« Concept-car. Beauté pure » au musée de Compiègne

Cessons de nous plaindre que les musées français dorment et oublient la moto. Un vent de renouveau souffle fort et cela commence avec l’extraordinaire exposition « Concept-car. Beauté pure »  au musée national de la voiture au château de Compiègne consacrée au design et aux concepts cars. 28 véhicules et études style d’exception vous attendent du 29 novembre 2019 au 23 mars 2020 et la moto n’est pas oubliée, avec quelques pièces uniques et, en vedette, l’incroyable Major italienne de 1947, sur laquelle je reviens dans le prochain article.

Par François-Marie Dumas – Photos F-M. Dumas/moto-collection.org –  Giorgio Sarti et Musée de Compiègne.

La Terrot 350 flat twin deux temps de Cuzeau en 1919

Le musée national de la voiture de Compiègne inauguré en 1927 fut le premier musée au monde dédié à la locomotion et il est vrai que les collections exposées au Chateau sont particulièrement riches avec une centaine de véhicules hippomobiles du 17e au début du 20e siècle, une trentaine de voitures, quelques rares motocyclettes dont l’Antoine quatre cylindres de 1904 et la Terrot Cuzeau flat twin de 1919 et une belle exposition des premiers cycles. Tout cela avouons le est bien antique, mais les miracles arrivent. Le musée national de la voiture à Compiègne dirigé par Rodolphe Rapetti a accueilli le 2 septembre dernier un nouveau conservateur en chef, Richard Keller qui veillait depuis vingt ans aux destinées de la Cité de l’Automobile ex musée Schlumpf à Mulhouse et cette nouvelle direction annonce aujourd’hui une nouvelle ambition qui se concrétise avec cette exposition consacrée aux concept-cars.  Aurons-nous bientôt en France un vrai musée national dynamique de l’auto et de la moto ? Tout commence bien en tous cas avec cette exposition unique qui a eu le bon goût de faire venir des motos d’exception de toute l’Europe. La Major importée du musée NSU de Neckarsulm, le Vespa 125 de records emprunté au musée national des sciences et techniques de Milan, etc. Dommage que Richard Keller n’ait pas pris dans sa valise le rarissime Scott Sociable perdu au milieu des Bugatti à Mulhouse, ou emprunté la vraie première moto, la Louis Guillaume Perraux conservée au musée départemental de Sceaux. La liste des concepts models motocyclistes est longue et mériterait une exposition à elle toute seule. Espérons que ce sera pour bientôt, en attendant précipitez vous sur ce premier show du renouveau qui vous attend du 29 novembre au 20 mars 2020.

 ➡ Cliquez sur les liens en bleu pour accéder à l’historique complet des motos citées

La moto n’y est certes pas majoritaire, mais elle ne réunit que des pièces uniques, la 1000 Antoine quatre cylindres de 1904, l’étonnant Terrot Cuzeau flat twin de 1919 et la sublime MGC dans son ultime version quatre cylindres prototype de 1938. Si les autres deux et trois roues exposés sont tout aussi fascinants, on s’écarte du thème de l’exposition dédié aux études de style d’avant garde pour se tourner vers les véhicules de record, qui sont, il est vrai et par nature, parfaitement aérodynamiques. Je ne me souviens pas d’avoir vu en France une telle réunion : les cigares Lambretta de 1950 et Vespa 125 cm3 à pistons opposés des records du monde en 1950 et le Siluro Aermacchi conçu par Lino Tonti avec un 75 cm3 double ACT et piloté en 1956 par Massimo Pasolini, le papa de Renzo. Enfin plus moderne et presque incongru ici, le side-car Kawasaki-MOC 1100 cm3 des records de Philippe Moch en 1975. Autre trois roues étonnant, l’Isetta Velam des records de 1957 importée pour l’occasion du manoir de l’automobile à Lohéac. Deux quatre roues enfin, ont toutes les raisons de figurer dans moto-collection.org. Le si exotique Hélica de 1919 du aux ateliers Leyat propulsé par une hélice entraînée au choix du client par un bicylindre en V Anzani ou par un bicylindre à plat ABC de 1100 cm3 tout à fait semblable à celui des motos ABC longuement étudiées dans ce blog à l’occasion de leur centenaire. L’autre quatre roues fortement teinté de moto est le très beau Nibbio de 1935 propulsé par un monocylindre Guzzi 500 cm3  de la marque . (Déjà longuement présenté ici à l’occasion de sa participation au concours d’élégance de la Villa d’Este 2017).

Cessons de nous plaindre que les musées français dorment et oublient la moto. Un vent de renouveau souffle fort et cela commence avec l’extraordinaire exposition « Concept-car. Beauté pure »  au musée national de la voiture au château de Compiègne consacrée au design et aux concepts cars. 28 véhicules et études style d’exception vous attendent du 29 [...]

Epoqu’Auto 2019: Gnome & Rhône à l’honneur

Mais comment font-ils pour que ce soit encore mieux à chaque fois ! Cette 41e édition du salon Epoqu’Auto à Lyon nous offrait cette année 66 000 m2 de bonheur et s’affirme une fois de plus comme le plus grand salon français consacré aux véhicules anciens. Une manifestation conviviale où se côtoient les stands de clubs les plus modestes, les vendeurs de pièces et de papier, les restaurateurs, les accessoiristes et les plateaux de prestige. C’est cette diversité et l’espace qui est accordé à chacun qui fait toute la valeur d’Epoqu’Auto face à des salons parisiens trop étriqués ou si élitistes que la moto n’y a plus sa place.

L’expo concoctée par l’Amicale Gnome & Rhône avec près de 40 motos plus un avion et une machine à coudre sur 400 m2.

Tour de stand de l’exposition centrale consacrée à Gnome & Rhône et au centenaire de son premier modèle, l’ABC.

Vedette insolite du stand Gnome Rhône, la réplique du Blériot XI-2 de 1913 avait de quoi étonner. Mieux que ça il vole. Ecoutez donc son pilote vous raconter sa traversée de la manche 100 ans et quelque après Louis Blériot.

L’ABC en vedette devant le Blériot XI-II reconstruit autour de son moteur rotatif d‘origine (Voir la vidéo).

On peut regretter bien sur qu’il n’y ait pas plus de motos, mais la grandiose exposition Gnome Rhône organisée en l’honneur des 100 ans de l’ABC donnait de quoi se consoler. Il y avait aussi un beau plateau de la marque lyonnaise Follis, une superbe présentation sur le stand de la FFVE d’une 400 ABC et de la 1000 Koehler Escoffier primée Best of Show au concours de motocyclette de la Villa d’Este en 2019, toutes deux accompagnées de leurs affiches d’époque. Et puis quelques surprises au fil des stands, Une Orial méconnue, deux Maserati entourant la voiture éponyme, et bien d’autres, mais je vous laisse pour une visite détaillée en images.

