Félix Millet: 5 cylindres et 1900 cm3 il y a 120 ans

Une moto française de 1900 cm3 à cinq cylindres, vous y croyez, vous ? Ce fut pourtant vrai, il y a maintenant 130 ans avec la Félix Millet, seconde version, un ancêtre étonnant qui cumule les inventions : moteur multicylindre en étoile, suspensions avant et arrière oscillantes et bien d’autres choses. Découverte.

Ce premier prototype de 1895 de la Félix Millet est exposé au musée des Arts et Métiers à Paris et la version de 1897 dort dans les caves du lycée technique Hyppolyte Fontaine à Dijon où il n'est malheureusement pas visible pour le public. 

Seize ans après le vélocipède à vapeur de Louis-Guillaume Perreaux, premier deux roues à moteur visant la commercialisation, et deux ans après que Gottlieb Daimler installe le premier moteur à explosion dans un rudimentaire cadre en bois avec deux roues de charrette et deux roulettes latérales, le génial Félix Millet construit, en 1887, sa « Roue Soleil » avec un fabuleux cinq cylindres en étoile et, même, un embryon de suspension sous la forme d’un montage du moteur sur quinze anneaux souples formant ressorts ! Il l’installe l’année suivante à l’avant d’un tricycle et en dépose le brevet fin 1888 officialisant ainsi son titre d’inventeur du moteur en étoile rotatif (le vilebrequin est fixe et c’est le moteur qui tourne avec la roue) à ne pas confondre avec le moteur fixe en étoile. (En ces temps bénis, on construisait d’abord et brevetait ensuite).

Le bon Félix est convaincu que l’avenir est aux deux roues motorisés et il y travaille sec. Il faut dire que la concurrence est rude. Paul Daimler, le fils de Gottlieb, a roulé sur 3 km avec la « brouette à moteur » de son père le 10 novembre 1885, et la Hilldebrand & Wolfmuller, brevetée en 1894, a fait ses premiers tours de roue en juin de la même année.

Félix Millet construit sa première bicyclette à pétrole  (L’appellation Motocyclette n’est inventée qu’en 1898 par les frères Werner) en 1894 avec sa fameuse « Roue Soleil » à cinq cylindres dans la roue arrière (cet exemplaire est conservé au musée des Arts et Métiers). Elle sera l’une des sensations du deuxième Salon du Cycle organisé en décembre 1894 par la Chambre Syndicale à Paris. Ce salon des pionniers réunit 350 exposants et, pour la première fois, un tricycle à vapeur de Dion Bouton et deux motos : La « Pétrolette », présentée par Duncan & Superbie qui est en fait une Hildelbrand et Wolfmüller allemande francisée pour la circonstance et, sur le stand des cycles Gladiator, la formidable Félix Millet. Sa Roue Soleil a évolué par rapport à celle du tricycle et délaisse le montage suspendu du moteur dans la roue, car Millet vient d’inventer la suspension avant avec une fourche à roue poussée qui joue sur la flexibilité des bras horizontaux supportant la roue et s’appuie via un pontet sur une lame de ressort formant garde-boue. La direction déportée agit via un système de biellettes et la chaîne de transmission du pédalier est sous carter !

Rien de tel que la compétition pour tester un produit et justement un certain Marquis de Dion organise le 11 juin 1895, la première grande course internationale, le Paris-Bordeaux-Paris : 1200 km d’une traite à couvrir en moins de 100 heures. La Félix Millet qui a fait ses premiers tours de roue en public au printemps prend le départ en confiance. Aucun deux ni trois roues n’en réchappera pourtant, mais la Millet couvrira, quand même, 54 km en 3 heures et 8 minutes avant de déclarer forfait.

Satisfait de son expérience Félix Millet entend bien commercialiser sa motocyclette à cinq cylindres et il fait réaliser chez Alexandre Darracq (le très important constructeur des cycles Gladiator) la seconde version « industrialisée » qui est présentée en 1897 (et qui est actuellement conservé dans les caves du Lycée Technique Hippolyte Fontaine à Dijon).

Cette extraordinaire machine cumule les innovations : moteur en étoile, allumage batterie-bobine et trembleur, graissage par mélangeur automatique, guidon basculant vers l’avant qui met automatiquement en place une double béquille latérale, embrayage commandé par poignée tournante ou par rétropédalage avec frein. Et plus encore : une partie arrière du cadre en caisson qui sert de réservoir d’essence et de garde boue, des suspensions avant et arrière oscillantes, une chaîne de transmission du pédalier d’assistance et de démarrage qui passe dans les tubes du double bras oscillant arrière… un délire d’ingénieur comme on les aime. Le tout pèse 60 kilos et sera chronométré à 53 km/h en 1898.

