#3: Le twin à l’horizontale relève la tête

Après les premiers du genre et la Moto-Bécanette, suivis par les twins à l’horizontale des années 50, Rumi en tête, voici le troisième et dernier chapitre de l’histoire des moteurs à deux cylindres parallèles et horizontaux. Dix ans après les succès des Rumi et Motobi, le Japon, l’Italie et même le Canada tentent, encore sans succès, de relancer le concept. En deux-temps bien sûr, car en quatre-temps, si on fait abstraction des motos de course comme l’Ultima Lyonnaise ou la Lino 500 de Lino Tonti, il faudra attendre le Yamaha 500 T-Max en 2000 pour voir renaître le bicylindre à plat.

Photos ou archives François-Marie Dumas/motocollection.org sauf mention contraire

Clic sur les liens en bleu pour accéder aux fiches concernées et aux caractéristiques techniques –  Résumé des chapitres précédents   V

Riedel Till 150 – 1950

Je bats ma coulpe, les Till et Imme créés par Norbert Riedel ne devraient pas être là, mais dans le chapitre précédent puisqu’ils datent respectivement de 1950 et 1951. Oubli réparé, les voici en supplément à l’article sur les Imme 100 monocylindres paru il y a quelque temps sur ce blog.

Passionné par le véhicule populaire, Norbert Riedel voit avec autant d’intérêt que d’inquiétude le succès explosif du scooter et tente illico de transposer sur petites roues le concept minimaliste de son Imme. Ainsi naît en 1950 le très curieux scooter Till, et comme on dénombre alors plus de seize millions de personnes qui vont au cinéma en Allemagne, Norbert Riedel décide de lancer son dernier né sur le grand écran en faisant apparaître le Till dans le film de 1950 La fiancée de la forêt noire (‘Schwarzwald mädel’) tiré de l’opérette du même nom dont le tournage s’effectue du 1er mai au 3 juin 1950. Le Till présenté en grande pompe dans toute la presse internationale en 1950 est animé soit par le 100 cm3 soit par un tout nouveau moteur bicylindre de 150 cm3 (alésage x course : 48 x 51 mm) doté pour la circonstance d’une turbine de refroidissement. Le Till annonce alors 6 ch à 5 000 tr/min, 80 kg et 80 km/h avec une grande souplesse de fonctionnement. L’embrayage est commandé soit à main soit par pédale au pied. Les roues de 8 pouces sont bien entendu montées en porte-à-faux.

Les grandes difficultés financières de l’entreprise mettent malheureusement fin au projet après qu’il n’en a été construit que quelques unités avec d’ailleurs deux carrosseries différentes. Nul ne saura jamais si le Till, mort-né ou presque, aurait pu être un succès, mais il aurait eu fort à faire face aux Vespa et Lambretta, il faut l’avouer un poil plus aguichants.

Le Till est lancé dans le film de 1950 « La fiancée de la forêt noire “(‘Schwarzwald mädel’) tiré de l’opérette du même nom. Cette photo est prise durant le tournage.
Le Till dans sa première carrosserie pose avec un modèle et Norbert Riedel (archives Steffen Riedel)
Daniel Rebour a immortalisé le Till dans sa version bicylindre à carrosserie redessinée.
Le bicylindre est ici refroidi par turbine et l’avant de la coque arrière est amovible.

Riedel Imme 150 – 1951

Rien ne se perd, en mai 1951, Riedel élargit sa gamme moto avec un modèle utilisant le même bicylindre de 150 cm3. Seul le moteur diffère de l’Imme mono et Riedel proposera d’ailleurs une possibilité d’échange standard pour transformer les Imme 100 en Imme 150 bicylindre. Pour prouver ses performances le 29 mai 1951, Riedel emmène son bicylindre sur le circuit d’Hockenheim où les Imme 150 couvrent 552 km à 70 km/h de moyenne en dépit d’un fort vent tandis que deux Imme 100 parcourent la même distance à 60 km/h de moyenne.

Hélas, la crise qui sévit alors en Allemagne touche la jeune entreprise de Norbert Riedel de plein fouet d’autant plus que les nouveaux Imme bicylindres et Till ne rencontrent guère de succès. Riedel passé sous contrôle judiciaire en 1950, est déclaré en faillite en 1951 et licencie une grande partie de son personnel en avril de cette année noire. Les efforts incessants de Riedel pour trouver de nouveaux débouchés à ses produits se soldent par une succession d’échecs. En Allemagne, le bicylindre Imme est ainsi vendu à Fritz Fend pour des voiturettes d’infirmes, mais il ne sera pas repris sur les fameux Messerschmitt à trois et quatre roues créés ensuite par le même ingénieur ex-pilote de la Luftwaffe.

Le stand Ladeveze au salon de Paris 1952. Les Imme sont en vedette à droite avec une 150 entourée de deux 100 et on admire au passage chez ce grand motociste et importateur parisien, les gammes Victoria, Rixe, Universal et Ariel.
Le bicylindre Imme de 150 cm3 sur la moto et le scooter.
La Riedel Imme 150 bicylindre se distingue par un carter moteur dont les fausses ailettes prolongent celles du cylindre. (archives Steffen Riedel)
Côté volant magnétique, seules les deux bougies permettent de différencier au premier coup d’œil le twin du mono. (archives Steffen Riedel)

Stella 150 – 1951

La plus étonnante réalisation sur base Riedel arrive en France au salon de Paris d’octobre 1951 où la marque nantaise Stella, célèbre pour ses vélos équipant Louison Bobet, tente ainsi d’entrer dans le monde du deux-roues motorisé. On suppose que l’ensemble de sa partie cycle à suspensions avant et arrière monobras sont directement empruntés au Till et il s’annonce au choix avec le moteur Riedel 125 mono ou 150 bicylindre. Un bel exercice de style et un moteur plein de promesses, mais, pas de chance, son élégant scooter à double queue façon Cadillac qui ne vivra que le temps du salon.

 

Présenté au salon de Paris en 1951, le scooter Stella marque l’entrée de la marque dans le monde motorisé. On voit derrière la gamme des vélos de la marque et son sigle bien français avec un coq sur un globe terrestre.
L’arrière du Stella s’orne d’une superbe double queue inspirée des voitures américaines.

Showa 350 Marina 1956

La marque japonaise Showa Works ltd (à ne pas confondre avec Showa Aircraft Cy) est surtout connue pour la série de sa gramme « Cruiser » en quatre temps sortie à partir de 1954, mais la firme commit aussi quelques deux-temps dont cette formidable Marina dotée d’un beau bicylindre horizontal ovoïde dont Motobi n’aurait pas à rougir, d’un étonnant cadre coque en tôle (d’acier ?) et juchée sur des petites roues de 16 pouces.  Présentée en 1956, cette 350 cm3 bicylindre (62 x 58 mm) promettait 22 ch à 5500 tr/min et 110 km/h pour un poids de 153 kg. Sa production n’est pas confirmée et Showa associé à Hosk en 1959 passera dans le giron de Yamaha en 1960. Dommage, Yamaha utilisera les ex-usines Showa, pour construire ses plus grosses cylindrées, mais ne reprendra pas les idées testées avec la belle Marina.

L’étonnante Japonaise Olympus 250 de 1960 offre un design très abouti avec son cadre en tôle emboutie sous lequel est suspendu le moteur en porte-à-faux. Une espèce de super Taon Derny en quelque sorte. (photo Motorcyclist)
La construction du Showa Marina de 1956.