Sur cette 125 Gnome Rhône R4F de 1955, Follis qui en assurait la construction, avait tenté de compenser le manque d’amortissement des pompes à vélo arrière en rajoutant un élastique.
Gnome & Rhône était la marque de motos à l’honneur, mais en voiture c’était Maserati dont le club avait eu le bon goût d’apporter deux motos, une 125T2 et cette 160 T4 dans une de ses dernières versions en 1958.
Une exposition principalement consacrée aux motos françaises ne se conçoit pas sans un bel étalage de Mobylette. Ici de gauche à droite trois AV88 de 1962, de 64 (en version Motoconfort donc AU) et de 1975.
Cette RM a été assemblée à Lyon fin 1936 par Raymond Bolland avec un moteur 350 JAP usine. Entre 1937 et 1946 Raymond Rolland au guidon de cet attelage a remporté de nombreuses épreuves locales avec André Morand puis André Fargeton comme passagers.
Un superbe haut de gamme chez la marque Lyonnaise Follis en 1955 avec cette 250 animée par le 250 de la NSU Max.
Langue au chat ! Je suis bien incapable de vous dire quoique ce soit sur cette rare 250 à moteur deux temps Brouiller fabriquée en 1926 à Saint-Genest-Lerpt dans les faubourgs de Saint-Etienne.
La FFVE a décidé de réaliser des plaques commémoratives pour marquer les lieux ayant abrité les grandes marques automobiles et motocyclistes françaises et son président Jean-Louis Blanc, (à gauche) présente sa première plaque consacrée, Lyon oblige, à Berliet.
La firme clermontoise Favor a monté toutes sortes de moteurs dont des Benelli pour ses 50 cm3 à la fin des années 50 (celui-ci est de 1960). Pour la petite histoire, la pompe à essence derrière a aussi un rapport avec la moto puisque c’est une SATAM société qui possédait Jonghi.
Le stand Lambretta était particulièrement bien achalandé en particulier avec ces versions des débuts de la marque.
Une autre authentique rareté, que cette Orial, dotée d’un moteur MAG à soupapes opposées de la fin des années 20, et attention, il ne s'agit pas d'une Orial lyonnaise, mais d'une Orial allemande, firme qui exista de 1919 à 31.
Une superbe présentation sur le stand de la FFVE d’une 400 ABC et de la 1000 Koehler Escoffier primée Best of Show au concours de motocyclette de la Villa d’Este en 2019, toutes deux accompagnées de leurs affiches d’époque.
Xavier Phil est plus connu sous le nom de ses sculptures métalliques pleines d’humour et de talent et signées Xzav.
Une des multiples sculptures de Xzav.
Mais comment font-ils pour que ce soit encore mieux à chaque fois ! Cette 41e édition du salon Epoqu’Auto à Lyon nous offrait cette année 66 000 m2 de bonheur et s’affirme une fois de plus comme le plus grand salon français consacré aux véhicules anciens. Une manifestation conviviale où se côtoient les stands de clubs les [...]

Centenaire de la révolutionnaire ABC

Voici tout juste cent ans, en 1919, naissait l’une des motos les plus modernes de son temps, l’ABC, créée en Grande-Bretagne par le génial Granville Bradshaw. Cinq ans avant la première BMW de 1923 à soupapes latérales, trois vitesses et cadre rigide, cette moto révolutionnaire offrait un flat twin à soupapes culbutées, quatre vitesses, une suspension arrière oscillante et 100 km/h. Magnifique! On verra pourtant dans les lignes qui suivent que, commercialement parlant, c’est BMW qui avait fait le bon choix. Après des débuts chaotiques en Grande-Bretagne, l’ABC, notablement fiabilisée, est fabriquée sous licence en France et devient le premier modèle de Gnome & Rhône. Pour fêter dignement ce centenaire, l’ABC est en vedette au salon Epoqu’Auto du 8 au 10 novembre, dans l’exposition organisée par l’amicale Gnome & Rhône qui occupe cette année le plateau central réservé à la moto et sur le stand de la FFVE.  

Dossier réalisé par François-Marie Dumas avec nombre d’emprunts à l’association of ABC enthusiasts, au livre  » Granville Bradshaw, a flawed genius » de Barry M. Jone, aux archives de la BNF et du musée d’Hockenheim et à quelques amis de l’Amicale Gnome & Rhône. Merci à tous.

Une ABC-Gnome et Rhône face à son homologue britannique en France vers 1922. Archives Harry Beanhams

Une incroyable diversité de production.

Les ingénieurs des premiers âges étaient-ils des surhommes ? On est tenté de le croire en découvrant le nombre de projets qu’ils ont réalisés en un temps record. Tout comme Gustave Eiffel qui a signé des œuvres dans le monde entier, Bradshaw eut une activité considérable. Avec un bureau qui, dans les années vingt, ne comptait que six ingénieurs, il construisit conjointement ou presque des moteurs d’avion à 4, 6 et 8 cylindres, des avions, des moteurs automobiles et d’autres stationnaires et bien sûr ses motos. Le tout en utilisant ou en inventant les techniques les plus modernes de son temps concernant par exemple, la lubrification, le refroidissement ou les pistons aluminium qu’il est un des premiers à utiliser. Ses moteurs sont brillants et délivrent des puissances spécifiques jusqu’alors inconnues à des régimes surréalistes. Revers de la médaille, ces développements trop rapides laissent passer quelques défauts, mineurs, mais souvent fatals. Ses premiers avions se crashent et ses ABC de 1919, si performantes qu’elles soient, auront bien des problèmes et leur production mettra beaucoup trop de temps à se mettre en route. Il faudra attendre la construction revue et corrigée par Gnome et Rhône pour qu’elle soit enfin fiabilisée.

La vue de l'usine annoncée comme étant du 2 novembre 1919 laisse présager des livraisons rapides…

Prémices aéronautiques

Bradshaw débute dans l’aviation fin 1909 et ses nombreux crashes le font surnommer « l’aviateur fou » (mad aviator), car les préparations qu’il effectue sur plusieurs des pionniers de l’aviation britannique mènent souvent à des chutes … mortelles. Sa première tentative de construire son propre avion est basée sur l’Antoinette déjà auréolée de succès sur laquelle il monte un vieux moteur JAP V twin de 8 HP associé à une sorte d’hélice à pas variable pour compenser le dramatique manque de puissance du moulin. Sa demande de brevet pour son avion en septembre 1909 n’est cependant pas validée et Bradshaw s’associe à la toute jeune Star Engineering Company pour y développer leurs aéroplanes.

Naissance d’ABC

À Brooklands, en 1910, Bradshaw alors âgé de 23 ans s’associe avec Ronald L. Charteris pionnier de l’aviation puis avec Walter Adams avec qui il crée en 1911 la All British Company (ABC) pour laquelle Bradshaw dessine même le logo. Les initiales soulignent la fierté des Anglais de construire leurs propres aéroplanes de toutes pièces et, incidemment, les trois lettres sont aussi les initiales des trois créateurs de la marque Adams, Bradshaw et Charteris. (À noter qu’il avait déjà existé un constructeur automobile ABC Motor Car créé en 1906 à Glasgow et liquidée en 1908. Nous avons aussi eu, en France dans les premières années du 20e siècle, les Ateliers Balestibeau à Castillon-sur-Dordogne fabriquant des cycles et automobiles et motos ABC.

