforts de Michel de Thomasson pour la promouvoir. Il vient hélas de nous quitter à l’âge de 91 ans.

Michel de Thomasson avec la Ratier C6S en 2007.

On aimait sa gentillesse, ses connaissances, sa culture, ses longs discours, son humour décapant… et son étonnant savoir-faire pour réparer les magnétos.

 

Les jumeaux Arnaud et Michel de Thomasson en 2007 derrière la C5S. "Mais c'est moi l'aîné" avait coutume de dire Michel.

Jeune, il fut un élève puis un étudiant extrêmement brillant, mais son grand-père maternel lui donna le virus de la mécanique et à l’électricité. Deux passions qui vont guider toute sa vie tant professionnelle que personnelle. Son attirance dès son adolescence pour la moto lui fait donc prendre une autre voie que celle à laquelle le destinait ses parents et les rapports furent parfois conflictuels comme le raconte un des fils : « Une escapade où il s’engage comme mécanicien. Un démontage en règle des interrupteurs de la maison pour réparer son train électrique, etc. Papa, fâché, l’envoie en pension… où il est fort bien traité, car il s’occupe activement de l’entretien de la moto du surveillant général ! »

Avec leur Gilera 500 Marte de 1942 à roue du side tractée, une rareté.

Spécialisé en électricité et dans ce qui deviendra l’informatique, il rentre chez Thomson-CSF qu’il ne quittera plus. Il débute sa carrière aux États-Unis à Minneapolis, où il développe les premiers tubes à mémoire… et rencontre son épouse. Il est par la suite directeur des affaires militaires et voyage dans le monde entier. Mais, chassez la moto, elle revient en pétaradant.

Un peu d’histoire

Dans l’immédiat après-guerre, la CMR reconstruit des BMW R12 avec le stock des pièces allemandes. La CEMEC prend sa suite en 1948 sur la même base, mais avec de plus en plus de pièces faites en France, ce qui donne la L7 produite à environ 1700 exemplaires puis la 750 culbutée C8.  En 1954, la CEMEC, en grandes difficultés financières, est rachetée par Ratier, célèbre fabricant aéronautique, inventeur de l’hélice métallique à pas variable et également établi à Montrouge, tout comme Thompson-CSF. La veuve de Paulin Ratier qui dirige l’entreprise n’a, on s’en doute, aucune expérience dans le domaine de la moto, mais le gouvernement lui a promis un contrat d’équipement exclusif de 1200 motos par an pour les CRS et les gendarmes, des quantités parfaitement rentables à l’époque. La première machine sort de Montrouge le 13 juillet 1960 et les livraisons des 1057 motos construites vont s’étaler jusque fin 1963. Malheureusement, la gendarmerie n’achètera jamais que 230 machines, le reste allant aux CRS et à l’école de gendarmerie de Fontainebleau. L’affaire devient très déficitaire avec environ 500 motos produites annuellement. Thomson-CSF rachète à la veuve de Paulin Ratier un important terrain indépendant de son usine de Montrouge (mais de l’autre côté de l’avenue Pierre Brossolette à Malakoff) et Ratier, totalement absorbé fin 1959, devient un département de CSF où Michel de Thomasson va enfin s’investir officiellement dans sa seconde passion : la moto. Tout semble pour le mieux dans le meilleur des mondes et la 600 Ratier C6S est d’ailleurs une belle moto, moderne, efficace et bien plus maniable que les BMW de l’époque auxquelles elles doivent d’ailleurs de moins en moins.

Arnaud et Michel de Thomasson en limande sur la Ratier 500 cm3 C5S de 1959 qui avait tout le potentiel requis pour donner à la marque ses lettres de noblesse.

Allons-nous enfin avoir une grosse cylindrée française ? Les quelque 500 machines achetées par les services de l’état sont loin de suffire, mais les dirigeants du département moto et Michel de Thomasson, alors en poste à New York, tentent désespérément d’étendre le marché. Les seuls vrais clients étant les CRS et gendarmes, Thomson-CSF profite de sa spécialité pour créer une C6S Radio équipée d’un émetteur-récepteur. Ratier tente aussi le Sport et l’export. Une 500 cm3 C5S de 35 ch développée pour la course remporte les Deux Heures de Paris aux mains d’André Nebout, enfin Michel convainc l’usine de se tourner vers les États-Unis. Une sublime C6S America construite à 5 exemplaires s’envole vers le Nouveau Monde, mais sa seule carrière publique se limitera au salon de Laconia dans le New Hampshire. Et puis, hélas, la CSF reçoit en 1959 une juteuse commande de radars aéroportés Cyrano pour équiper les Mirage. La décision est vite prise : le département moto est supprimé pour faire de la place et Michel de Thomasson, futur directeur général adjoint de Thomson-CSF, sera sans doute le seul à en prendre ombrage.

Motocycliste, par tout temps, Michel de Thomasson et Arnaud, son frère jumeau se passionnent aussi pour l’histoire de la moto et tout particulièrement des attelages militaires. Ils les collectionnent, les restaurent et les font rouler avec enfant et petits-enfants dans leur propriété de la Haute-Marne. Et puis, comme Michel n’est pas un garçon à faire les choses à moitié, il s’investit bien vite pour aider au développement de la moto et des véhicules de collection en général. Il est vice-président international de la FFVE, secrétaire général de la Fédération Internationale des Véhicules Anciens (FIVA) de 1996 à 2001, puis président de 2001 à 2007 et président de la Commission historique de la FIA de 2004 à 2015.