Trop en avance, trop sophistiquée, trop bien en un mot, cet extraordinaire engin n’est pourtant produit qu’à un ou deux exemplaires dans l’usine de Suresnes. Le pragmatique Alexandre Darracq, s’étant sans doute dit qu’un simplissime monocylindre à la façon de Werner ou de Dion avait plus d’avenir qu’un 5 cylindres en étoile, laisse tomber le projet de fabrication de la Félix Millet. Bien des solutions techniques inaugurées sur cette machine révolutionnaire connaitront le succès dans les décennies suivantes, mais il était décidément trop tôt.

Sans succès en moto, la Millet aura toutefois une descendance glorieuse, car les frères Seguin, fondateurs de la société Gnome & Rhône (qui deviendra SNECMA puis Safran) vont reprendre et développer le concept du cinq cylindres rotatif en étoile et présenter, en 1907 leur première réalisation, l’Omega, un moteur aéronautique rotatif à 7 cylindres en étoile.

La fiche technique complète est ICI.

La « Roue Soleil » de ce premier prototype a une cylindrée de 1925 cm3 et annonce 1,2 ch à 180 tr/min avec un régime maxi de 325 tr/mn. La moto pèse 60 kg dont 10 kg seulement pour le moteur, dont 4 kg pour la bobine d’induction et 8 kg pour la pile dont il faut changer les acides à peu près aussi souvent qu’on fait le plein ! La suspension avant, première du genre, est à roue poussée avec deux bras déformables en acier ressort qui supportent la roue et un arceau qui vient s’appuyer sur une lame de ressort supérieur jouant le rôle d’amortisseur. Cette vue  montre bien le système de direction déportée à biellettes, la chaîne de transmission sous carter du pédalier d’assistance, le garde-boue arrière qui fait, déjà, office de réservoir et les béquilles commandées par un levier sous la selle se déploient latéralement. (Clic sur les photos pour les agrandir)

Photo dédicacée par Félix Millet lui-même de sa première réalisation. Le tricycle « dos-à-dos » a été construit en 1869 et la « roue soleil » montée à l’avant date de 1887. On y notera la suspension par anneaux ressort du moteur qui compense l’absence totale de pneumatique.

Quel imbroglio, tous les éléments sont intégrés et le fonctionnement bien ardu à comprendre ! Le cadre coque en tôle rivée sert aussi de garde-boue, de boîtier d’admission et de réservoir d’essence sur l’arrière. Au centre, le gros moyeu blanc en porcelaine devant le pédalier est la pile d’allumage (brevet Millet) qui est mise en fonction en la faisant tourner d’un demi-tour pour mettre en contact ses constituants (acides nitrique et sulfurique). La suspension avant reprend le modèle inauguré avec la version de 1895, mais cette fois le même principe est aussi utilisé pour l’arrière avec un bras oscillant articulé sur l’axe du pédalier qui cumule lui aussi les fonctions. Ce bras s’appuie sur un arceau guidé par deux biellettes et relié au garde-boue par un ressort amortisseur qui travaille en traction. Les deux tubes de gauche servent de carters pour les brins de la chaîne. Le tube central du même côté sert à la fois d’échappement et de barre de torsion pour la suspension. (collection lycée technique Hyppolyte Fontaine, Dijon)

Comment ça marche ?  L’air admis sous l’avant de la selle (réglable sur un coulisseau) est réchauffé au niveau du pédalier par les gaz d’échappement qui arrivent par le tube central-barre de torsion. Il passe ensuite par le tube supérieur du droit du bras oscillant pour être mélangé à l’essence et vaporisé à l’arrivée vers les clapets d’admission. Enfin, au centre de la roue apparaît le doseur du graissage dont on vous laisse deviner le circuit… intégré bien sûr . (collection lycée technique Hyppolyte Fontaine, Dijon)

Un truc génial : relever le guidon amène l’abaissement des deux béquilles latérales reliées par une cordelette. Deux poignées tournantes commandent respectivement les gaz et l’embrayage (également actionné par rétropédalage couplé avec le frein). Sous le guidon, à gauche la bobine de l’allumage haute tension à droite, un ancêtre du graissage séparé des deux temps modernes, avec un réservoir qui contient trois différentes sortes d’huiles et pétrole pour le graissage « automatique » réglé par les pointeaux qu’on distingue en dessous.