ABC 1914 type C à soupapes culbutées. Suspension arrière à lames de ressort en position basse et transmission chaine-chaîne avec un moyeu Armstrong intermédiaire à 3 vitesses et un embrayage au pied.
L'ABC d'avant l'ABC… et sans aucun rapport !

Tout commence en 1911

Bradshaw travaille alors dans son atelier de Brooklands au développement de son moteur d’avion ABC qu’il teste sur route en le montant avec son hélice à l’arrière d’un châssis automobile ! Les brevets qu’il dépose en 1911 et 1912 pour des avions de sa conception ne sont, une fois encore, pas validés aussi se consacre-t-il à la réalisation et la vente de ses moteurs.

En 1911, le premier moteur ABC, un 40 hp vertical 4 cylindres en ligne à refroidissement liquide est monté dans un monoplan d’Ellis Victor Sassoon où il remplace un moteur Gnome rotatif de 50 hp.  Fin 1911, Bradshaw déménage ses ateliers de Redbridge à Brooklands où il emploie six ingénieurs. La société change de nom et devient All British (engine) Company.

ABC passe pour des raisons financières sous contrôle de la très réputée Armstrong-Whitworth Cy, basée à Elswick, Newcastle-upon-Tyne, en décembre 1912. . L’une des premières réalisations de la nouvelle société est un V8 de 100 HP qui entraîne l’hélice par chaîne et qui est livré en 1912. Bradshaw conçoit ensuite des V4, V6, V8 et V12 qui sont finalisés en 1913. Ils sont refroidis par eau et les soupapes sont totalement enfermées sous carter. Le premier V8 de 100 chevaux est testé en 1914, mais il ne donne pas satisfaction et reste sans suite. Bradshaw continuera longtemps encore ses expériences et ses productions aéronautiques avec Dorman en 1919 pour qui il dessine un sublime V8 à double ACT.

La moto arrive pour rendre service ! 

Grandville Bradshaw, dont les ateliers jouxtent l’autodrome de Brooklands, est souvent appelé par les coureurs pour tester telle ou telle amélioration et, ses projets ayant été rejetés par l’aviation, il se retourne vers les motos et leurs moteurs. Il est lui-même motocycliste averti et utilise quotidiennement une Triumph 500 à soupapes latérales bientôt remplacée par une Douglas 500 flat twin. Il se lie avec S. L. Bailey, un aviateur pilote d’usine australien pour Douglas et, à la fin de 1912, celui-ci demande à Bradshaw de modifier drastiquement sa Douglas : nouveaux cylindres en acier, soupapes culbutées et culasse issue des expériences en moteurs aéronautiques. Les bielles sont en acier avec une double bielle en Y d’un côté évitant ainsi le désalignement des cylindres.  Bailey remporte une course à Brooklands en septembre à 85,2 km/h de moyenne sur 241 km et, le 17 décembre 1912, il engage cette première esquisse de l’ABC pour des records sur le kilomètre et le mile lancé en classe 350 cm3 qu’il pulvérise à 118,5 et 112,7 km/h. Cet unique hybride Douglas-ABC ne reprendra jamais la piste et Bailey rentre en Australie en 1914.

Il n’en faut pas plus à Bradshaw pour le décider à construire son propre moteur, un 500 cm3 à moteur flat twin disposé en long qu’il présente en janvier 1913 en profitant au passage pour mentionner que ce moteur pourrait également être produit en 900 cm3 pour équiper des cyclecars. De cotes carrées (68 x 68 mm), ce flat twin a une des bielles en Y comme sur la Douglas. Les cylindres nickelés, mais non polis et directement tournés dans une barre d’acier, les bielles, les pistons et les soupapes en tête sont dérivés de la technique aéronautique d’alors. Bradshaw demande à Zenith et Colliers & Son (Matchless) de réaliser les parties cycle. Le second prototype évolue en troquant son graissage par barbotage contre une lubrification sous pression de 3,5 bars à 4200 tr/min.

Le prototype de juin 1913 utilise une partie cycle réalisée par OK Supreme. Les soupapes sont parallèles et le cylindre a des ailettes transversales.

L’ABC, la vraie à moteur maison conçu en 1912, fait ses premiers tours de roue à Brooklands en avril 1913 pilotée par F. W. Barnes et les premiers moteurs sont mis en production en juin 1913. Ce moteur carré de 500 cm3 (68 x 68 mm) développe 13 ch/5000 tr/min dans sa version à soupapes culbutées et après avoir utilisé des cadres de Douglas Bradshaw fait réaliser des parties cycles spéciales par OK Supreme (E. Humphries) et Matchless (Colliers & son). Diverses améliorations sont apportées au prototype en mai sur la distribution et les ailettes des cylindres dans l’axe façon Moto Guzzi. Ces moteurs participent au TT la même année 1913 avec entre autres une machine aux mains de George Brough qui a manqué de temps pour finir son propre moteur. Encouragé par ces expériences, Bradshaw décide de construire ses propres parties cycle pour commercialiser une moto complète, ce qu’il fait dès janvier 1914 en saluant ce début par des records de son pilote d’essai officiel Jack Emerson sur le kilomètre et le mile lancé à 129,5 et 125,9 km/h. Pour cette tentative l’alésage a été augmenté d’un demi-millimètre, les culbuteurs allégés et la moto pourvue d’un embryon de carénage arrière en bois toilé fixé à l’arrière de la selle.

L’ABC évolue encore en mars 1914 et présente désormais une vraie gamme avec trois versions, type A Touring à soupapes opposées, Type B Sport à soupapes opposées et type C à soupapes culbutées garanties respectivement pour 96, 105 et 113 km/h. La Touring a des ailettes parallèles au cylindre et des culasses détachables avec une chapelle pour la soupape d’échappement culbutée tandis que l’admission est latérale. L’embiellage est à deux paliers sur roulement à billes et à aiguilles avec deux bielles cette fois identiques. Une pompe Best & Lyods est rajoutée pour le graissage. La transmission secondaire s’effectue par chaîne depuis le moyeu Armstrong intermédiaire à trois vitesses. Pour la première fois la partie cycle est entièrement due au nouveau département Road Motors d’ABC avec les suspensions avant et arrière sur lames de ressort qui deviendront la caractéristique de la marque. Sur les premières productions, le kick de démarrage et les marchepieds sont en option seule la tôle de protection sous le moteur est de série pour protéger les soupapes des projections.

Un certain nombre de ces motos sont vendues et apparaissent régulièrement dans les compétitions suscitant une large couverture de la presse britannique spécialisée. ABC grandit et déménage dans les anciennes usines des fonderies Faulkner près de Walton-on-Thames perdant au passage tous leurs ateliers de Brooklands réquisitionnés par les forces armées. Fin 1914, l’ABC se complète d’un side-car Montgomery et Bradshaw conçoit une toute nouvelle boîte à quatre rapports de type automobile destinée aux versions 1915. Ils sont aussi dotés d’un embrayage à cône dont la couronne externe dentée est entraînée par la chaîne primaire. Les suspensions sont modifiées. La production 1915 est limitée en raison des hostilités et principalement réservée aux exportations en Inde, Australie, Italie et Afrique du Sud pour la compétition ou en France et en Égypte, pour l’armée. Les ultimes versions commercialisées en 1916, ont un kick-starter, un amortisseur de transmission et un double frein arrière commandé à main et au pied.

