À peine sa brillante 350 V4C est-elle refusée, début 1948, par la direction tatillonne de la firme de Pantin, qu’Éric Jaulmes, directeur technique de Motobécane depuis 1946, lance un nouveau projet de bicylindre en tandem vraiment original, la 250 L3C d’où découlera la 350 L4C commercialisée de 1954 à 1960.
par François-Marie Dumas, photos et archives : Patrick Barrabès, famille Jaulmes, François-Marie Dumas • Un clic sur les photos pour les agrandir
• Plus rustique et moins massive, le prototype de la 250 L3C réalisé dès 1948 paraît tout frêle comparé à la 350 avec sa grande roue de 19″ dotée d’un petit tambour latéral, pas de carter de chaîne étanche et une batterie à l’air libre du côté gauche. Par rapport à la L4C qui suivit, cette 250 L3C était beaucoup plus légère et vive à piloter raconte Claude Jeunesse qui a longuement roulé avec le prototype.
• Le plan de la 250 L3C daté de novembre 1948 montre déjà, à échelle réduite, tous les choix techniques de la 350 LC4… à échelle réduite (Collection famille Jaulmes – Archives Patrick Barrabès)
1 879 exemplaires en sept ans
Étonnamment, tout commence dès 1948, un an à peine après la présentation de la 350 L4C en V à 45°. Les plans du projet L3C sont en effet datés du 15 novembre 1948. Il s’agit d’une 250 cm3 très légèrement plus grosse que la 175 Z2C monocylindre dont elle emprunte nombre de pièces. Trop chère sans doute en regard de sa cylindrée, cette 250 L3C reste au stade du prototype. L’idée n’est pourtant pas abandonnée pour autant et Éric Jaulmes, têtu, revient à la charge en 1951 avec une évolution en 350 cm3, la L4C. Plus économique que la V4C de 1947, cette nouvelle 350 est aussi moins sportive et moins apte à évoluer, ce qui la pénalisera après sa commercialisation. La L4C est présentée une première fois au salon de Paris 1952, sans qu’on en parle plus ensuite. Les fanatiques de la marque s’inquiètent. Ne sera-t-elle qu’un prototype de salon comme la V4C de 1947 ? Ouf, elle réapparaît au salon 1953, mais toujours sans prix annoncé. Elle est pourtant bien commercialisée en 1954 et restera au catalogue jusqu’en 1960 avec des ventes malheureusement en baisse constante dues à son manque d’évolution. 559 exemplaires en 1954, 799 en 1955, mais seulement 147 en 1956, 135 l’année suivante et respectivement 92, 99 et 48 en 1958, 1959 et 1960 où s’arrête définitivement la production. Il n’en a finalement été vendu que 1 879 exemplaires en sept ans. C’est peu, mais n’oublions pas que la totalité du marché français de la moto est alors en pleine décrépitude : 26 000 motos de plus de 125 cm3en 1951, 10 000 en 1956, 6 376 en 1958 en à peine 1 400 en 1960. Merci à la guerre d’Algérie qui garde les jeunes deux ans sous les drapeaux et aux assurances dont les tarifs explosent.
Mauvais calcul
Contrairement à la V4C, jugée trop sportive (au grand dam d’Éric Jaulmes), la L4C avait été plébiscitée par la direction commerciale : Erreur de marketing totale, car la calme vocation de grand tourisme de cette L4C sera l’une des raisons de son échec tout comme la même image trop sage pénalisera 18 ans plus tard la 350 trois cylindres deux temps de 1973 apparue en pleine crise du pétrole . Motobécane qui avait si bien compris que la Mobylette était en son temps le moyen de transport personnel à la portée de tous, aurait aussi pu penser que seule une moto sportive et excitante aurait pu séduire les jeunes pour qui les 2 ou 4 CV d’occasion devenaient abordables. La 350 L4C s’affiche à 230 000 F en 1954 alors qu’une 2 CV neuve vaut 350 175 F. L’année suivante la Motobécane passée à 265 000 F s’oppose à la 350 Jawa bicylindre deux temps, alors très à la mode, vendue 249 500 F, mais bien que moins chère, elle ne fait pas le poids face à une Anglaise comme la 500 A7 BSA à 340 000 F. La L4C (N4C chez Motoconfort) évolue bien peu au cours de sa carrière. Elle apparaît en marron et beige avec le dessus du réservoir chromé comme la Z2C au salon de 1952 avec un fort joli collecteur d’échappement ailetté qu’on ne verra jamais en série. La version du salon 1954 se distingue par un échappement deux dans un, les deux tubes se rejoignant à la hauteur de la fixation du bloc moteur, mais il ne s’agit que d’un essai, car les versions commercialisées auront, comme sur le catalogue, un collecteur très court en alu puis bronze d’alu rassemblant des deux sorties d’échappement. 1955 voit l’adoption d’une suspension arrière oscillante sur les 125/175 série Z, mais la L4C n’y a malheureusement pas droit ce qui la rend définitivement vieillotte. Elle adopte par contre une robe mastic et chrome plutôt seyante.