Olympus 250 twin 1960 & 370 tricylindre 1962

Quatre ans plus tard, en 1960, c’est au tour d’Olympus d’entrer dans le clan très fermé des constructeurs de twins deux temps à l’horizontale. La marque établie à Nagoya a débuté en 1952 avec des monos quatre temps très inspirés par AJS. Elle se tourne ensuite vers le deux-temps en 1957 avec ses 250 Crown réplique des 350 IFA-MZ flat twins puis change une nouvelle fois son fusil d’épaule et présente une fort élégante 250 cm3 tout en rondeurs à deux cylindres horizontaux avec, comme tout le monde ou presque, les cotes classiques de la DKW 125 (52 x 58 mm). Cette belle Nippone baptisée SH et produite en très faible quantité, arbore un superbe réservoir ovoïde et annonce des performances plus qu’alléchantes : 21 ch, 155 kg et 150 km/h. Mieux encore, elle se décline fin 1961 avec une exceptionnelle version 370 cm3 à trois cylindres à plat dont seul le poids est communiqué, 170 kg. L’originalité ne paie malheureusement pas toujours. La tricylindre ne sera jamais vendue et Olympus cesse toute production à la fin de cette même année 1962.

Le croiriez-vous ! Cette photo a été piquée sur Le Bon Coin ou Ebay, je ne me souviens plus, où cette rarissime Olympus 250 SH de 1960 était en vente dans notre pays où elle n'a jamais été importée. Si l'heureux acquéreur me lit, qu'il se fasse connaitre.
L'Olympus 370 SH tricylindre de 1961 sera le chant du cygne de la marque. Ce beau dessin est emprunté au rare livre Autobike Graffiti publié au Japon dans les années 80.

MV Agusta 150 – 1967

Surprise, cinq ans plus tard au salon de Milan de 1967, c’est MV Agusta, qui relance l’idée d’un twin (presque) horizontal. Hélas, cette étonnante machine ne vit que le temps d’un salon et même les journaux italiens de l’époque ne la décrivent qu’en quelques lignes. Le culte du secret est une règle dans l’usine de Gallarate et nul n’en saura plus que les quelques chiffres donnés en pâture aux journalistes en 1967. MV Agusta qui a déjà étonné deux années plus tôt avec sa 600 GT, le premier quatre-cylindres transversaux jamais produit en série, va à l’encontre de toutes ses habitudes en présentant ce 150 cm3  Bicilindrico (et pas bicilindrica, sans doute pour bien noter la virilité du modèle !). Les cylindres inclinés à 45° sont, affirme l’usine, alimentés par des distributeurs rotatifs (pourtant très décrié par le comte Agusta) sans qu’on sache comment ce dispositif, invisible sur les photos, est installé. La boîte est à cinq rapports et le bicilindrico annonce des performances brillantes pour son époque avec 12 ch à 8 000 tr/min et 125 km/h. La partie cycle est tout aussi inhabituelle pour MV Agusta tout du moins dans sa partie avant avec le moteur en porte-à-faux accroché (comme pour les motos Rumi) sous un double berceau interrompu en tubes. La partie arrière du cadre est par contre typique de MV avec deux crosses en tôle emboutie qui supportent les combinés de la suspension oscillante, un schéma de construction utilisé par la marque depuis sa première 125 à suspension oscillante en 1947.

La MV Agusta 150 bicilindrico pose fièrement devant toutes les coupes remportées par la marque pour son unique apparition publique au salon de Milan 1967.
Toute la partie arrière de la MV 150 semble empruntée aux autres modèles de la gamme et le réservoir est celui apparu en 1965 sur le Liberty, le 50 Supert Sport de la marque. On aperçoit au fond l’arrière de la 500 quatre cylindres de Grand Prix.
Un Rumi ? Non ! une MV en 1967.

Suzuki 90 Wolf & 125 Leopard – 1969

En est-ce fini à jamais des bicylindres (presque) horizontaux ? Non ; deux ans plus tard Suzuki relève le gant et présente au salon de Tokyo de 1969 sa Wolf 90 cm3, le plus petit bicylindre dans sa catégorie, qui annonce fièrement 10,5 ch à 8 500 tr/min. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que le twin horizontal renaisse en ce pays et sur une aussi petite moto, car, pour les petites cylindrées, la mode au Japon d’alors est aux cylindres à plat que ce soit en deux temps chez Yamaha et Suzuki comme en quatre temps avec les Honda 50 et 70 cm3 du Cub au Dax en passant par les SS. Normalement les plus grosses cylindrées relèvent la tête et seul Suzuki gardera la même disposition en montant en gamme.

La T90 Wolf se double la même année de la T125 Flying Leopard qui est importée chez nous sans y connaître un grand succès. Sa frêle silhouette n’arrive pas à séduire la clientèle des 125 qui veut au contraire avoir le vélomoteur le plus imposant possible. Dommage, car il est, tout compte fait, peu de motos qui apportent un style radicalement nouveau et la série des T 90 et T 125 Suzuki, qui se démarquent de toute la production existante par leur style comme par leur concept, méritent à ce titre une place d’honneur dans l’histoire.

Ces deux petits cubes sont remarquablement fins et élancés, avec une parfaite homogénéité entre tous les éléments. Bloc moteur souligné d’ailettes sur les carters, échappements relevés, réservoir en lame de rasoir et selle dans le prolongement, toutes les lignes, anguleuses, sont horizontales et donnent aux T 90/125 une grande dynamique.

Les Wolf et Flying Leopard apportaient un style vraiment nouveau. Ce modèle T90 Wolf de préproduction en 1969 possède un petit écran au-dessus du phare
Suzuki s’est-il inspiré du prototype MV de 67 pour faire ses 90 et 125 T de 1969 ? La ressemblance est impressionnante. Le MV se distingue par ses cylindres alu et son alimentation (à distributeur rotatif dit-on) dissimulée sous un gros bossage derrière les cylindres.
La plus belle version de la 125 Flying Léopard à échappements relevés : Une sobriété exemplaire. La machine est si fine que l’ensemble compteur-compte-tours paraît plus large que le réservoir.
En 1972 et 73, Suzuki n’importe plus en France que sa T 125 Flying Leopard à échappement bas, mais cela ne suffit pas à relancer ses ventes. (Les amateurs auront noté l’aile arrière de Facel Vega au fond à droite).

Can-Am 500 – 1976

Le groupe Bombardier, au départ « Autoneige limitée Bombardier » est né à Valcourt au Québec en 1942. Après avoir inventé et développé la motoneige moderne, le groupe rachète Rotax en 1969 et s’investit timidement dans la moto avec des modèles d’enduro sous sa marque Can-Am dans les années 70. La firme pense même sérieusement à venir chatouiller les Japonais et leurs motos routières en présentant en 1976 ce très beau prototype 500 cm3 bicylindre horizontal qui, personnellement, me fait toujours rêver. Les nouvelles réglementations anti-pollution mettront définitivement fin au projet et il faudra attendre quelques dizaines d’années avant de voir revenir Can-Am sur le bitume avec cette fois des trois-roues, mais, ça, c’est une autre histoire.

Beaucoup d'entre nous se souviennent de la Can-Am 500 de 1976, malheureusement , il n'en reste que cette photo.
Après les premiers du genre et la Moto-Bécanette, suivis par les twins à l'horizontale des années 50, Rumi en tête, voici le troisième et dernier chapitre de l'histoire des moteurs à deux cylindres parallèles et horizontaux. Dix ans après les succès des Rumi et Motobi, le Japon, l’Italie et même le Canada tentent, encore sans [...]

Twins à l’horizontale: Les années 50

Le bicylindre horizontal n’a pas fait recette avant-guerre. Après une timide apparition dans les années vingt, il a fallu attendre près de trente ans pour que cette disposition réapparaisse, et encore, essentiellement en deux temps. On s ‘arrête ici aux années 50. Suite dans un prochain numéro…

Texte, photos et archives François-Marie Dumas sauf mention contraire

Rumi

En 1949 Pietro Vassena, ingénieur aussi original que génial, signe un accord avec le comte Donnino Rumi qui possède une fonderie à Bergame pour étudier une moto légère. La toute première Rumi est présentée au salon de Milan de 1949 avec un bicylindre horizontal deux-temps doté d’une admission rotative au travers du vilebrequin et monté dans une partie cycle d’emprunt.