Il devient évident tout comme pour les moteurs d’avion et ceux des générateurs que la petite usine ABC n’a pas les moyens techniques d’assurer toute la fabrication qui est sous-traitée à d’autres compagnies comme Armstrong Whitworth.

Une ABC à soupapes opposées de 1914 photographiée à Paris devant un représentant de la marque.
l'ABC utilisée par Emerson en 1914 a une transmission par courroie trapézoïdale et pas de boîte de vitesses.
Le prototype de 1916 avec un moteur de 250 cm3 à soupapes opposées et une boîte deux vitesses Albion.
Une ABC 500 apportée au Vintage Revival à Montlhéry par le Brooklands museum.
Toujours au Vintage Revival, un mix d'époque avec un moteur de 1913 type C et une transmission directe dans un cadre Douglas de 1914.

Activités guerrières

Dans les premières années de la guerre, Bradshaw est commissionné pour produire des moteurs auxiliaires pour différentes utilisations militaires : générateurs pour la transmission en morse depuis les ballons d’observation, gonflage de Montgolfière, démarreurs, pompes à eau, etc.) Le premier est le Firefly, un flat twin à soupapes latérales de 250cm3 (60 x 44 mm), réplique à échelle réduite du moteur de la moto. Il est suivi par un 492 cm3 (70 x 64 mm). Ces moteurs statiques démarrent au kick et, comme plus tard les motos, ils ont des cylindres en acier, une pompe à huile à engrenages et des roulements partout. Ceux du vilebrequin sont dans un support en acier boulonné sur les carters aluminium. Les pistons, au départ en fonte, laissent rapidement place à des pistons aluminium, une technologie que Bradshaw est l’un des premiers à utiliser. « Ils rendent le serrage pratiquement impossible, car l’acier du cylindre se dilate plus que l’aluminium du piston » promet-il contre toute vérité. La culasse en fonte possède une chapelle qui reçoit la bougie sur le côté, la soupape d’admission latérale en dessous et celle d’échappement culbutée au-dessus. Le carburateur est un Claudel-Hobson. Le 500 délivre 5 chevaux en continu avec des pointes à 8 /9 chevaux tandis que le 250 est fort de 2 à 3 ch de 3 à 4000 tr/min et des pointes à 5000 tr/min, tout cela sans refroidissement par air forcé. Un essai pendant plusieurs heures au banc est même réussi… à 10 000 tr/min ! Les seuls dégâts seront causés par l’hélice qui se détacha et enleva une partie du toit.

Ce moteur pèse 6,4 kg nu et 17,8 kg avec magnéto carburateur et cadre support. En 1916, l’un de ces moteurs de 250 cm3 est testé sur une moto avec une boîte Albion à deux rapports qui la mènent respectivement à 60 et 77 km/h. La fabrication de ces moteurs auxiliaires cesse en janvier 1918 et le prochain projet sur la planche de G. Bradshaw est le fameux Gnat, une réplique en 1600 cm3 (140 x 140 mm) du flat twin de la moto fort de 30/35 chevaux à 1800/2000 tr/min. Ce Gnat de 1916 est destiné au Sopwith Sparrow, un avion télécommandé par radio qui pèse 186 kg tout équipé. Hélas, le Gnat une fâcheuse tendance à griller ses bougies, un grave défaut en vol, et le signal radio est perdu lors des premiers essais ce qui met un terme au projet en 1917 alors qu’il n’a été construit que 18 exemplaires dont seul le prototype a survécu plus d’une heure. Le premier « drone » britannique verra quand même le jour en 1924, mais sans Bradshaw.

On note aussi divers essais dont celui d’Harry Hawker qui parie avec Bradshaw qu’il se fait fort de construire un moteur d’avion en étoile avec un nombre pair de cylindres et un ordre d’allumage de 1 à 6. Ce fut évidemment un échec tout comme le sept cylindres en étoile Wasp promis pour 160 chevaux et développé pour des chasseurs. Les prototypes qui atteignent pourtant 251 km/h avec tous leurs équipements et grimpent à 10 000 pieds en 4,5 minutes, sont jugé trop peu performants par l’armée qui réclame 300 chevaux. Bradshaw fait donc construire le Dragonfly de 320 ch qui est construit par Guy Motors en seulement 24 jours en février 1918. Quatorze exemplaires sont réalisés pour les essais et la production de masse est prévue en 1919 avec 11 000 moteurs en précommande lorsqu’arrive l’Armistice qui met fin à tout espoir. 1000 unités seulement ont été construites et d’ailleurs réputées bien peu fiables !

Le premier moteur auxiliaire de 250 cm3 en 1915.
Le moteur Gnat, un 1600 cm3 culbuté était destiné à un drone qui ne vola jamais… plus d'une heure.
… et la version 500 cm3 exposée au Vintage Revival à Montlhéry.
Une version 1100 cm3 à soupapes opposées en 1917.

Retour à la moto.

Dès son premier 500 cm3 en 1913, Bradshaw pense à un flat twin de plus grosse cylindrée refroidi par air forcé et destiné à l’automobile. En 1917 il fait réaliser un 1094 cm3 avec sa boîte de vitesses, un carburateur ABC. Une version étudiée en 1918 avait des rapports variables par disque de friction, une transmission finale par chaîne et des suspensions sur lames de ressort similaires à la moto.

Après-guerre le premier deux roues est le Skootamota avec un moteur basé sur celui du moteur auxiliaire Firefly 250 cm3, enfin sa moitié, car Il est rapidement apparu qu’un monocylindre de 125 cm3 (60 x 44 mm) suffisait bien. Le prototype a des roues de 35,5 cm de diamètre externe, un haut guidon avec un décompresseur et un frein avant à enroulement.  Le frein arrière est commandé par une pédale sur la plate-forme repose-pieds.  Avec la magnéto à l’opposé du cylindre le moteur se donne un petit-air de flat twin et le réservoir au-dessus du moteur contient 1,9 litres d’essence et un petit compartiment pour l’huile. Sans embrayage, le démarrage s’effectue à la poussette et l’engin frise les 30 km/h. Les versions commercialisées en juillet 1919 ont des roues de ø 40 cm et la selle est enfin suspendue. Deux autres variantes apparaissent, l’une avec une boîte en bois sous le siège tandis qu’une version coloniale s’enrichit d’un parasol pour le pilote ! Il n’y eut point de version sport contrairement à ce que laissent penser les célèbres photos avec Mistinguett, Gaby Morlay ou d’autres dames. La production est estimée à 3200 exemplaires entre 1919 et 1922 après quoi les patinettes sont supplantées par les petites motos légères. Sur les derniers exemplaires produits, les soupapes en tête remplacent la distribution semi-culbutée.