Félix Millet sur un tricycle Autofauteuil au Tour de France 1906 (BNF-Gallica)
Une moto française de 1900 cm3 à cinq cylindres, vous y croyez, vous ? Ce fut pourtant vrai, il y a maintenant 130 ans avec la Félix Millet, seconde version, un ancêtre étonnant qui cumule les inventions : moteur multicylindre en étoile, suspensions avant et arrière oscillantes et bien d'autres choses. Découverte. Ce premier prototype [...]

Maico 400 Taifun 1958

Une moto normale n’est qu’un assemblage d’éléments séparés, un moteur, un cadre, deux roues et quelques accessoires… à de très rares exceptions près, comme la Maico Taifun de 1953 qui invente le concept global. Une révolution.

Photos © François-Marie Dumas / moto-collection.org

Fondée en 1926 par Ulrich Maish, Maico (acronyme de MAIsch & Co) commence par faire des vélos puis, cinq ans plus tard, des motos à moteurs Sachs ou JLO. En 1939, l’usine s’installe définitivement à Pfäffingen. Le premier moteur de la marque, un 125 deux-temps, est créé juste après-guerre et la production passe de 5 600 motos en 1950 à près de 17 000 en 1952. L’usine s’implique déjà activement dans les épreuves de tout terrain et de régularité comme les Six Jours internationaux, mais elle va aussi à réaliser des machines de route à la pointe du progrès.

Les Allemands sont perfectionnistes, on le sait, et dans les années 50 les grandes marques de motos d’outre-Rhin se livrent à une effarante course à la qualité qui va d’ailleurs influencer notablement l’industrie motocycliste japonaise. Rien à voir avec la course à l’armement des motos actuelles qui vise trop souvent des performances aussi inutiles qu’inaccessibles.  L’Allemagne d’alors recherche, elle, la perfection absolue dans la moto de tous les jours quel que soit le prix et la complexité de mise en œuvre des technologies employées. À ce titre la Maico Taifun est l’un des exemples les plus aboutis avec un concept aussi génial que novateur et des techniques de pointe. Trop belle, trop sophistiquée et trop chère, elle sera abandonnée courant 1958, à une époque où la moto allemande est déjà profondément souffrante. Avant elle auront disparu les plus belles moyennes cylindrées du moment, comme les Victoria Bergmeister ou Hoffmann Gouverneur.

Les principaux responsables de ce concept révolutionnaire sont l’ingénieur Fischer et Ulrich Pol, pilote de renom en tout terrain et en particulier aux Six Jours. Impossible ici de parler d’un cadre, d’un carter moteur ou d’un filtre à air… il s’agit d’une seule et même pièce… il est vrai assez monumentale. Le bloc moteur-cœur-de-cadre de ce bicylindre deux-temps est un curieux empilage de trois pièces : un carter inférieur à plan de joint horizontal et un carter supérieur qui reçoit le bloc-cylindres sur l’avant et se prolonge sur l’arrière en un demi-boîtier où prennent place le ou les carburateurs. Au-dessus de cette boîte à carbu se boulonne un autre carter qui relie le bas-moteur au cadre et fait office de boîte à air. Un gros tube supérieur supportant le réservoir et un tube descendant devant le moteur complètent ce moteur-cadre. Le bras oscillant, autre volumineuse pièce de fonderie, est fixé sur l’arrière du bloc moteur et son articulation concentrique au pignon de sortie de boîte assure une tension constante de la chaîne duplex contenue dans la branche droite du bras qui sert de carter étanche. Un pignon sur excentrique assure le réglage de tension. La suspension est assurée par un seul amortisseur hydraulique (à droite) et deux éléments télescopiques à deux ressorts concentriques, un levier permettant de déconnecter 2 ressorts pour l’utilisation en solo.

Le changement de catégorie s’effectuant à partir de 400 cm3 en Allemagne, Maico a tiré plein profit des 50 cm3 supplémentaires permis en réalisant une 394 cm3, mais une version 348 cm3 est prévue pour l’export (2 ch de moins et alésage de 61 au lieu de 65 mm). Les prototypes ont une fourche avant télescopique, deux carburateurs, une transmission qui comporte une roue libre en décélération et un embrayage automatique, mais les modèles commercialisés se contenteront d’un seul carburateur. La roue libre comme l’embrayage automatique sont abandonnés et la fourche télescopique est remplacée par une fourche oscillante type Earles encore une fois constituée par un monumentale pièce de fonderie qui englobe la colonne de direction, supporte phare et garde-boue et offre des points de fixations en bas au bras oscillant et en haut à l’amortisseur.