Pietro Vassena n’étant guère enclin à faire les concessions nécessaires dans un travail d’équipe, l’industrialisation du prototype est ensuite réalisée sans lui. La première Rumi commercialisée, qui apparaît au salon de Milan en 1950, a ainsi perdu son admission rotative et gagné une partie cycle maison plutôt réussie. Rumi décline ensuite ce moteur avec le succès que l’on sait dans de multiples versions en découvrant au passage la vraie vocation de cette disposition : le scooter,  avec son twin horizontal utilisé comme élément porteur et caché dans la poutre centrale. C’est en effet la seule façon d’avoir à la fois des masses bien réparties et centrées au milieu de la machine et un cadre, certes sans vrai plancher plat, mais quand même ouvert. Un scooter en quelque sorte. Rumi invente ainsi avec ses fameux Formicchino, les premiers vrais scooters sportifs. La marque à l’ancre n’oublie pas pour autant les motos avec ses versions GT, Sport et Gobetto sur lesquels je reviendrai d’ailleurs un jour. Rumi faillit même s’inscrire parmi les très rares constructeurs de bicylindre quatre temps horizontal en présentant un prototype de course à deux ACT entraînés par train d’engrenages en 1954, mais l’étude resta sans suite.

Le premier Rumi commercialisé en 1950 a trouvé sa partie cycle définitive. Le moteur est porteur est suspendu sous un double berceau avant interrompu.
Premier prototype du moteur Rumi à distributeur rotatif conçu par Pietro Vassena et monté dans une partie cycle de moto Amisa en 1949.
Magnifiquement sobre dans cette version de 1951, le Rumi Sport annonce alors 8,5 ch à 6 000 tr/min, 90 kg et 100 km/h. Le modèle évolue jusqu'en 1958, la selle suspendue associée à un tand-sad est vite remplacés par une selle biplace et, en 1956, un capotage de phare en fonderie d'aluminium remplace celui en tôle des premières versions (Photo Giorgio Sarti)
Le Rumi, c’est aussi ça ! version course en livrée jaune et blanc, le Gobetto SS52 de 1954.
Succès en course comme aux concours d’élégance pour le Rumi Formicchino (ici en 1955 dans sa version distribuée en Belgique sous label Saroléa Djinn)

Carniti

De son côté l’ingénieur Vassena continue dans la même voie. Financé par Carniti, un nouveau mécène, qui ne donnera finalement une suite commerciale à aucun de ses projets, il présente au salon de Milan de 1953, l’Automotoscooter, un étonnant (et sans doute le premier) trois cylindres horizontaux de 187 cm3 qui reprend les côtes du Rumi (42 x 45 mm) et utilise une transmission à variation continue avec deux arbres télescopiques entraînant la roue arrière flasquée via des galets caoutchouc !

Tricylindre cet Automotoscooter Carniti, n'a à dire vrai aucune raison de figurer dans cette liste, mais où le mettre alors ? Cette réalisation délirante de multicylindre horizontal est due à l’ingénieur Pietro Vassena qui conçut le moteur des Rumi. (Photo Giorgio Sarti)
La transmission s’effectue par deux arbres télescopiques…
qui transmettent le mouvement par friction sur la roue arrière flasquée. (Photos Giorgio Sarti)

Motobi

Bien que l’Italie soit traditionnellement portée sur les moteurs horizontaux et inspirée en particulier par les monocylindres quatre temps de Moto Guzzi, dont le premier modèle est commercialisé en 1921, on y compte apparemment que deux autres bicylindres parallèles à plat. Le plus connu apparaît en 1952 chez un autre chantre de l’horizontal, la firme Motobi fondée en 1950 par Giuseppe Benelli qui vient de quitter la marque familiale. C’est au départ une 200 cm3 qui inaugure la ligne ovoïde du moteur qui deviendra sa marque de fabrique. Le modèle vendu perd malheureusement (?) son très curieux dispositif d’alimentation des versions de préproduction où le volant moteur central percé de conduits radiaux fait office de distributeur rotatif pour les deux cylindres (Dispositif repris en 1967 sur l’Alpha 250 Century en Grande-Bretagne). La B200 devient 200 Spring Lasting en 1953 avec une boîte quatre vitesses puis 250 Spring Lasting Gran Sport ou Sport Speciale à deux carburateurs en 1955.

Le Motobi bicylindre Spring Lasting dans sa version de 1954 en 200 cm3. Devant une telle pureté des lignes, on se demande bien pourquoi il n'y eut pas plus de bicylindres horizontaux.
Cette 250 Motobi Spring Lasting de 1955 reste une des motos marquantes de son époque avec son moteur ovoïde suspendu sous un cadre poutre de section rectangulaire en tôle.

Aermacchi

Un autre twin deux-temps à plat est créé par Lino Tonti pour Aermacchi en 1954 . Comme il le fera en 1969 pour réaliser sa fameuse Linto 500, un horizontal twin quatre temps de compétition basée sur le monocylindre Aermacchi 250 Ala d’Oro, le célèbre ingénieur a ici accouplé deux moteurs du Cigno 125 cm3, le scooter à grandes roues avec lequel il a fait ses débuts chez la marque de Varèse en 1950. Seul le carter central change, les deux vilebrequins sont accouplés et les cylindres calés à 180°. Dérouté sans doute par son esthétique, les Italiens bouderont ce curieux hybride que l’usine de Varèse baptise pourtant moto de sport bien que son allure fasse plutôt penser à une sorte de scooter avec de larges pare-jambes en tube et tôle et un double berceau supérieur façon chaise longue de Charlotte Perriand auquel est suspendu le moteur, accolé à la roue arrière. Seule la présence du réservoir en goutte d’eau fait classer l’engin dans les motos plutôt que dans les scooters. Et vous ne savez pas le pire, ils ont dû mettre un tube soudé à l’intérieur de ce réservoir pour assurer la rigidité du cadre ! Cette identité androgyne n’est sans doute pas pour rien dans les très maigres ventes de cette Bicilindrica estimées à environ 140 exemplaires.

L'accouplement des deux Cigno d'Aermacchi n'a pas eu le résultat escompté et il ne se vendra à peine plus d’une centaine d'exemplaires de l'Aermacchi 250 Bicilindrica.
Moto androgyne, l'Aermacchi 250 Bicilindrica a une esthétique aussi curieuse que tourmentée. Les suspensions oscillantes avant et arrière reçoivent des amortisseurs oléopneumatiques.
Le bloc moteur est oscillant comme sur la grande majorité des scooters d’aujourd’hui et ce sont les tubes d’échappement que servent de bras oscillant. Une combinaison assez souvent tentée avec un fort taux d’échec dû à la corrosion des échappements.
Le moteur est réalisé à l’économie avec deux vilebrequins de Cigno accouplés.

Linto

Son créateur Lino Tonti semble pourtant si amoureux de sa création qu’il réalise pour son usage personnel, une version très spéciale à la carrosserie tourmentée dans le style des délirantes voitures américaines de l’époque qu’il baptise  “Marilina” en hommage à la célèbre actrice. Une seule petite photo aujourd’hui, mais n’ayez crainte, j’y reviendrai !

L’incroyable Linto Marilina un réhabillage et « tuning » complet de la Bicilindrida Aermacchi que Lino Tonti réalisa, dit-on, pour son voyage de noces dans les Carpates. (Photo Bruno des Gayets)

Bernardet

Pas la peine de se moquer du peu de ventes de la Bicilindrica Aermacchi, en France, notre constructeur national Bernardet battra ce record avec ses Guépar bicylindres. Initialement baptisé Jaguar, ce qui ne plût pas du tout à la marque automobile éponyme, ce scooter élégant, mais sans grande originalité, sera lancé sous le nom de Guépar sans D, au salon de Paris 1955 en 125 monocylindre et, surtout, avec un nouveau bloc bicylindre horizontal en 125 et 200 cm3. Alors que le Guépar monocylindre annonce 5 ch, les bicylindres qui ne pèsent que 78 kg revendiquent respectivement 6,2 ch à 6000 tr/min et 87 km/h pour le 125 et 10 ch à 6 000 tr/min et 100 km/h pour le 200. Leurs cylindres sont chromés dur et les Gépar sont disponibles avec une boîte manuelle à trois rapports ou la fameuse Servomatic qui passe pour l’occasion de deux à quatre vitesses. Pas de levier d’embrayage, ni de commande tournante des vitesses au guidon, une simple pédale au pied donne le choix entre trois positions, couple ville, point mort, couple route. Le système Servomatic comprend un double embrayage automatique centrifuge qui assure le démarrage et le passage automatique du rapport 1 au rapport 2 sur les couples ville et route. La partie cycle est tout à fait moderne avec cadre composé d’un simple gros tube et une coque acier participant à la rigidité. Le bloc moteur-transmission est oscillant comme sur nos scooters modernes avec un monobras arrière faisant office de carter étanche pour la chaîne duplex de transmission secondaire.