Après-guerre, ABC Motors créé en 1920 se concentre sur le cycle-car avec une production prévue de 5000 unités par an. On verra aussi un flat twin de 1100 cm3 de cotes carrées comme Bradshaw en a l’habitude (91,5 x 91,5 mm) culbuté le Scorpion, destiné aux « avionnettes » au début des années 20 tandis que le 349 cm3 de la moto est essayé (sans succès) comme assistant au décollage sur des planeurs.

Première production de l'après-guerre, le 125 cm3 Skootamota sera produit à 330 exemplaires.
Rarissime réunion au Vintage Revival 2015 à Montlhéry d'un cyclecar ABC piloté par Adrian Bradshaw neveu de Granville accompagné de son fils aux côtés de mon ABC de 1922 et d'un Skootamota.
Le moteur ABC de 1198cm3 destiné aux cycle cars et voiturette photographié en 1920.

Naissance de la vraie ABC

Nous arrivons enfin, à l’ABC finale que Bradshaw projette avec Sopwith Aviation. En cette fin de guerre, Sopwith qui a pris de l’ampleur pendant les hostilités doit comme beaucoup d’autres avionneurs se reconvertir rapidement. La société décide donc de prendre la construction des motos ABC et installe les équipements de production les plus modernes pour y arriver.

Bradshaw a revu totalement sa copie de 1918 tout en restant fidèle au concept de base de son moteur. Il est cette fois disposé en travers dans une partie cycle, elle-aussi, tout à fait révolutionnaire avec un très large double berceau qui supporte les marchepieds et protège les cylindres des projections comme des chutes.  Autre innovation majeure, la suspension arrière oscillante amortie, comme la fourche avant à parallélogramme, par des lames de ressort. Le réservoir entre tubes de 9 litres plus une réserve d’huile, est désormais triangulaire.

La cylindrée est réduite de 500 à 398 cm3 avec des cotes super carrées (une autre originalité à l’époque) de 68,6 x 54 mm. Les cylindres sont toujours en acier et la culasse fonte à chambre de combustion hémisphérique a des soupapes inclinées culbutées. Le vilebrequin tourne sur deux paliers sur roulements à billes et les deux bielles, identiques cette fois, sont montés sur aiguilles. Les descriptifs britanniques et français notent une pompe à engrenages logée dans le carter et entraînée par le vilebrequin qui envoie l’huile depuis le bas du carter moteur vers l’embiellage, toutefois sur une dizaine de moteurs anglais ou français ouverts nous n’avons jamais vu cette pompe mécanique. La boîte de vitesses boulonnée sur le bloc moteur est similaire à celle utilisée sur les précédents modèles à quelques renforts près et un embrayage mono disque (plat et non à cone comme indiqué sur les notices) garni de ferrodo sur ses deux faces est intégré au volant d’inertie. Grâce à un renvoi d’angle, la transmission s’effectue par chaîne et les deux roues reçoivent des freins à tambour. Il est construit environ 6 prototypes et il ne faut que 11 jours pour réaliser le premier, ce qui permet à Bradshaw de remporter les 1000 £ d’un pari qu’il avait fait stipulant que la moto pourrait être réalisée en moins de 21 jours et qu’il recevrait 100 £ par jour gagné sur ce planning.

La sortie du modèle d’après-guerre est très attendue en particulier pour la course, car le modèle précédent avait eu un gros succès. ABC engage d’ailleurs ses prototypes à plusieurs évènements sportifs en 1919 à commencer par le Londres-Édimbourg pour lequel les motos ne sont terminées que quelques heures avant la course et ne font aucun essai. Les deux pilotes Jack Emerson et, déjà, E. M. P. Boileau de Gnome & Rhône finissent pourtant tous deux l’épreuve ce qui était fort encourageant.

Enfin finie, l’ABC britannique de Sopwith Aviation est présentée au salon de Londres 1919, mais aussi en Italie où elle est distribuée par Ugo Veladini à Milan et en France où la société française des moteurs ABC (13 rue Auber à Paris puis 118 rue de la Boétie) en a lancé la fabrication sous licence pour échapper aux dures conditions d’exportation. La version applaudie par la presse en novembre 1919 n’est cependant pas disponible cette année-là pour la clientèle alors que l’usine est submergée avec plus de 45 000 commandes en 18 mois, et que Sopwith prévoit une production annuelle de 5 à 10 000 exemplaires.

Cette ABC des débuts manque hélas de mise au point et sa fabrication est bâclée, serrage moteur, bris de culbuteurs ou perte des tiges, graissage insuffisant et système de kick (en option) fragile… Le bref passage de Walter Moore en tant que directeur de la production n’aura pas le temps d’être efficace. Les livraisons sont sans cesse reportées et les prix s’envolent, car l’Angleterre est en pleine crise. Le prix de vente annoncé au salon 19 est de 85 £, mais les premiers exemplaires disponibles arrivent à 110 puis bientôt 130 £. Pour le prix elle est peinte en noir mat gun métal avec un viseur de débit d’huile et une pompe à main. Le compteur entraîné par la boîte est facturé 5 £ et l’éclairage électrique Lucas 22 £ plus 32 £ encore pour le side-car et les équipements additionnels ce qui met l’attelage tout équipé à 170-190 £. Le kick-starter (très fragile) n’est proposé qu’en option en avril. En mai le prix passe à 150 £ et un peu plus tard l’usine annonce des modifications : un graissage séparé pour chaque cylindre, une petite boîte à outils fixée sur le réservoir, des lames de ressort droites et non plus courbes à l’avant et un nouveau châssis de side-car suspendu.

Sopwith Aviation crée alors la surprise en septembre 1920 en décidant soudainement de se mettre en liquidation judiciaire alors qu’elle est toujours solvable, mais la Hawker Engineering Cy qui a pris les manettes de la branche aéronautique est convaincu que l’ABC de Bradshaw qui n’a été produite que 11 mois est trop originale et coûteuse à produire avec un bénéfice décent même avec son prix porté à 150 £ qu’il eut fallu doubler. Il avait été commercialisé 2200 motos en 1920 et peut-être 2 à 300 en novembre-décembre. Les stocks restants ont été montés à raison de quelques dizaines de motos par semaine jusqu’environ juillet 1921, par Hawker puis par Jarvis à Wimbledon. En 1920, l’usine continue pourtant de supporter Emerson et quelques pilotes privés dont G. H. Stewart avec quelques beaux succès dont 25 records signés par Emerson sur 50, 100, 200, 300 et 350 miles et ceux de 1 à 6 heures, avec une heure à 113,4 km/h de moyenne.

Les ABC disparaissent ensuite progressivement des circuits britanniques en 1922-23. Dans le monde de la course, la 400 avait pourtant été bien reçue bien qu’elle n’ait pas la même vitesse de pointe que le modèle d’avant-guerre. Elle avait d’excellentes accélérations et se révélait parfaite pour les courses de côte et les épreuves de vitesse. Son principal défaut était la fragilité de la commande des soupapes par tiges et culbuteurs et différents kits de conversion furent commercialisés, mais aucun ne résolvait totalement le problème.