Merci Michel, tu nous as beaucoup donné et tu nous manques déjà.

Michel aimait expliquer et partager sa passion… ici autour d'une Saroléa 1000 de 1938.
Cours d'histoire autour de la BMW R73 de 1949, un savoureux cocktail assemblé par CEMEC autour du moteur 750 culbuté de BMW.
La moto ancienne en France, voire le marché de la moto français en général, ne seraient pas ce qu'ils sont sans les constants efforts de Michel de Thomasson pour la promouvoir. Il vient hélas de nous quitter à l'âge de 91 ans. Michel de Thomasson avec la Ratier C6S en 2007. On aimait sa gentillesse, [...]

La moto Renard

Yves Campion, grand spécialiste des motos Gillet Herstal, s’intéresse aussi à d’autres motos a fortiori si elles sont belges et encore plus si ce sont des moutons à cinq pattes. L’existence de cette moto Renard qu’il vient de sortir de l’oubli avait donc tout pour exciter sa curiosité.

 La moto de Goupil par Yves Campion.

C’est un fait unique dans la langue française qu’un prénom prenne le dessus sur le nom jusqu’à l’éclipser: Le goupil s’est effacé au Moyen Age à la suite d’une des premières œuvres destinées à un “grand” public: Le roman de Renard le goupil.

Notre héros du jour s’appelle donc Renard, Alfred de son prénom. Il naît à Bruxelles en 1895 et termine ses études d’ingénieur, spécialisation aéronautique, en 1920. Sa première création ne sera cependant pas dans ce domaine (sinon cet article n’aurait rien à faire dans ce blog), mais bien un deux-roues motorisé.

La découverte dans les très riches archives du fond Renard est très récente  et parmi une multitude de documents aviation, avaient échappés jusqu’ici ces photos et esquisses de motocyclettes absolument inconnues !

Chassez le naturel il revient au galop : la photo du premier modèle montre que la construction de la partie cycle fait appel à la technique du rivetage, commune sur les aéroplanes… métalliques qui n’existaient pas encore en 1920 !

Le principe de la fourche basculante n’est cependant pas un modèle d’avant garde, mais l’usage d’un moteur à cycle deux-temps, avec adjonction d’huile dans le carter, n’est pas encore fort répandu, les soupapes étant préférées ! Le cadre poutre soutient le propulseur dont on devine qu’il est monté en bloc avec la boîte de vitesses, sans doute, à deux rapports.

Le premier dessin représente un engin toujours à cadre poutre mais dont le moteur deux temps suspendu est à cylindre horizontal. Un ailettage généreux du cylindre se prolonge sur le moteur, comme le fit Riedel sur le moteur de sa Imme fin des années quarante.
 
Un deuxième dessin propose une véhicule beaucoup plus conventionnel dont seul le nom enchante : Fox Trott ! 
Un ultime bleu dessine cette moto plus précisément, avec une version mixte en surimpression.
 
Un tirage de plan bleu nous montre un cylindre aitetté horizontalement dont la culasse détachable comporte les chapelles de soupapes. La cylindrée semble être de 350 cm3  (aucun plan de vilebrequin n’accompagne ce dernier…) 
 
Il n’y a pas d’autres information à ce jour, mais le Fonds Renard regorge de trésors que cette association essaye de mettre en valeur.
Le prototype de 1920 à moteur deux temps. Le cadre poutre est d'une déconcertante simplicité.
Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple. Le moteur est enserré entre deux larges supports en tôle pliée boulonnés de chaque côté des carters tout en laissant le volant à l'air libre.
Sur ce dessin d'un "nouveau modèle" de Renard le cadre est toujours une simple poutre en tôle d'acier rivetée, à laquelle est suspendu cette fois un moteur deux-temps à cylindre horizontal dont l'ailetage généreux du cylindre se prolonge sur le la pipe d'échappement.
Un second dessin propose une moto beaucoup plus conventionnelle dont seul le nom enchante : Fox Trot !
Ce bleu n'est pas le moteur deux temps de la moto, mais un curieux quatre temps dont on ne connait pas la destination et qui possède la particularité d'avoir ses sièges de soupapes dans la culasse détachable et non dans le cylindre comme c'est habituellement le cas pour les quatre temps à soupapes latérales.

Pour conclure cette étonnante découverte, sachez qu’Alfred Renard fut un des premiers concepteurs d’avion à cabine pressurisée, tant dans l’aviation civile que militaire et que, point important et pas des moindres, il est le concepteur du fameux appareil d’acrobatie Stampe SV4B, celui qu’utilise Alain Delon pour tenter de passer sous l’Arc de Triomphe dans le film “Les aventuriers” avec Lino Ventura, Johanna Simkus et Serge Reggiani comme comparses

 

Le Stampe SV4
Yves Campion, grand spécialiste des motos Gillet Herstal, s'intéresse aussi à d'autres motos a fortiori si elles sont belges et encore plus si ce sont des moutons à cinq pattes. L'existence de cette moto Renard qu'il vient de sortir de l'oubli avait donc tout pour exciter sa curiosité.  La moto de Goupil par Yves Campion. C’est [...]