Naissance de la vraie ABC
Nous arrivons enfin, à l’ABC finale que Bradshaw projette avec Sopwith Aviation. En cette fin de guerre, Sopwith qui a pris de l’ampleur pendant les hostilités doit comme beaucoup d’autres avionneurs se reconvertir rapidement. La société décide donc de prendre la construction des motos ABC et installe les équipements de production les plus modernes pour y arriver.
Bradshaw a revu totalement sa copie de 1918 tout en restant fidèle au concept de base de son moteur. Il est cette fois disposé en travers dans une partie cycle, elle-aussi, tout à fait révolutionnaire avec un très large double berceau qui supporte les marchepieds et protège les cylindres des projections comme des chutes. Autre innovation majeure, la suspension arrière oscillante amortie, comme la fourche avant à parallélogramme, par des lames de ressort. Le réservoir entre tubes de 9 litres plus une réserve d’huile, est désormais triangulaire.
La cylindrée est réduite de 500 à 398 cm3 avec des cotes super carrées (une autre originalité à l’époque) de 68,6 x 54 mm. Les cylindres sont toujours en acier et la culasse fonte à chambre de combustion hémisphérique a des soupapes inclinées culbutées. Le vilebrequin tourne sur deux paliers sur roulements à billes et les deux bielles, identiques cette fois, sont montés sur aiguilles. Les descriptifs britanniques et français notent une pompe à engrenages logée dans le carter et entraînée par le vilebrequin qui envoie l’huile depuis le bas du carter moteur vers l’embiellage, toutefois sur une dizaine de moteurs anglais ou français ouverts nous n’avons jamais vu cette pompe mécanique. La boîte de vitesses boulonnée sur le bloc moteur est similaire à celle utilisée sur les précédents modèles à quelques renforts près et un embrayage mono disque (plat et non à cone comme indiqué sur les notices) garni de ferrodo sur ses deux faces est intégré au volant d’inertie. Grâce à un renvoi d’angle, la transmission s’effectue par chaîne et les deux roues reçoivent des freins à tambour. Il est construit environ 6 prototypes et il ne faut que 11 jours pour réaliser le premier, ce qui permet à Bradshaw de remporter les 1000 £ d’un pari qu’il avait fait stipulant que la moto pourrait être réalisée en moins de 21 jours et qu’il recevrait 100 £ par jour gagné sur ce planning.
La sortie du modèle d’après-guerre est très attendue en particulier pour la course, car le modèle précédent avait eu un gros succès. ABC engage d’ailleurs ses prototypes à plusieurs évènements sportifs en 1919 à commencer par le Londres-Édimbourg pour lequel les motos ne sont terminées que quelques heures avant la course et ne font aucun essai. Les deux pilotes Jack Emerson et, déjà, E. M. P. Boileau de Gnome & Rhône finissent pourtant tous deux l’épreuve ce qui était fort encourageant.
Enfin finie, l’ABC britannique de Sopwith Aviation est présentée au salon de Londres 1919, mais aussi en Italie où elle est distribuée par Ugo Veladini à Milan et en France où la société française des moteurs ABC (13 rue Auber à Paris puis 118 rue de la Boétie) en a lancé la fabrication sous licence pour échapper aux dures conditions d’exportation. La version applaudie par la presse en novembre 1919 n’est cependant pas disponible cette année-là pour la clientèle alors que l’usine est submergée avec plus de 45 000 commandes en 18 mois, et que Sopwith prévoit une production annuelle de 5 à 10 000 exemplaires.
Cette ABC des débuts manque hélas de mise au point et sa fabrication est bâclée, serrage moteur, bris de culbuteurs ou perte des tiges, graissage insuffisant et système de kick (en option) fragile… Le bref passage de Walter Moore en tant que directeur de la production n’aura pas le temps d’être efficace. Les livraisons sont sans cesse reportées et les prix s’envolent, car l’Angleterre est en pleine crise. Le prix de vente annoncé au salon 19 est de 85 £, mais les premiers exemplaires disponibles arrivent à 110 puis bientôt 130 £. Pour le prix elle est peinte en noir mat gun métal avec un viseur de débit d’huile et une pompe à main. Le compteur entraîné par la boîte est facturé 5 £ et l’éclairage électrique Lucas 22 £ plus 32 £ encore pour le side-car et les équipements additionnels ce qui met l’attelage tout équipé à 170-190 £. Le kick-starter (très fragile) n’est proposé qu’en option en avril. En mai le prix passe à 150 £ et un peu plus tard l’usine annonce des modifications : un graissage séparé pour chaque cylindre, une petite boîte à outils fixée sur le réservoir, des lames de ressort droites et non plus courbes à l’avant et un nouveau châssis de side-car suspendu.
Sopwith Aviation crée alors la surprise en septembre 1920 en décidant soudainement de se mettre en liquidation judiciaire alors qu’elle est toujours solvable, mais la Hawker Engineering Cy qui a pris les manettes de la branche aéronautique est convaincu que l’ABC de Bradshaw qui n’a été produite que 11 mois est trop originale et coûteuse à produire avec un bénéfice décent même avec son prix porté à 150 £ qu’il eut fallu doubler. Il avait été commercialisé 2200 motos en 1920 et peut-être 2 à 300 en novembre-décembre. Les stocks restants ont été montés à raison de quelques dizaines de motos par semaine jusqu’environ juillet 1921, par Hawker puis par Jarvis à Wimbledon. En 1920, l’usine continue pourtant de supporter Emerson et quelques pilotes privés dont G. H. Stewart avec quelques beaux succès dont 25 records signés par Emerson sur 50, 100, 200, 300 et 350 miles et ceux de 1 à 6 heures, avec une heure à 113,4 km/h de moyenne.
Les ABC disparaissent ensuite progressivement des circuits britanniques en 1922-23. Dans le monde de la course, la 400 avait pourtant été bien reçue bien qu’elle n’ait pas la même vitesse de pointe que le modèle d’avant-guerre. Elle avait d’excellentes accélérations et se révélait parfaite pour les courses de côte et les épreuves de vitesse. Son principal défaut était la fragilité de la commande des soupapes par tiges et culbuteurs et différents kits de conversion furent commercialisés, mais aucun ne résolvait totalement le problème.