78 kg et 100 km/h pour la première ABC d'après-guerre ici présentée en 1919.
Ce fameux premier prototype PA448 diffère par de nombreux points des versions finales. Il n'a pas de kick.
Cette 2e version de 1919 a des échappements longs et les tôles du tablier sont différentes des modèles français qui suivront.
Le montage du bras oscillant déporté vers l'avant est différent comme le carter de boîte.
Cette même machine a un kick transversal et des culbuteurs en queue de cochon recouverts.
L'usine pense dés le départ à une version comportant un éclairage électrique mais ici tout équipement est juste peint sur la photo!
Ah, ca y est l'équipement électrique Lucas est bien installé avec une dynamo dans le logement prévu pour du carter de boîte.

L’ABC-Gnome & Rhône

En France, la société française des moteurs ABC passe, en novembre 1920, sous le contrôle de Gnome & Rhône, un autre avionneur en mal de reconversion, et son siège déménage au 41 rue La Boétie puis, en 1922, au 44 rue de Lisbonne. Le nouveau directeur de Gnome & Rhône, Paul-Louis Weiller, revend alors toutes les activités annexes dans lesquelles s’est impliqué Gnome & Rhône sauf ABC qui prend dès lors les couleurs de la marque française qui entend bien développer ses activités motocyclistes de la marque.

Le prototype britannique va donner lieu à des ABC notablement améliorées et fiabilisées. Les modèles suivants diffèrent, visuellement d’abord, par leur couleur avec les flancs de réservoir et le gris foncé anglais toujours utilisé sur les premières ABC françaises est vite remplacé par un crème très clair. La boulonnerie passe au pas métrique, un carburateur Zénith remplace celui réalisé par ABC, les soupapes sont différentes, l’embiellage est sur rouleaux et la pompe à huile interne sera rapidement remplacée comme sur les versions anglaises destinées à la course par une pompe mécanique fixée devant le carter et entraînée par l’arbre à cames. Le kick-starter est différent et un carter d’huile se rajoute sous le moteur remplaçant la boîte à outils qui vient se loger dans l’excroissance du carter initialement destinée à recevoir une dynamo pour les modèles dotés de l’option éclairage électrique. Le bras oscillant est monté sur des roulements sphériques (à auto alignement) de grand diamètre pour éviter les oscillations et distorsions latérales et les ressorts des suspensions sont plus raides. Les freins gardent les mêmes diamètres de 125 mm à l’avant et 165 à l’arrière, mais les tambours en tôle peinte des Anglaises se parent en France d’un bel ailetage de refroidissement.

Enfin cette ABC Gnome & Rhône offre en standard un compteur de vitesse, un indicateur de circulation d’huile et une montre huit jours est disponible en option. L’ABC française prend du coup 7 kg et passe de 78 à 85 kg, puis 90 kg pour la 500, toujours un poids plume. En 1921 est présenté une version 500 cm3 hélas hors de prix et qui ne sera guère utilisée qu’en course.  Elle est affichée en 1922 à 5500 F pour la moto seule, plus 1200 F pour le châssis du side, il est vrai très sophistiqué, avec une suspension fixée dur le bras oscillant (le pauvre !) de la moto et plus encore 750 F pour la caisse. Comparativement, la 400 ABC paraît la même année presque économique à 4900 F… mais la 500 Gnome & Rhône monocylindre type B ne vaut elle, que 3600 F.

L’usine française s’est bien vite aperçue que l’ABC trop moderne, trop sophistiquée et trop chère n’est pas ce qui convient le mieux pour viser une production en grande série distribuée par un réseau peu spécialisé pour des clients encore moins experts. Après en avoir construit environ 1600, Gnome & Rhône abandonne son beau bicylindre pour faire évoluer sa gamme à partir de la 500 type B née en 1921, un beaucoup plus rustique monocylindre quatre temps à soupapes latérales.

Le slogan ne laisse aucun doute, mais sur ce première publicité ABC, la photo est encore celle d'une version britannique.
Mon ABC de 1922 devant la magnifique affiche réalisée par Mich pour fêter les victoires de l'ABC aux Grands Prix de France 1921 et 1922
Les frêles dimensions du vilebrequin sont impressionnantes… et ça tourne à 6000 tr/min!
Réservoir de 10 litres à deux compartiments pour huile et l'essence et compteur chronométrique Jaeger.
Le point faible des ABC, ses culbuteurs et leurs tiges qui rêvent de s'envoler.
Une molette pour régler le graissage goutte à goutte et une pompe coup de poing d'appoint.
La version 500 cm3 présentée en 1921 avec son très cher side-car qui ne trouva que fort peu d'acquéreurs.
L'ABC continua d'avoir des adeptes bien après son arrêt de fabrication comme en témoigne ce couple qui pique-nique dans le bois de Vincennes en 1929. La fourche a été remplacée par une Webb classique et la suspension arrière supprimée (archives Jean-Yves Fenautrigues)
Les préparateurs continuèrent aussi de faire vivre l'ABC, en particulier Bathélémy qui prépara ce moteur pour une New Motorcycle en 1929 avec une distribution totalement enclose et un très volumineux carter d'huile sous le moteur. (photo © Jean-Michel Laborie)

L’apothéose en course

L’ABC continue pourtant d’être utilisée en course avec de grands succès jusqu’en 1924 avec la version 500 cm3 (67,5 x 68,5 mm) aisément reconnaissable par son gros frein avant à tambour de ø 165 mm et son carter d’embrayage de plus grand diamètre. On y voit même parfois un impressionnant tambour arrière de 220 mm !

En France, les succès de l’ABC ont d’ailleurs commencé dès 1919 avec une troisième place du directeur commercial de la marque Graeme Fenton à la côte du Mont-Verdun. L’apothéose vient en 1921 et 22 avec Henri Naas. Il remporte les GP de France ces deux années (321 km à 85 km/h en 1921 et 93,3 km/h avec un record du tour à 104,1 km/h l’année suivante). La 500 ABC brille aussi en endurance. Henri Naas finit 1er à l’issue des 3700 km du Tour de France 1922 suivi par deux Gnome & Rhône 500 type B et 1er au Paris-Nice tandis qu’il est 2e au Bol d’Or. L’ABC continuera à défendre avec succès les couleurs de Gnome & Rhône jusqu’en 1924.

Barlett à la course de côte de Gaillon en 1921, mais sans doute pas pendant l'épreuve à en juger par la pipe et la position du singe dans le panier ! (BNF Gallica)
Sept 500 ABC au départ d'une course d'endurance vers 1924. On reconnait Bernard au premier plan et Naasau 4e.
Henri Naas, malchanceux à ce Grand Prix de l'UMF à Tours en 1923. (BNF-Gallica)
Gustave Bernard, à droite, au GP d'Amiens vers 1922.
Henri Naas au GP de l'ACF à Lyon en 1924 avec une 500 ABC bien spéciale à cadre sans suspension arrière, réservoir d'huile supplémentaire et deux volumineux carburateur. Archives E. Favre
Gustave Bernard dans la cour de l'usine Gnome & Rhône, lui aussi avec une "spéciale" sans suspension arrière, à double carburateur et avec de sérieux renforts sur les culasses.
Barlett et Naas au GP de l'UMF à Strasbourg le 11 juillet 1922
Gnome & Rhône reviendra au flat twin dans les années trente avec ici aux côtés de l'ABC, une 500 CV2 et une 750 X attelée. Trois des plus belles motos françaises.
Voici tout juste cent ans, en 1919, naissait l’une des motos les plus modernes de son temps, l’ABC, créée en Grande-Bretagne par le génial Granville Bradshaw. Cinq ans avant la première BMW de 1923 à soupapes latérales, trois vitesses et cadre rigide, cette moto révolutionnaire offrait un flat twin à soupapes culbutées, quatre vitesses, une [...]