Unanimement encensée par les essayeurs de la presse spécialisée pour ses performances de son moteur et de sa partie cycle, la Taifun n’est guère critiquée que pour la position de conduite du pilote… et surtout son prix qui va dramatiquement limiter sa diffusion. En 1956, les 350 et 400 Maico sont respectivement proposées à 348 et 354 000 F alors qu’un autre bicylindre deux temps allemand, la 350 RT DKW ne vaut que 285 000 F et une 500 BSA A7, 340 000 F.

Plus de données techniques ICI  – Cliquez sur les photos pour les agrandir et accéder aux légendes

Achetée en 1959 par Michel Martin et restaurée par ses soins voici quelques années, la sublime Taifun 350 qui illustre ces colonnes appartenait à Milone, célèbre pour ses préparations de Lambretta dont un modèle très spécial sur lequel courut Bernard Krajka avec un moteur Gnome et Rhône 200 cm3 ou un “vrai” Lambretta gonflé pour Michel Martin, futur propriétaire de cette Taifun. Engagé au Bol d’Or 1959 avec Heuqueville comme copilote, Milone fait une préparation sommaire de sa Taifun consistant principalement en un remplacement du carbu Bing de 26 d’origine par un gros Dell‘Orto de 30 ou 32. La belle Taifun sera, hélas victime d’une erreur de manipulation ou d’une main malveillante ayant mis de la poudre d’émeri dans l’essence et elle abandonne à la 18e heure. Pour le Bol d’Or 1960, Milone prête la Maico à ses presque voisins les frères Charles et Bernard Krajka « Cette Taifun était un véritable avion » se rappelle Charles « Elle frisait les 170 km/h avec une tenue de route absolument superbe pour l’époque. Il fallait simplement savoir qu’on devait éviter de changer de régime brutalement en courbe. La dynamo Bosch avait un volant d’inertie fixé sur le rotor et en changeant de rapport pour rentrer dans Ascari, le disque s’est désolidarisé… comme nous courrions en catégorie moto de série, on ne nous pas autorisés à le changer ». Entre temps, Charles Krajka, passionné inconditionnel du side-car comme on le sait, vends un châssis de side à un client et bientôt ami : Michel Martin, lequel va faire son chemin sur trois roues puisqu’il fait connaissance chez Milone avec un certain Michel Douniaux, sidecariste de renom, dont il va être occasionnellement le singe pendant quelques années. Mais Michel fait une autre rencontre chez Milone en 1960, la Taifun, dont il tombe éperdument amoureux et pour laquelle il casse sa tirelire. Ce sera sa première moto. Elle a beaucoup vécu depuis. Toujours en 350 cm3, elle court même à la côte Lapize en side-car aux mains de Douniaux. Elle quitte ensuite son premier propriétaire pendant quelques années puis lui revient en piteux état. « Je l’ai refaite entièrement d’origine, à la poignée de gaz près avec son câble intégré au guidon que je n’ai pas pu retrouver » raconte Michel Martin aussi en forme que sa moto « Elle tourne comme une montre. Je n’ose pas la pousser à fond, mais je suis sûr qu’elle a encore des performances supérieures à celle donnée au catalogue bien que je lui ai remis son “petit” carbu ».

Charles Kraka au guidon de la Maico Taifun qu’il pilotait avec son frère Bernard au Bol d’Or 1960. Notez l’antibrouillard et les trous d’aération sur le carter-boîte à air.
Une moto normale n’est qu’un assemblage d’éléments séparés, un moteur, un cadre, deux roues et quelques accessoires… à de très rares exceptions près, comme la Maico Taifun de 1953 qui invente le concept global. Une révolution. Photos © François-Marie Dumas / moto-collection.org Fondée en 1926 par Ulrich Maish, Maico (acronyme de MAIsch & Co) commence [...]