D’une ligne heureusement plus légère que les séries précédentes les Guépar promettent l’élégance des Vespa, la vivacité des Rumi et l’équilibre des Lambretta. Bien qu’offerts à des prix tout à fait concurrentiels, ils arrivent, hélas, trop tard sur un marché dominé par les Italiens fabriqués en France et la firme Bernardet-Le Poulain en grandes difficultés financières finira par déposer son bilan en 1959.

La publicité prévue au départ sous l’appellation Jaguar
Séance de photo publicitaire pour le Guépar, mais cette vue avec la passagère en amazone ne sera pas retenue. La béquille n’est même pas relevée et on voit dans le fond un appareil photo sur trépied !
L'élégance d'un Vespa, l'équilibre d'un Lambretta et un moteur digne des Rumi… le rêve de Bernardet était trop beau .
Le Guépar fait partie d’un échantillonnage très complet des scooters français exposé au musée de l’auto, de la moto et du vélo à Châtellerault.

Febo

Il n’y a apparemment pas d’autre cas de bicylindre deux temps horizontaux ayant connu une réussite commerciale dans le monde de la moto, mais quelques exemples aussi éphémères qu’originaux. La palme revient au scooter espagnol Febo en 1951.

Le moteur bicylindre deux-temps est alimenté par un unique carburateur Dell’Orto. Les bielles sur aiguilles sont montées en porte-à-faux (comme sur la Scott) et deux roulements encadrent le volant moteur central. Ce volant fait également office de ventilateur et aspirant l’air sur un cylindre pour le souffler sur l’autre ! Sans commentaires.

On est bien parti côté originalité et ça continue avec la transmission. Pignons hélicoïdaux pour la transmission primaire comme pour la boîte à quatre rapports toujours en prise sélection par billes et changement de rapport au guidon couplé avec l’embrayage multidisque en bain d’huile. Cerise sur le gâteau, la transmission secondaire se compose de trois courroies trapézoïdales placées côte à côte dans un carter en alliage léger qui fait également office de bras oscillant.

La partie cycle n’est pas en reste avec un cadre monocoque en tôle emboutie reposant sur un double berceau ouvert en longerons de tôle ajourés. La suspension avant est télescopique avec ses deux tubes du côté droit de la roue montée en porte-à-faux. Un bras contient le ressort, l’autre l’hydraulique. À l’arrière, également monobras et monoamortisseur, c’est tout le bloc moteur–transmission qui est articulé comme sur tous nos scooters modernes. Et ce n’est pas tout… l’avant forme coffre comme le fera plus tard Peugeot avec ses S55-57, mais il est ici assez large pour contenir une roue de secours de 4,00 x 8  » posée à plat. L’arrière de cette carrosserie d’un concept très automobile offre lui aussi un grand coffre tandis que le siège du pilote se soulève pour déplier un siège passager. Les roues en alliage sont à jantes démontables.  Comme on peut s’en douter, la production du Febo restera ultra confidentielle. Si sophistiqué qu’il soit, le bicylindre parallèle et à plat n’a décidément pas l’heur de plaire. À la fin des années cinquante seul les Rumi et, dans une moindre mesure, les Motobi Spring Lasting ont eu un succès commercial.

Véritable petite voiture sur deux roues le Febo 125cumule les originalités, mais sa production est restée ultra confidentielle. En reste-t-il seulement un dans un des si riches musées espagnols ? Si, oui, écrivez-moi vite et je m’y précipite une fois déconfiné.
Les scooters Febo existent toujours nous prouve une rapide recherche sur internet et en voici la preuve, nettement moins sophistiquée que le glorieux ancêtre qui n’a sans doute aucun rapport de parenté.

… à suivre.

Le bicylindre horizontal n'a pas fait recette avant-guerre. Après une timide apparition dans les années vingt, il a fallu attendre près de trente ans pour que cette disposition réapparaisse, et encore, essentiellement en deux temps. On s ‘arrête ici aux années 50. Suite dans un prochain numéro… Texte, photos et archives François-Marie Dumas sauf mention contraire Rumi [...]

Moto-Bécanette Spada, le premier bicylindre horizontal deux temps

Twins : Faut-il en faire un plat ?

Les bicylindres parallèles et horizontaux sont presque une exception dans l’histoire. Pourquoi ? … c’est ce dont il est question ici en commençant par les deux premiers du genre la Hildebrand & Wolmuller en 1894 et la Moto-Bécanette Spada en 1922, véritable ancêtre des fameux Rumi des années 50..

L’invention du bicylindre parallèle horizontal remonte à 1894 avec la Hildebrand et Wolfmüller allemande, l’une des premières motos construites en série de 1894 à 1897, et la Kane-Pennington américaine (ci-contre) qui resta à l’état de prototype. C’est sans doute l’équilibre précaire du modèle monoplace réalisé qui poussa le constructeur à projeter cette version triplace pour rajouter ainsi un peu de poids sur l’avant.

 

Hildebrand & Wolfmüller, les inventeurs de la moto éponyme affirment en avoir construit quelques centaines d’unités. Le coureur cycliste écossais H.O. Duncan et l’industriel français Louis Superbie qui ont acheté la licence pour la France diront, en 1897, en avoir construit plus de 50 exemplaires siglés « Duncan & Superbie ». En fait il s’avère que c’est l’usine qui en produisit une cinquantaine et aucune ne fut faite en France.

Une précision pour commencer cette revue des bicylindres parallèles à cylindres horizontaux, on ne parle ici, que des motos et scooters de série et pas des machines de compétition. En quatre-temps l’histoire est vite réglée si on fait abstraction des motos de course, 500 Linto, 500 Ultima et autres phénomènes du genre.

Ironie de l’histoire, deux des tout premiers pionniers de la moto sont des bicylindres parallèles et horizontaux. La Hildebrand & Wolfmüller de 1894 qui s’annonce également comme l’une des premières motos produites en série et la Kane-Pennington de la même année (ou de la suivante selon les sources) qui, bien que restée à l’état de prototype, doit être considérée comme la première moto américaine. Les deux ancêtres sont toutefois un peu hors concours dans notre étude du jour. Si leurs cylindres sont en effet bien horizontaux et parallèles, au milieu du cadre pour l’Allemande et, en porte à faux derrière la roue arrière pour l’Américaine, leurs bielles s’articulent directement sur un maneton fixé sur la roue arrière qui fait office de vilebrequin !

Sauf erreur de ma part, il faut ensuite attendre 106 ans pour voir apparaître un autre « horizontal parallel twin » ! Il s’agit du 500 cm3 T-Max Yamaha présenté en 2000 et dont je ne parlerai pas non plus ici, bien qu’il me soit fort cher, mais il n’est pas encore « collector ». Soulignons quand même l’exception d’une nouvelle disposition moteur plus d’un siècle après les débuts de la moto… Pourquoi donc une telle désaffection des constructeurs ? Les quelques ingénieurs interrogés sur cette absence citent essentiellement la longueur d’un tel moteur alors que leur but est de limiter l’empattement au maximum tout en augmentant (sur les motos modernes) la longueur du bras oscillant. Seul l’encombrement réduit en hauteur a finalement décidé Yamaha, en 2000, puis Honda et Suzuki l’année suivante, à choisir cette disposition pour leurs gros scooters et d’autres suiveurs sont annoncés. Cette longue absence en bicylindre reste néanmoins pour moi une énigme surtout quand on considère les succès d’un grand nombre de monocylindres horizontaux !