Salon de Milan 1959

L’EICMA 2019 ou salon de Milan de la moto a lieu du 5 au 10 novembre à la Fiera Milano, mais au fait savez-vous ce qui se cache derrière ce vilain acronyme EICMA ? C’est une abréviation pour Esposizione Internazionale Ciclo Motociclo e Accessori et il existe depuis 1914. Nous ne remonterons pas aussi loin, mais sautons aujourd’hui 60 ans en arrière pour une visite complète de l’exposition milanaise de décembre 1959.

Aermacchi présente ses 175 et 250 Ala d'Oro
…et une version plus sage l'Ala Rossa 175 cm3.
Chez un autre avionneur, AeroCaproni, la vedette est cette 125 quatre temps culbutée.
Alpino renouvelle sa gamme de scooters avec ce modèle deux temps disponible en 150 et 175 cm3, ce dernier offrant même un démarreur électrique.
Côté moto l'Alpino 250 (4 temps culbuté) se distingue par une double optique de phare. Elle ne sera finalement jamais commercialisée en Italie.
La Benelli 125 Sport est aussi un modèle phare dans la catégorie très fournie de 1/8e de litre.
Chez Beta, ce 65 cm3 Rondine se distingue par un cadre et un bras oscillant en tôle emboutie.
La Bianchi 125 Bernina, une 125 quatre temps née en 1954, a une culasse totalement ailetée comme un deux temps.
Décrite en détail dans les fiche de moto-collection.org, la Bianchi 400 de motocross à double ACT fut trois fois championne d'Italie.
Encore une marque qui n'est pas spécialement connue pour ses scooters et pourtant ce petit 50 cm3 Laverda à moteur quatre temps culbuté dont le cylindre vertical pointe sous la selle est bien attachant.
Après un premier scooter en 1952, FB Mondial y revient en 1959 avec ce Lady à moteur 2 temps de 75 cm3.
Un beau 4 temps culbuté cette fois, pour animer ce Motobi 175 Catria dont on admirera le cadre tubulaire auquel est suspendu le moteur.
La version course de l'Imperiale Sport 125 cm3 Motobi. Contrairement au scooter le cadre des Motos Motobi est une poutre en tôle emboutie.
Peu connus chez nous les scooters MV Agusta étaient pourtant les produits les plus rentables de la marque… à l'exception de ce 160 cm3 Bik quatre temps dont ce salon sera la seule apparition publique !
Je n'y peux rien, j'aime les inconnus et ce Guizzo dû à Palmieri-Gulineri à Bologne n'est pas courant. Le moteur st un 150 cm3 deux temps à cylindre horizontal.
Retour à la moto, mais encore avec un deux temps à cylindre horizontal sur cette Parilla Olimpia de 125 cm3.
Je ne vous en ai pas beaucoup parlé, mais les 50 étaient évidemment à l'honneur, ici chez Peripoli Giulietta avec une version spécialement affutée.
Le Capri de Garelli est plus connu en 80 cm3, mails apparaît ici dans sa version 125 GS.
Tous les adeptes du cyclo sport connaissent DEMM un petit constructeur milanais qui se rendit célèbre en établissant 24 records du monde en 1956 avec un 50 cm3 4 temps double ACT. Les versions commerciales sont malheureusement de classiques 2 temps.
Guzzi a profité du salon pour présenter la version 235 cm3 ISDT de son fameux 175 Lodola né en 1956. La grosse différence réside dans la distribution à simple ACT sur le 175 et à tiges et culbuteurs sur ce 235. (Plus de détails ici : https://www.moto-collection.org/moto-collection/fmd-moto-Moto-Guzzi-5120.htm)
En vedette chez Moto Guzzi le Tre x tre, un véhicule de montagne à trois roues motrices dont le moteur servira de base à la première V7.
La petite usine MDS des trois frères Scoccimaro née en 1954, présente ici son ultime modèle animé par un nouveau 80 cm3 4 temps culbuté à cylindre incliné.
Le motocross italien vit dans ces années de merveilleuses machines, dont la Bianchi et cette Mi-Val 500 dont une version légèrement différente est détaillée dans les fiche de moto-collection.org
On connait surtout les ViVi de Viberti pour leurs 50 cm3 à moteur Victoria, mais la petite marque de Turin s'essaya aussi au 125 avec ce beau 4 temps dont on sait s'il fut produit !
L'EICMA 2019 ou salon de Milan de la moto a lieu du 5 au 10 novembre à la Fiera Milano, mais au fait savez-vous ce qui se cache derrière ce vilain acronyme EICMA ? C'est une abréviation pour Esposizione Internazionale Ciclo Motociclo e Accessori et il existe depuis 1914. Nous ne remonterons pas aussi loin, [...]

Les Jawa improbables de 1939 à 45

Dans toute l’Europe l’industrie motocycliste renaît avec peine dans l’après-guerre, tandis qu’en Tchécoslovaquie, Jawa, qui est aussi une usine d’armement, tire plein profit de ses développements faits en secret… aux frais de l’armée allemande occupante !

À gauche : L’incroyable 500 DTC de Speedway bicylindre double arbre à compresseur réalisé par Sklenar en 1945 : 75 ch et 131 kg. À ses côté le moteur de la 500 DT à simple ACT de 1945 paraît presque sage !

Fin 1929, František Janeček, le fondateur de Jawa, engage George W. Patchett, un irlandais, pilote et ingénieur de renom qui a débuté en courant sur Brough Superior et McEvoy. Passionné par la moto comme par les armes, il a ensuite quitté Brooklands pour FN à Liège-les-Herstal en Belgique avant de rejoindre l’usine Jawa où il met la dernière main à la première moto de la marque, une 500 quatre temps culbutée qui n’est qu’une version améliorée de la Wanderer sortie deux ans plus tôt.