Royal Standard 1929: L’idéal suisse

Des 52 marques de motos que compta la Suisse dans son histoire, Royal Standard est l’une des plus petites avec un seul modèle produit. Elle n’en est pas moins tout à fait typique du principal « défaut » helvète : le goût de la surqualité. Photos et archives © FMD/moto-collection.org – Cliquez sur les images pour les agrandir et accéder aux légendes

Inconnue du monde de la moto jusqu’alors bien qu’elle ait été fondée en 1919, Royal Standard est la marque de la Société Panchaud et Cie à Genève dont la fabrication est assurée par les Ateliers des Charmilles. Étonnamment moderne, cette Royal Standard, présentée en 350 cm3 au salon de Genève de mars 1928, tente de rassembler toutes les techniques les plus avancées de son époque avec un bloc moteur dessiné tout spécialement par René Zürcher. Attention à ne pas confondre Ernest et René. Ernest Zürcher, le père, a fondé en 1896 Zürcher et Lüthi (vite célèbre pour ses moteurs Zedel) à Saint-Aubin au bord du lac de Neuchatel. Fils aîné d’Ernest, René Zürcher s’est brouillé avec son pére en 1921, est parti en Algérie monter un garage automobile  à Sidi-Bel-Abbès en 1922 avant de revenir vers son Helvétie natale signer le dessin de ce moteur qui sera construit par Panchaud et Cie aux Ateliers des Charmilles à Genève. Ce sera à ma connaissance sa seule participation au monde motocycliste et René Zürcher connaitra beaucoup de succès par la suite dans le matériel agricole en particulier avec le dessin des tracteurs Hurlimann.

Retour à notre Royal Standard qui se distingue par une réalisation très aboutie et particulièrement soignée dans les moindres détails, ce qui ne l’empêchera pas de rester ultra confidentielle en raison sans doute de cette recherche typiquement suisse de la perfection et du prix qui en découle : 2200 Francs suisses annoncés lors de la sortie de moto à Genève en 1928 qui se transforment finalement en 1450 Francs. Les derniers modèles sortent en 1932 et durant ces cinq ans d’existence, il semble qu’il se soit vendu moins de 700 Royal Standard. La marque disparaît définitivement en 1935. À cette époque où la très grande majorité des motos sont à boîte séparée et le plus souvent monocylindres, la Royal Standard impressionne avec son volumineux bloc moteur aux lignes très nettes et ses deux cylindres en ligne avec un très volumineux collecteur d’échappement en aluminium d’un côté et le carburateur de l’autre.  Il est vrai que le choix du bicylindre en ligne implique le bloc moteur. Deuxième grand modernisme, la distribution confiée à un simple arbre à cames en tête avec, raffinement ultime, une culbuterie totalement enclose, recouverte d’un large couvercle en aluminium, ce qui est encore fort rare à l’époque. C’est d’ailleurs une sorte d’obsession chez le constructeur de faire solide, propre, silencieux, facile à entretenir et à réparer. La description dithyrambique des catalogues insiste : roulements à billes partout, ligne d’arbre démontable en trois tours de clé, etc.

L’arbre vertical entraînant l’arbre à cames en tête est disposé derrière les cylindres et ce moteur en long ne devant justement pas trop l’être, René Zürcher a opté pour une vis sans fin, moins encombrante, qui engrène sur une couronne intermédiaire. Un joint de Oldham central permet un démontage rapide du haut moteur sans dérégler la distribution. En partie haute, l’accouplement avec l’arbre à cames s’effectue par un classique couple conique et cet arbre se prolonge par un petit volant d’inertie censé éliminer totalement les vibrations. L’axe portant la couronne d’entraînement de la distribution se prolonge vers l’arrière vers la magnéto-dynamo Bosch. On admire encore le schéma de lubrification qui va encore être amélioré au fil du développement. Sur la première version de 350 cm3 (56 x 71 mm) présentée au salon de Genève, l’huile (2,5 litres d’huile contenus dans le bas du carter moteur) est envoyée par une pompe à engrenages noyée vers la boîte de vitesses et dans l’arbre à cames creux pourvu d’orifices sur les cames. L’huile redescend ensuite vers le bas moteur par un conduit venu de fonderie. Sur le modèle commercialisé l’année suivante la cylindrée passe à 413 cm3 (60x 73 mm), le boîtier d’ACT a été rallongé vers l’avant avec un système d’équilibrage censé éliminer les vibrations et une arrivée d’huile réglable. Il y a désormais un réservoir séparé de 3 litres et le carter moteur ne contient plus que 1,5 litre. Derrière ce beau moteur l’embrayage tout métal en bain d’huile associe disques acier et disques bronze et la boîte à trois rapports commandés par levier au réservoir, est suivie d’un couple conique et d’une classique transmission par chaîne.