Étonnante différence d’échelle entre ce Rumi 125 Formicchino de 1954 le scooter vedette des années 50 et le plus célèbre des bicylindres horizontaux deux temps, et le Yamaha 500 T-Max sorti en 2000, premier twin horizontal quatre temps de série depuis la Hildebrand & Wolmuller !

Spada, Moto-Bécanette 150 cm3 1922 : La première !

Aussi sophistiquée que le moteur, la partie cycle est un véritable treillis tubulaire qui devait être relativement rigide pour un cadre ouvert.

L’histoire des quatre-temps étant réglée passons aux deux-temps et, sans chercher l’exhaustivité absolue, la liste est quand même bien réduite. Tout commence, semble-t-il, en France avec l’étonnante le Moto-Bécanette de 1922 due à la mystérieuse marque Spada de 1922 exposée au musée Baster à Riom.

Il faudra ensuite attendre les années cinquante et les Rumi pour voir réapparaître cette disposition moteur. Comme c’est souvent le cas pour les nouveaux concepts celui de la Moto-Bécanette vient d’une firme jusqu’alors sans aucune expérience motocycliste. Ce fabuleux précurseur du Rumi a en effet été créé en France à Troyes en 1921 par Louis Lœw et Roger Paupe, nous apprend une étude réalisée en 2001 par le Motocyclettiste. La distribution était assurée par H & R Clergé (les frères Eichel) qui, dans la même ville de Troyes, ont créé la marque Prester en 1926. La Moto-Bécanette Spada, « la plus gracieuse du monde » affirme son catalogue de 1922, arrive malheureusement avec un petit temps de retard sur la grande vogue des scooters-patinettes qui s’essouffle déjà en ce début des années vingt. Contrairement au très populaire Vélauto de Monet Goyon, de dessin similaire, sa distribution restera confidentielle.  Dommage, car le moteur siglé Lœw de ce bel ancêtre du scooter est résolument moderne et aurait mérité une plus belle carrière. Les cylindres chemisés sont en aluminium tout comme les pistons. De côtes super carrées (44 x 49 mm), ce 150 cm3, alimenté par un unique carburateur, annonce fièrement être utilisable de 300 à 4 500 tr/min, un bien beau régime en son temps, avec une vitesse maxi dépassant les 70 km/h ! On peut même supposer que la Moto-Bécanette atteignait cette allure sans trop se tortiller, car ses constructeurs se sont tout autant décarcassés pour la partie cycle que pour le moteur. Ce treillis tubulaire semble particulièrement rigide pour un cadre ouvert avec un triple berceau sur l’avant, deux tubes dédoublés et entretoisés sous la plate forme centrale et une robuste triangulation sur la partie arrière. La Spada était livrée soit en fourche rigide, soit avec la belle parallélogramme à ressort horizontal travaillant en extension qui apparaît sur l’exemplaire du musée Baster à Riom. Conception moderne, encore avec la transmission par chaîne alors que les courroies restent monnaie courante en ce début des années vingt. Embrayage et boîte de vitesses sont en option (+ 300 F) et le démarrage s’effectue à la poussette, aidé si besoin par un décompresseur sur les deux cylindres. Quant aux freins, hmm, mieux vaut ne pas trop y compter : de simples patins type vélo à l’avant (non montés ici) et un autre patin s’appuyant sur le volant d’inertie extérieur du moteur !

Manque de moyens, des constructeurs troyens qui ne font pratiquement pas de publicité, ennuis techniques, problèmes de production… on ne le saura sans doute jamais, mais la diffusion de cette superbe Moto-Bécanette reste ultraconfidentielle alors qu’elle ne vaut pourtant que 2000 F (sans les options) soit les deux tiers du prix de son beaucoup plus frustre rival, Le Vélauto 270 cm3de Monet Goyon proposé cette même année 1922 à 3 000 F.

Pas d’embrayage ni de boîte de vitesses, le démarrage s’effectue à la poussette, un prospectus promet toutefois ces deux perfectionnements en option pour 300 F, mais on n’en connaît aucune image.

Notez le frein à patin sur l’arrière du volant  et la commande du décompresseur sur la culasse démontable.

Un petit robinet permet d’envoyer une giclée d’essence en direct dans les cylindres et sert à dégommer le moteur avant le démarrage. Précaution bien utile dans ces années où le mélange est à 15 % !

La fourche à parallélogramme proposée en option fait travailler en extension un ressort horizontal. La Moto-Bécanette du musée Baster porte le n° 119 ce qui signifie, sans doute, qu’il y en a eu au moins 19 produites. 

1895 – 2000 : 105 ans de twins horizontaux

Sur l’Hildebrand & Wolmüller, les deux bielles sont directement fixées sur la roue arrière qui sert de vilebrequin. Deux lanières en caoutchouc aident au rappel des pistons en position haute ! Étonnamment c’est dans une publication de l’époque au Japon qu’on trouve toute une série de photos du bicylindre de l’Hildebrand & Wolfmuller démonté.

 

Le Rumi fut imaginé par l’ingénieur Pietro Vassena en 1949 et ses premières versions furent des motos en 1950. La photo est une 125 Sport de 1951, la même année apparaît le scooter Scoiatolo  à grandes roues de 14 pouces et le célèbre Formicchino ne naît qu’en 1954.

Le Yamaha 500 T Max naît en 2000 d’une requête du Product Planning de Yamaha Motor Europe dont j’eus l’honneur de faire partie. Son moteur quatre temps à simple ACT a la particularité de posséder un troisième piston qui équilibre les vibrations inhérentes à un bicylindre calé à 360°.

Twins : Faut-il en faire un plat ? Les bicylindres parallèles et horizontaux sont presque une exception dans l'histoire. Pourquoi ? … c'est ce dont il est question ici en commençant par les deux premiers du genre la Hildebrand & Wolmuller en 1894 et la Moto-Bécanette Spada en 1922, véritable ancêtre des fameux Rumi des années 50.. L'invention [...]

Bradshaw et les bouilleurs d’huile: La course

Il était évident qu’un moteur aussi bien né en 1923 n’allait pas tarder à développer des évolutions plus musclées. C’est Bradshaw lui-même qui s’y colle avec une version course qui fait ses débuts au TT 1924, on verra ensuite des moutures sous-alésées en 250 cm3 dont une version à compresseur développées en France par DFR, et une étonnante Toreador britannique à double ACT entraînés par chaîne en 1925.

Les moteurs Bradshaw (comme les Henderson) sont importés en France par F. Harding que l’on voit ici au guidon d’une 350 Harding-Bradshaw au Grand Prix de France à Montargis en 1923.
2- Au Junior TT de 1923 les Matador-Bradshaw remportent les 4e et 12e places mais cette DOT-Bradshaw pilotée par Dickenson, moins chanceuse, abandonne au cinquième tour.(Kreig collection)
Kenelm Barlett et sa Matador-Bradshaw sont ici au GP de l’UMF à Tours le 24 juin 1923, mais c’est la semaine précédente, au GP de Marseille le 17 juin 1923, qu’il s’illustra en remportant la course sur une Bradshaw officielle (Photos musée Hockenheim et BNF Gallica)
Pas de chance pour Hickman sur OK Bradshaw en 1924 qui a un accident au Junior TT de 1924 où il inaugure le nouveau moteur course à grosse culasse, tiges de culbuteurs croisées et réservoir d’huile sous le moteur avec bulbe ailetté sur l’avant. Notez en passant la curieuse commande de frein arrière inversée et à droite. (Kreig collection)

 

Une version course dès 1924 

La version course, tout d’abord produite par l’usine de James Walmsley dès le TT 1924 puis reprise en 1925 par W. H. Dorman, est modifiée sous de nombreux points, soupapes de 38 mm, taux de compression plus élevé (de 5,8 à 6,5 à 1), piston aluminium en dôme qui ne pèse que 202 grammes, roulement à double rangée de billes pour le vilebrequin qui est renforcé, etc. Le changement le plus visible est sa grande culasse largement ailettée. Elle a des conduits redessinés et de plus grosses soupapes avec de double ressorts de rappels fixés sur le volumineux support des culbuteurs et les tiges de culbuteurs sont en V.

