Le rêve de la moto quatre cylindres naît très tôt aux États-Unis et de 1909 à 1942, sept marques se lancent dans l’aventure dont Sinclair avec son étonnante Militor, une moto ? Non une automobile à deux roues et cinq constructeurs successifs y ont cru !
Photos © François-Marie Dumas & archives / moto-collection.org
S’inspirer de l’automobile est au départ une bonne idée, bien que les concepteurs oublient parfois que le quatre cylindres disposé en long implique une longueur exagérée de la machine qui nuit forcément à sa maniabilité. Mineur sur les premières petites quatre cylindres FN à partir de 1904 qui sont dépourvues de boîte de vitesses, ce défaut devient grave quand se greffe derrière le moteur une boîte encombrante. Sans parler du refroidissement par air bien compliqué à gérer pour les cylindres arrière.
En 1910 une entreprise d’origine canadienne présente un bien curieux prototype que même le constructeur appelle “car” et non pas moto. Il s’agit de fait d’une sorte d’automobile deux roues, avec deux roulettes latérales relevables par un levier pour assurer la stabilité aux basses vitesses et à l’arrêt. Cette Militaire, dont le nom indique clairement le marché visé est le fruit des élucubrations de la Militaire Autocycle Company qui installe son usine à Cleveland dans l’Ohio en promettant une production de 1000 machines par an, dont on ne sait si elle eut lieu. Cette première réalisation est animée par un monocylindre de 480 cm3 refroidi par eau et à vilebrequin transversal disposé sur l’avant de la moto. Un arbre transmet la puissance à un relais sous la selle avec l’embrayage et une boîte deux vitesses. La transmission finale s’effectue par chaîne. La partie cycle préfigure celle des modèles suivants avec un concept très automobile. Un large double berceau remonte derrière la roue arrière pour accueillir la selle suspendue par le long porte-à-faux de la boucle qui le supporte. Le réservoir d’essence est sur le garde-boue arrière et l’avant se distingue par une très lourde fourche fixe à roue poussée, la direction, actionnée par un volant, étant dans le moyeu.
Le projet n’a pas de suite et la société est rachetée par N. R. Sinclair en 1913 dont les usines sont à Buffalo dans l’état de New York tout comme Pierce qui a réalisé la première quatre cylindres américaine en 1909. La Militaire-Sinclair qui apparaît en 1914, est cette fois une quatre cylindres et l’impact de cette motomobile révolutionnaire est si grand que la Champion Motor Car Company à Saint-Louis dans le Missouri (sans rapport avec les bougies du même nom) en prend la licence de fabrication et produit des exemplaires sous son label.
Cette première Militaire Four a abandonné le volant de direction, mais conserve le concept général du premier mono prototype. Le moteur est un 1065 cm3 à soupapes d’échappement culbutées et d’admission latérales qui annonce 10 chevaux qui se distingue par un montage très soigné avec un vilebrequin sur trois paliers et un usage généralisé de roulements. La boîte boulonnée à trois rapports et marche arrière est commandée par un levier de type automobile (encore !) entre les jambes du pilote (comme sur ma Sévitame !). La partie cycle est beaucoup plus originale avec son châssis à deux longerons qui fait également office de carter inférieur du moteur et de réservoir d’huile. Les roues avant et arrière sont suspendues sur lames de ressort. L’ensemble fourche-direction est on ne peut plus complexe… et lourd avec trois paires de tubes parallèles. Les tubes avant supportent le guidon et pivotent avec lui la roue tournant dans son roulement central avec un joint tripode. La paire de tubes arrière, solidaire du cadre, est reliée dans sa partie basse à la paire de tubes centrale par des biellettes. Lesquels tubes centraux ont une partie coulissante en haut, supportent, en bas, l’axe de roue courbe et l’avant des biellettes qui s’appuient sur les ressorts à lames. Ouf… tout cela pour environ 5 cm de débattement !
S’y rajoute une suspension télescopique de la selle. Une paire de pédales à l’arrière du marche-pied gauche commande l’abaissement et le relevage des roulettes stabilisatrices amorties et rappelées par de forts ressorts.
Les premières Militaires produites soufrent hélas d’innombrables problèmes techniques qui sont en bonne partie corrigés fin 1914 (Voir la fiche technique ici), cependant, ni les motocyclistes, ni les automobilistes ne s’y retrouvent dans ce produit hybride et cher qui n’a de surcroît qu’un très petit réseau de diffusion. C’est une première faillite en 1917, mais N.R. Sinclair reste confiant et fonde la Militor Motor Corporation dans le New Jersey en rebaptisant son œuvre “Militor” . Il réussit même à en vendre un petit lot à l’armée qui est envoyé en France en 1918 . Pas assez pour survivre et Sinclair dépose à nouveau son bilan en 1919. Nouveau départ en 1920, Sinclair s’associe avec Bullard Machine Tool Cy à Bridgeport (Connecticut) pour fonder la Militor Motors Corporation qui s’installe dans les anciennes usines de la Knox Motor Factory à Springfield, Massachusetts à quelques encablures de l’usine Indian). Fort de son nouveau capital Sinclair ne se dépare pas de son optimisme et projette 5000 motos par an… en rebaptisant une nouvelle fois son business en Sinclair Motors. La Militor, que l’usine décrit pour la première fois avec le nom de moto, est revue de fond en comble, avec une simplification notable de sa fourche avant, l’abandon de ses roulettes (inutiles, elle n’est utilisée qu’avec un side-car) un carénage de la roue arrière et surtout, un tout nouveau moteur de 1114 cm3 (63,5 x 64,4 mm) à soupapes culbutées. Elle annonce cette fois 22,5 ch en sortie de boîte et 105 km/h, mais reste longue avec un empattement de 1676 mm. La fabrication est superbe, mais les ingénieurs de Sinclair semblent avoir commis nombre d’erreurs, et la production cesse définitivement en 1922 après de trop nombreux retours d’utilisateurs mécontents.
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