L’une des études les plus impressionnantes de Patchett sera la curieuse Jawa verte présentée ici, un prototype futuriste de 1933 exposé au Musée technique National de Prague. C’est une 350 cm3 à soupapes latérales avec une dynastart et un très élégant dessin du cadre en tôle emboutie qui intègre totalement le moteur et sa transmission par arbre, la boîte trois vitesses étant accolée au moyeu arrière. Elle ne pèse que 127 kg. Sa teinte armée, dont la restauration est, par erreur, un peu trop brillante aujourd’hui, avait alors été choisie pour permettre des essais sur route sans attirer les regards. Trop belle et trop chère sans aucun doute, cette belle utopie ne sera jamais produite, balayée par la vraie vedette de fin 1932 également due à Patchett : la première Jawa deux temps à moteur Villiers 175 cm3 dont le succès colossal (27 635 exemplaires vendus) permet à la Tchécoslovaquie de renverser en cinq ans le rapport import/export du marché motocycliste. 90 % des motos vendues dans le pays sont dès lors produites localement

La Jawa verte de 1933 à transmission acatène et démarreur électrique : une merveilleuse utopie !
La Jawa 175 à soupapes en tête et tiges de culbuteur en X de 1939

L’ingénieur F. Janeček, qui a toujours donné la plus grande importance à la course, vient alors de développer une nouvelle 175 cm3 à soupapes culbutées et tiges en X dont une dizaine d’exemplaires est construite à l’usine de Zbrojovka. Durant l’hiver 1938, l’équipe, menée par G. W Patchett, reprend le même dessin avec ces fameuses tiges en X sur des prototypes de bicylindre en 350 et 500 cm3 avec une alimentation par compresseur. Ces ultimes motos de course de l’avant-guerre ne sont toujours pas terminées lorsque l’Allemagne occupe le pays contraignant Patchett à se réfugier presto en Grande-Bretagne. Frantisek Karel Janeček réussi lui aussi à quitter Prague et il développera ses armes antichars pour les Britanniques, mais il ne récupérera jamais son usine, nationalisée par le régime communiste, et ira s’installer au Canada.

La majorité des citoyens tchèques ne se résout pas l’occupation allemande qui a débuté en 1938 avec les Sudètes pour s’étendre à toute la Tchécoslovaquie en mars 1939.

Dans ces tristes circonstances où on exécute des gens pour le moindre mot de travers, la vie continue pourtant avec une invraisemblable vitalité dans l’usine d’armes pragoise de Jawa où les employés sabotent gaiement le matériel militaire fait à la demande de l’occupant tandis qu’un département secret se consacre en sous-main à l’étude de nouveaux modèles de motos et de voitures pour l’après-guerre en profitant des subsides de l’armée allemande. Grâce à ces développements effectués durant les hostilités, Jawa entamera l’après-guerre avec une énorme avance sur la plupart des usines européennes et en particulier britanniques.

Jawa débute l'étude de sa 500 cm3 à 2 ACT alimentée par compresseur en 1942, mais elle ne fera ses premiers essais qu'après-guerre.

Après le départ de Patchett, son collègue tchèque Vincenc Sklenar continue le développement du 350 bicylindre et comme il n’obtient pas la puissance désirée, il transforme le moteur avec des soupapes commandées par un double ACT entraîné par arbre et couples coniques et une alimentation par compresseur. La recette est payante, car les fiches d’essai retrouvées font état de 47 ch ! Cet agencement n’était toutefois qu’un premier test pour voir le gain potentiel à attendre d’une telle distribution.

Sklenar débute vers 1942 le développement de nouvelles machines de course en catégorie 250, 350 et 500 cm3 avec des projets d’évolutions pour la vitesse et le speedway. Les 250 seront abandonnées en cours de route, mais les 350 et 500 arrivent à terme avec un bloc moteur bicylindre une distribution à double ACT cette fois entraînée par train de pignons entre les deux cylindres et une alimentation par compresseur (photo ci-dessus). Le cadre ininterrompu est en tubes ronds de faible diamètre avec une fourche avant télescopique et une suspension arrière coulissante. Construire en secret des motos de course dans une fabrique d’armes durant l’occupation n’étant pas sans danger. Les machines ne peuvent être finalisées faute d’essais et il n’y en eut qu’un très petit nombre d’assemblées après la guerre.

Paradoxalement la situation se révèle encore plus difficile après-guerre, car dans la nouvelle République Tchèque née en 1945 les caisses sont malheureusement bien vides et il est devenu impensable de détourner des fonds de la même manière pour les consacrer à des motos de course aussi chères et sophistiquées. Sklenar, désavoué par ses collègues qui critiquent ses concepts techniques, est « démissionné » et seules trois ou quatre de ses machines seront terminées : une 350, une 500, une version avec side-car pour les Six Jours en 1947 et le modèle de speedway exposé aujourd’hui au Musée technique National de Prague. Les résultats ne furent pas concluants. Les modèles de vitesse manquaient de fiabilité et celui de speedway avec un moteur beaucoup trop puissant dans un cadre manquant totalement de rigidité se révélait quasi inconduisible. Le plus grand succès de ces motos de Sklenar sera en 1947, la première victoire de l’équipe nationale tchèque aux ISDT.

Cette génération de Jawa de compétition restera sans suite et après une absence totale la marque repartira à zéro à la fin des années 40 avec une 500 de course construite sur la base du modèle de tourisme 500 cm3 Type 15 à simple ACT . Une autre belle histoire sur laquelle nous reviendrons.

L'ultime prototype de moto de course de l’avant-guerre développé par G.W. Patchett en version culbutée, puis modifié par Sklenar avec double ACT entraîné par arbre et couples coniques et un compresseur (ici manquant). En détaillant la photo on distingue toujours le passage des tiges de culbuteur !
Terminée en 1939 après le départ de Patchett cette 350 cm3 bicylindre annonce 47 chevaux, 130 kg et 180 km/h.
Le moteur démentiel du 500 DTC était monté dans un cadre pour le moins simpliste et la moto se révéla totalement inconduisible !
Prolifique et sans doute pas entièrement confiant dans son monstrueux twin à compresseur, Sklenar construit aussi en 1945 le 500 DT à simple ACT entraîné par arbre et couple conique qui annonce 50 ch (alimentée au méthanol) et 110 kg.

Petite incursion en quatre roues

En 1934, Janeček a aussi lancé la production d’une petite voiture animée par un bicylindre deux temps à refroidissement liquide de 750 cm3 et à traction avant. Le moteur est au départ une fabrication sous licence DKW et par la suite remplacée par une mécanique dessinée par l’usine Jawa. Pour le plus la course la plus importante de l’entre-deux-guerres dans leur pays, les 1000 miles de Tchécoslovaquie en 1935, Jawa construisit six versions sportives spéciales développant 26 ch et capables de 110 km/h qui remportent la catégorie 750 cm3 dans cette épreuve ainsi que la prestigieuse Coupe du Président de la République donnée à la meilleure équipe. Trois versions étaient en cabriolet et trois autres en version coupé comme celle conservée au Musée technique National de Prague qui est la seule survivante.

Le ravissant coupé de 1935, une traction animée par un moteur 750 cm3 deux temps bicylindre.
Dans toute l’Europe l’industrie motocycliste renaît avec peine dans l’après-guerre, tandis qu’en Tchécoslovaquie, Jawa, qui est aussi une usine d’armement, tire plein profit de ses développements faits en secret… aux frais de l’armée allemande occupante ! À gauche : L’incroyable 500 DTC de Speedway bicylindre double arbre à compresseur réalisé par Sklenar en 1945 : 75 ch [...]