Ces moteurs ont désormais un gros réservoir d’huile en semelle sous le carter inférieur qui déborde devant et derrière le moteur et comporte des ailettes sur la partie avant. Ces moteurs étaient livrés, après test au banc, avec une puissance garantie relevée d’environ 14 chevaux à 5000 tr/min voire 17 chevaux sur les trois OK à moteur Bradshaw engagées au TT de 1926.

"14,3 chevaux à 5000 tr/min" promet l'étiquette jointe dans la caisse du moteur compétition neuf en photo ci-dessous.
Ces rares vues côte à côte d'un moteur Walmsley de 1923-24 et d'une version course réalisée par Dorman en 1925, montre bien les différences de taille des culasses et des carters d'huile inférieurs.
La micro-marque genevoise Paul Speidel n'a peut-être construit que cet unique exemplaire (neuf et non restauré !) à moteur Bradshaw type course de 1925.
Conservée dans un sublime état d'origine, cette Calthorpe 350 compétition de 1925 à moteur signé Dorman a toujours les plombs de contrôle des courses auxquelles elle a participé !

DFR-Bradshaw en 250 cm3 et à compresseur

Une version 250 cm3, obtenue par réduction de l’alésage, est développée par l’usine de W. H. Dorman à Stafford en 1924. C’est vraisemblablement sur cette base « downsized » que le pilote-constructeur Pierre de Font-Réaulx construit la 250 DFR-Bradshaw avec laquelle il finit 2e au Grand Prix de l’UMF à Montlhéry le 18 juillet derrière la Terrot de Jules Rolland et devant la New Imperial de Syd Crabtree et une autre Bradshaw 250 pilotée par Harding. Une belle prestation, où il a couvert les 24 tours du circuit de 12,5 km à 81,66 km/h de moyenne. Pour cette première course en juillet « Pierre » utilisait une 250 à alimentation classique, mais pour le Grand Prix de France organisé par le MCF le 4 octobre 1925, première épreuve sur le nouveau circuit de Montlhéry, Pierre de Font-Réaulx prépara une 250 DFR-Bradshaw très spéciale, présentée par Moto Revue dans son numéro 182 du 15 octobre, avec une suralimentation par un compresseur à palette Cozette n°3 entraîné par chaîne et lubrifié par un réservoir d’huile additionnel fixé sur le tube supérieur du cadre. (L’usage du compresseur est alors autorisé). C’est un succès, car Pierre termine une nouvelle fois deuxième, derrière Jock Porter sur New Gerrard-Blackburne et devant la Terrot de Rolland.

Pierre de Font-Réaulx sur la 250 DFR-Bradshaw à alimentation classique au GP de l'UMF à Montlhéry le 18 juillet 1925.
Cette très curieuse DFR à moteur Bradshaw "downsized" à 250 cm3, mais alimenté par un compresseur à palette Cozette, finit 2e aux mains de son pilote-constructeur Pierre de Font-Réaulx au Grand Prix de France organisé par le MCF à Montlhéry le 4 octobre 1925. (Photo SP/BS)
L'autre face de la DFR-Bradshaw 250 à compresseur telle que publiée par Moto Revue dans son numéro 182 du 15 octobre 1925.
La couverture de Moto Revue fête en 1925 les victoires au Bol d’Or des DFR 175 deux temps et 350 Bradshaw (seule toutefois à finir dans sa catégorie et donc 1ere, mais en ayant parcouru 70 km de moins que le vainqueur en 250 !). C’est la seconde apparition du moteur Bradshaw au Bol d’Or, car, en 1923, Raoul de Rovin remportait la catégorie side-car 350 sur une Rovin-Bradshaw.

Toreador : une 350 à double arbre à cames en tête 1925

Bert Houlding a eu de beaux succès avec sa marque Matador en particulier en side-car. Les Matador remportent le GP de Marseille avec Kenelm Benett le 17 juin 1923 et finissent 4eet 12esur les 72 engagés au junior TT de 1923.

Fâché avec ses associés Bert Houlding quitte Matador, mais reste hispanisant en créant la Toreador engineering company, toujours dans la même ville de Preston, en 1924. L’année suivante, Il y développe avec l’ingénieur G.H. Jones (plus tard célèbre chez OK Supreme) un 350 Bradshaw bien spécial avec un double ACT entraîné par chaîne, prévu pour la course et qui n’aura qu’une très très brève carrière . La base moteur reste la même, mais le carter contenant l‘entraînement de l’arbre à cames et la pignonnerie entraînant à demi vitesse la magnéto et la pompe à huile est remplacé par un énorme carter ,en forme de deux cœur superposés, boulonné sur le carter moteur et contenant sa propre réserve d’huile.

Dans le coeur du bas, un engrenage sur la sortie de vilebrequin entraîne le pignon d’une chaîne qui relie un pignon identique sur la pompe à huile excentrique et la magnéto et un pignon intermédiaire. Ce dernier, qui tourne sur roulement à fouble rangée de billes, est dédoublé et monté sur excentrique pour les réglages. Il entraîne à son tour le cœur du haut avec les deux arbres à cames en tête sur roulements. De courts poussoirs sur les cames actionnent des culbuteurs également sur roulements et les soupapes, rappelées par triples ressorts, dans une volumineuse culasse hémisphérique. Le bas moteur avec son extension autour du cylindre reste identique au 350 standard.

Les journaux du moment se moquent de cette confiance absolue  » aux chaînes qui ont prouvé qu’elles ne peuvent pas tenir la distance « , mais le Brasdshaw-Toreador à double ACT n’aura pas le temps de les contredire, car il ne courra que quelques courses locales en 1925 avant que Bert Houlding ne l’abandonne en 1927 pour se tourner vers l’automobile en créant la Moveo, car company.

On retrouve sa trace (Motor Cycle du 18 octobre 1925) dans une course de 25 miles (40 km) sur un circuit privé près de Southport le 10 octobre 1925. F. Houlding y finit premier au guidon de la Toreador double arbre, dont c’est la première course, devant une Cotton-Jap et une OEC Blackburne. Motor Cycle relate ainsi une dizaine de course locales où la Toreador est en tête ou dans les toutes premières places souvent en bataille avec la Matador Bradshaw de McGowan. Si on ne connaît aucun survivant de ce moteur de légende, il semble pourtant bien qu’il ait été vendu à en croire une petite annonce passée dans Motor Cycle le 16 décembre 1926.

Toreador courut aussi avec des moteurs Bradshaw compétition "standard".
Le Torero double ACT tel qu'il a été découvert au salon de Londres fin 1925 et présenté dans le "Motor Cycle" du 3 septembre 1925.
La chaîne du bas entraîne la magnéto et la pompe à huile par le pignon ici sur la gauche et un double pignon intermédiaire entraîne les deux ACT.
Une fois ôté le carter d'entraînement des arbres à cames, les carters moteur sont similaires sinon identiques à ceux de la série.
Il était évident qu’un moteur aussi bien né en 1923 n’allait pas tarder à développer des évolutions plus musclées. C’est Bradshaw lui-même qui s’y colle avec une version course qui fait ses débuts au TT 1924, on verra ensuite des moutures sous-alésées en 250 cm3 dont une version à compresseur développées en France par DFR, [...]

Bradshaw et les bouilleurs d’huile

Il y eut dans l’histoire de la moto quelques ingénieurs hors normes qui alliaient une inventivité géniale, une incroyable productivité, un talent certain pour vendre leurs projets… et beaucoup moins pour en suivre l’évolution. En Grande Bretagne, le meilleur exemple du genre est Granville Bradhaw, l’un des inventeurs les plus prolixes de l’histoire de la mécanique qui, de 1913 à 1960, élucubra un nombre faramineux de projets avant-gardistes. Quel dommage que ces réalisations géniales n’aient pas été développées et correctement industrialisées par des usines en ayant les moyens. S’il en avait été ainsi, l’Angleterre n’aurait sans doute pas perdu la guerre.