Technique d’exception
Toute l’originalité de la L4C réside dans son moteur dont la conception est aussi peu commune que, théoriquement, économique à réaliser comme, par exemple, le bloc en alliage léger avec ses deux cylindres chemisés rigoureusement parallèles et disposés en long dans le cadre. Le vilebrequin, largement dimensionné est aussi tout à fait classique tout comme sa disposition transversale. C’est dans l’embiellage que réside toute l’astuce. Il reprend le principe de certains deux temps à double piston. La bielle maîtresse, pour le cylindre avant, comporte une oreille sur laquelle s’articule une bielle secondaire pour le cylindre arrière. Seules les bielles travaillent sous un angle légèrement différent, et les points morts hauts des deux cylindres ont ainsi un décalage de 18°. Cette disposition a conduit à une autre originalité pour la commande des soupapes. Un couple de pignons à taille hélicoïdale sur l’extrémité droite du vilebrequin (pignon acier sur le vilebrequin et bronze sur l’arbre à cames) renvoie le mouvement sur un arbre à cames qui est donc parallèle aux deux cylindres et les cames actionnent tout à fait normalement les beaux culbuteurs en alliage léger par le biais de quatre tiges sur le côté droit des cylindres. Le carburateur unique et sa pipe d’admission dédoublée prennent place du côté gauche.
Ce bel artifice n’avait pourtant pas que des avantages. Le renvoi d’angle de l’entraînement d’arbre à cames était fragile et la L4C avait tendance à chauffer (curieusement plus du cylindre avant que de l’arrière où le piston était monté avec 2/100e de jeu supplémentaire de façon à éviter les serrages). Dans un louable souci de standardisation, de nombreuses pièces sont interchangeables avec les plus petits modèles de mêmes cotes internes. On sent encore bien les technologies d’avant-guerre et les économies d’après-guerre ! Seule la tête de la bielle maîtresse tourne sur galets ; la bielle secondaire est sur bague bronze tout comme les pieds de bielle. Seuls la boîte, l’embiellage et l’arbre à cames bénéficient d’un graissage sous pression. La culbuterie, comme sur les 125/175 de la marque, se contente d’un brouillard d’huile.
Très appréciée par son silence et sa grande souplesse, la L4C pêche par des performances trop modestes ; 110 km/h assis, et 122 avec une position en limande bien peu en rapport avec cette machine ! Le confort de sa suspension arrière obsolète est aussi critiqué et, c’est le plus grave, de gros problèmes de fiabilité des premières séries contraignent la Motobécane à limiter le rythme de production initialement de 10 exemplaires/jour. L’usine revient à in montage quasi-artisanal en 1957 et la L4C est enfin fiabilisée, sans pour autant se refaire une réputation, mais en perdant les économies de fabrication promises par son concept technique. Autant d’arguments négatifs qui font que Motobécane abandonne ses projets de modernisation du modèle avec un moteur modifié promettant 140 km/h et, enfin, une suspension arrière oscillante.
Fiche technique Motobécane L4C 1954
Moteur 4 temps à 2 cylindres verticaux en tandem refroidis par air– 349 cm3 (56 x 70,8 mm) – Soupapes culbutées – 18 ch /5 850 tr/min – Compression 6,8 à 1 – Carburateur unique Gurtner puis Amal Ø 22 mm – Allumage par volant magnétique 6V 60 W – Transmissions primaire par pignons à denture oblique, secondaire par chaîne sous carter étanche – Embrayage multidisque humide – Boîte 4 rapports – Cadre simple berceau dédoublé – Suspension avant télescopique hydraulique – Suspension arrière coulissante – Freins à tambour simple came Ø 170 mm – Pneus 3,50 x 18″ – 145 kg – 122 km/h
Je vous renvoie aux commentaires pour lire ceux de Jean-Pierre Besson qui s’est penché sur le calage très particulier de ce moteur, jusqu’à en faire la simulation sur YouTube qui apparaît ci-dessus.