Texte, photos et archives François-Marie Dumas sauf mention contraire 

De 1923 à 28, le moteur Bradshaw 350 équipa 50 marques ou plus. Ici dans l’ordre d’apparition DOT, Matador, New Coulson, Omega toutes trois avec le moteur construit par Walmsley donc avant 1925, suit une Calthorpe avec une version course de fin 1925 construite par Dorman, enfin l’ultime version Touring du moteur avec tiges de soupapes encloses monté sur une OK Supreme de 1926 et sur son stand de présentation au salon.

En Bref, pour ne pas s’y perdre…

Infatigable Granville Bradshaw. Après les ABC flat twin en long en 1913, puis celles à moteur transversal en 1919 et toute une série de plus gros bicylindres à plat pour voiturettes ou avionnettes,dont je vous ai raconté l’histoire en détails ICI, il se passionne pour les moteurs à refroidissement par huile. La Zenith équipée d’un 500 cm3 Bradshaw flat twin en long est présentée au salon de Londres fin 1920  et le 350 cm3 monocylindre suit au salon de 1921. Dans la même période apparaît en 1921, un V Twin de 1094 cm3 quatre temps culbuté pour cyclecars et voiturettes Belsize, suivi en 1922 par un 1289 cm3 à soupapes latérales puis par un 1370 cm3.

Le premier V twin de 1094 cm3 à soupapes culbutées et refroidissement par huile conçu en 1921 pour les voiturettes Belize-Bradshaw

Du V twin pour voiturette en 1921 à la Rolls-Royce « oil cooled » en 1946

Le problème du refroidissement a toujours été l’un des dadas de Granville Bradshaw. Il y consacra un temps considérable en réalisant ses moteurs d’avions durant la première guerre, puis utilisa ces acquis pour les moteurs flat twins des ABC avec des cylindres directement tournés dans l’acier et des culasses fonte dont il disait volontiers que le moteur était bien réglé lorsque la culasse vue de nuit était rouge cerise foncée. A l’aube des années vingts, Bradshaw se lance dans une nouvelle technologie, le refroidissement par huile. Il apparaît tout d’abord sur un bicylindre en V qu’il a conçu pour les cyclecars et fait construire par James Walmsley à Preston à quelques encâblures de ses bureaux d’études. Ce bicylindre en V à 90° de 1094 cm3 est lancé le 21 juin 1921. Il a des côtes super carrées (90 x 86 mm), un bloc moteur intégrant une boîte à 3 vitesses et un embrayage multidisque. Une disposition ultra compacte que reprendra trente ans plus tard Alec Issigonis sur la Mini. Le démarrage reste au kick sur les premières versions avant que ne soit bien vite proposée l’option électrique. Il est aussi prévu un 1000 cm3 également super carré (90 x 77,5 mm) pour la moto, mais il ne verra jamais le jour. Le 1094 culbuté ne vit guère longtemps puisqu’au salon de Londres d’octobre 1921 les voiturettes Belsize-Bradshaw l’ont remplacé par une version longue course de 1289 cm3 (85 x 114 mm) à soupapes latérales. En 1922, la cylindrée passe à 1370 cm3 (85 x 121 mm). Bon sang ne saurait mentir ce beau moteur perd copieusement son huile, d’autant plus qu’il n’en manque pas, ce qui lui vaut vite le sur nom d’oil boiler,  le bouilleur d’huile.

La production a toutefois souffert comme l’industrie automobile britannique de grèves à répétition dans les fonderies de 1919 à 1922 en entraînant de nombreuses faillites et en désorganisant totalement les motoristes britanniques. Est-ce dû à ces difficultés ? La voiturette Belsize-Bradshaw ne sera produite qu’à environ 2000 exemplaires et la marque passera en 1923 à des quatre-cylindres classiques avant de faire faillite en avril de la même année. Ces échecs commerciaux en automobile et, dans une moindre mesure, en moto comme nous allons le voir, n’émousseront pas l’intérêt de Granville Bradshaw pour le refroidissement par huile et, en 1946, il transforme le système de refroidissement de sa propre Rolls Royce 30-40 et d’une Ford V8 en utilisant un mélange d’huile et de glycol.

Semi-échec avec un 500 flat twin en long pour la moto

Présentation en novembre 1920 de la Zenith Bradshaw. J.Emerson le pilote vedette des ABC est au guidon devant, de gauche à droite, le journaliste de MotorCycling qui publie cette photo en dans son numéro de 1er décembre, J.F. Perrin de Zenith Motors, Granville Bradshaw et F.W. Barnes de Zenith Motors.
Contrairement à ce que promet Emerson dans MotorCycling, la Zenith Gradua est fort difficile à apprivoiser. Mode d'emploi: régler les gaz et l'air à main droite, et l'avance à gauche. La poulie ayant une roue libre en butée, serrer la manette gauche pour embrayer. C'est parti, tourner la manivelle qui rapproche la roue et fait monter la courroie. Relâcher l'embrayage. Plus on tourne, plus on va vite, mais il n'a d'autre possibilité de débrayer que de revenir à la manivelle à la position roue libre de la poulie avant… courage!

Friture sur toute la ligne ; Bradshaw pond des projets à une vitesse effarante. Le premier présenté est un flat twin en long de 500 cm3 (68 x 68 mm) qui apparaît au salon de Londres fin 1920. Il est prévu, annonce-t-on, une extrapolation en 700 cm3 (76 x 76 mm) avec embrayage à cône, boîte 4 vitesses et marche arrière pour voitures légères et cyclecars ou en version stationnaire. C’est un nouvel exemple de la dispersion de Bradshaw qui démarre des projets dans toutes les directions et en laisse mourir un certain nombre. Pourquoi donc avoir tenté un V twin pour les autos et un flat twin pour les motos ? On n’aura guère le temps de se poser la question, car le 750 principalement destiné au cyclecar Lea-Francis ne sera jamais réalisé et le 500 ne sera que très peu produite quasi exclusivement pour Zenith de 1920 à 22 avec un modèle à transmission par courroie et variateur à manivelle sur le réservoir et une version plus classique, mais tout aussi confidentielle à boîte Burman 3 vitesses conventionnelle. Il en sera aussi vendu une poignée d’exemplaires à Andrees en Allemagne et à Mineur en Belgique.

Lisez bien le mode d'emploi avant de partir…
Coupe du 500 flat twin empruntée à Motorcycle. Les cylindres sont intégrés au carter moteur et une double pompe assure la circulation d'huile.
Le bloc Bradshaw très compact est suspendu au cadre. Un renvoi d'angle et une chaîne assurent le déplacement de la roue arrière pour changer de rapport "à la manivelle".
La 500 Zenith-Bradshaw acculée à une boîte Burman 3 vitesses était sans aucun doute plus facile à piloter.(photo : the Vintagent)

Demi-succès avec un 350 monocylindre

Seule Suisse à utiliser le 350 Bradshaw refroidi par huile cette Paul Speidel de 1925 est une des versions course à découvrir dans l'article suivant !

On dénombre plus de 50 marques ayant utilisé les moteurs Bradshaw 350, mais il faut bien avouer que beaucoup de ces firmes sont quasi artisanales et que d’autres, plus importantes, n’ont fait que quelques essais sans réelle production. Il est sûr que DOT, OEC et Matador ont sans doute produit à eux trois, plus de motos à 350 Bradshaw que le reste des constructeurs listés.

36 marques en Grande-Bretagne : Alldays & Allon BansheeBritish StandardCalthorpeCarfieldCedos MotorsConnaughtCoventry MascotDiamond DOTDorman Engineering Co – Excelsior – GSDLiver – Macklum – Martinshaw – Mars – Matador – Massay-Aran – Montgomery – New Scale – New Henley – New Coulson – John Nickson – OEC –OK Supreme – Omega  – Orbit – PV  –Ruby Cycle Co – Saxel – Sparkbrook – Manufacturing Co – Sheffield-Henderson – Star Engineering Cos –Toreador – Zenith. 7 en Italie : Alfa –Baudo (Monaco Baudo)Comfort Bottarini – F.M. Molteni –Galbai – Reiter – SAR. 3 en Allemagne : Agon –Andrees – Imperia. 2 en France : DFR – Rovin. 1 en Belgique : Mineur (Paul). 1 aux Pays-Bas : Simplex. 1 en Suisse : Paul Speidel.

L’Italie est le pays qui apprécia le plus le moteur Bradshaw et on y dénombre sept petites marques l’ayant essayé dont SAR à Villadossola (dans la montagne à deux pas de la Suisse). La photo de cette SAR-Bradshaw de 1924 est prise à Turin en 1935. (archives Yves Campion)

Granville Bradshaw et sa très petite équipe ont sans nul doute une puissance de travail hors normes et les premiers prototypes d’un monocylindre de 350 cm3 pour la moto sont réalisés dès 1920 par James Walmsley & Co à Preston. On verra successivement trois versions de ce moteur longue course (68 x 96 mm) de 350 cm3 dont les cylindres intégrés au carter moteur supérieur sont abondamment refroidis par huile. Sur les trois premiers prototypes de 1920, l’extension du carter moteur autour du cylindre est pratiquement carrée avec des angles marqués. Sur la culasse fonte fixée, avec le cylindre sur la remontée du carter moteur, les articulations des culbuteurs sont totalement à l’air libre comme sur les ABC et ses tiges très resserrées sont croisées. Pompe à huile et tuyauterie sont à l’extérieur du carter moteur. Des photos sont communiquées à la presse le 1er décembre 1921 avant l’ouverture de l’Olympia show et les moteurs sont utilisés pour les essais avec une nouvelle marque de moto, Matador, créée à Preston le 5 septembre par H. Houlding.

Le premier prototype a une culbuterie à l'air libre et la remontée du carter est carrée. Le cylindre vient s'enfiler par au dessus et 4 colonnettes fixent la culasse et le cylindre à la remontée du carter moteur.
Evolution du 350 Bradshaw. A gauche la version sport standard produite par Walmsley, à droite l'ultime version course faite par Dorman avec une culasse plus grande et une semelle réservoir d'huile sous le moteur. L'absence de toute tuyauterie extérieure donne à ces blocs un aspect particulièrement net.
La théorie de Bradshaw est que la plus grande partie de la chaleur créée par la combustion dans la culasse est dissipée par la masse des carters moteurs et le lubrifiant. Solution radicale, le cylindre est intégré dans une remontée du carter moteur. Une pompe rotative entraînée par le pignon de magnéto envoie 2,9 l/min à 2000 tr/min dans la chambre annulaire autour du cylindre qui se déforme moins et dont la température diminue ainsi de 40%, assure Bradshaw. Exceptionnellement le 350 ( 68 x 96 mm) n’est pas de côtes carrées comme Bradshaw en a l’habitude. Il pense qu’une longue course favorise le refroidissement pour un monocylindre. Le moteur pèse 20 kg et il est promis pour 7 ch à 3500 tr/min puis 9 chevaux « ou plus » dira la notice. La chambre de combustion est hémisphérique. Les culbuteurs sous carter tournent sur de larges bagues bronze soigneusement lubrifiées.

Le troisième moteur produit est déjà notablement modifié. La remontée du carter moteur autour du cylindre est maintenant ronde, mais les tiges de soupapes sont toujours croisées. Beau début, il remporte la première épreuve à laquelle il participe, une course de side-cars de 5 miles sur sable à Hest Bank en 1922. La production démarre en novembre de cette même année. La pompe à huile est toujours externe, mais les tiges de culbuteurs sont désormais parallèles et l’axe des culbuteurs est enfermé dans un boitier. Sur la première Matador de 1922 l’originalité se cache dans le réservoir qui s’enlève en même temps que le tube du cadre sur lequel il est fixé donnant ainsi libre accès à la mécanique. Il n’y a par contre pas de frein avant !

Les Matador commencent à s’illustrer en course et on voit apparaître les premières versions racing dont le moteur, extérieurement du moins, ne semble pas différent des versions sport commercialisées. James Walmsley ne prévoit pas moins de sept évolutions différentes du monocylindre pour motos et cyclecars mais aussi en version stationnaire pour pompe, générateur, etc.

Le 350 Bradshaw est cher comparé aux 500 à soupapes latérales si en vogue, et il est sans doute moins performant que les JAP, mais il est silencieux, fiable, efficace et son système de refroidissement séduit nombre de constructeurs. On découvre ainsi au salon londonien de l’Olympia de 1923, des Bradshaw à tous les coins de stand, en particulier chez DOT qui sera sans nul doute le plus gros client.

Un nouveau moteur est annoncé en 1925, mais Walmsey ferme ses portes en mai et la production du 350 est reprise en juillet par W. M. Dorman à Stafford. Le nouveau moteur sera donc siglé Dorman et reconnaissable par son carter moteur plus rond dans sa partie basse. La version standard est modernisée en mai 1926 avec un carter recouvrant les culbuteurs dont les tiges de commande passent dans un tube unique.

La DFR 350 Bradshaw présentée dès 1924 dans le catalogue de la marque est encore dotée d’une transmission secondaire par courroie. (Doc. Bernard Salvat)
Dans les rencontres d’anciennes au sud de la France, vous aurez peut-être la chance de voir en action cette DFR 350 Bradshaw de 1925-26 à moteur construit chez Walmsley. DFR vendra fort peu de ces motos mais Pierre de Font Réaulx remporta de beaux succès avec ces machines.
On se souvient surtout de Toreador pour son Bradshaw spécial à double ACT, mais il y eut également des version plus classique comme celle-ci de 1926 à moteur course.

En juin 1927, Dorman sent le vent tourner bien que Bradshaw annonce qu’il continue sa production. Dès le salon fin 1926, Dot annonce qu’il ne produit plus qu’un seul modèle à moteur Bradshaw et rajoute à sa gamme une 350 à moteur JAP à soupapes en tête proposée au même prix. OEC et DOT sont alors les seuls à acheter d’importantes quantités de moteurs à Bradshaw et Dot avait, semble-t-il, tant de stock que la 350 Bradshaw resta au catalogue jusqu’en 1931 sur leur modèle B31 seul quatre-temps encore listé. L’année suivante DOT ne proposaient plus que des deux-temps.

La Sheffield-Henderson se distinguait par son curieux cadre avec un réservoir “en selle“ sur le tube supérieur au-dessus d’un tube inférieur bien torturé… et d’un 350 Bradshaw de la première série Walmsley 1923-25.(doc. The Vintagent)
Ultime contrat en 1928. OEC prépare des 350 Bradshaw pour le gouvernement Sud-Africain.
Bricolage, certes, mais on vit même un 250 Bradshaw sur un Neracar !

Il n’y a dans l’histoire que deux autres motos connues à refroidissement intégral par huile, l’invraisemblable Sévitame de 1938 et 39 conçue par la société éponyme et Marcel Violet en 1938-39 et les Windhoff 750 et 1000 quatre cylindres construites de 1927 à 1931. Il ne faut toutefois pas oublier les Suzuki GSX-R quatre cylindres de 400 à 1100 cm3 produites à partir de 1984 à avec leur fameux système SACS refroidissement air/huile. L’huile est injectée sous les pistons et dans la culasse tandis que les cylindres à ailettes sont aussi refroidis par air.

… à suivre dans une second chapitre consacrés aux versions course et aux spéciales.

Il y eut dans l’histoire de la moto quelques ingénieurs hors normes qui alliaient une inventivité géniale, une incroyable productivité, un talent certain pour vendre leurs projets… et beaucoup moins pour en suivre l’évolution. En Grande Bretagne, le meilleur exemple du genre est Granville Bradhaw, l’un des inventeurs les plus prolixes de l’histoire de la [...]