Comme on pouvait s’y attendre au vu d’une telle mécanique, ce n’est pas la recherche de performances qui guidait Royal Standard, mais le confort et la machine promet 100 km/h en tournant calmement à 5000 tr/min dans un silence impressionnant.Tout aussi moderne que la mécanique, la partie cycle est confiée à un classique double berceau ininterrompu en tubes manchonnés avec une fourche avant à parallélogramme dotée d’un double ressort enfermé.

Dans les très imposants ateliers des Charmilles furent aussi produites les turbines Piccard & Pictet et les voitures Pic-Pic des mêmes auteurs. L’usine coula aussi les bloc moteurs automobiles Dufaux, cousins des créateurs de Motosacoche.

La fiche technique est ICI

Des 52 marques de motos que compta la Suisse dans son histoire, Royal Standard est l’une des plus petites avec un seul modèle produit. Elle n’en est pas moins tout à fait typique du principal « défaut » helvète : le goût de la surqualité. Photos et archives © FMD/moto-collection.org - Cliquez sur les images pour les agrandir et [...]

Militaire 1914-1922 : une voiture à deux roues

Le rêve de la moto quatre cylindres naît très tôt aux États-Unis et de 1909 à 1942, sept marques se lancent dans l’aventure dont Sinclair avec son étonnante Militor, une moto ? Non une automobile à deux roues et cinq constructeurs successifs y ont cru !

Photos © François-Marie Dumas & archives / moto-collection.org

S’inspirer de l’automobile est au départ une bonne idée, bien que les concepteurs oublient parfois que le quatre cylindres disposé en long implique une longueur exagérée de la machine qui nuit forcément à sa maniabilité. Mineur sur les premières petites quatre cylindres FN à partir de 1904 qui sont dépourvues de boîte de vitesses, ce défaut devient grave quand se greffe derrière le moteur une boîte encombrante. Sans parler du refroidissement par air bien compliqué à gérer pour les cylindres arrière.

En 1910 une entreprise d’origine canadienne présente un bien curieux prototype que même le constructeur appelle “car” et non pas moto. Il s’agit de fait d’une sorte d’automobile deux roues, avec deux roulettes latérales relevables par un levier pour assurer la stabilité aux basses vitesses et à l’arrêt. Cette Militaire, dont le nom indique clairement le marché visé est le fruit des élucubrations de la Militaire Autocycle Company qui installe son usine à Cleveland dans l’Ohio en promettant une production de 1000 machines par an, dont on ne sait si elle eut lieu.  Cette première réalisation est animée par un monocylindre de 480 cm3 refroidi par eau et à vilebrequin transversal disposé sur l’avant de la moto. Un arbre transmet la puissance à un relais sous la selle avec l’embrayage et une boîte deux vitesses. La transmission finale s’effectue par chaîne. La partie cycle préfigure celle des modèles suivants avec un concept très automobile. Un large double berceau remonte derrière la roue arrière pour accueillir la selle suspendue par le long porte-à-faux de la boucle qui le supporte. Le réservoir d’essence est sur le garde-boue arrière et l’avant se distingue par une très lourde fourche fixe à roue poussée, la direction, actionnée par un volant, étant dans le moyeu.

Le projet n’a pas de suite et la société est rachetée par N. R. Sinclair en 1913 dont les usines sont à Buffalo dans l’état de New York tout comme Pierce qui a réalisé la première quatre cylindres américaine en 1909. La Militaire-Sinclair qui apparaît en 1914, est cette fois une quatre cylindres et l’impact de cette motomobile révolutionnaire est si grand que la Champion Motor Car Company à Saint-Louis dans le Missouri (sans rapport avec les bougies du même nom) en prend la licence de fabrication et produit des exemplaires sous son label.

Cette première Militaire Four a abandonné le volant de direction, mais conserve le concept général du premier mono prototype. Le moteur est un 1065 cm3 à soupapes d’échappement culbutées et d’admission latérales qui annonce 10 chevaux qui se distingue par un montage très soigné avec un vilebrequin sur trois paliers et un usage généralisé de roulements. La boîte boulonnée à trois rapports et marche arrière est commandée par un levier de type automobile (encore !) entre les jambes du pilote (comme sur ma Sévitame !). La partie cycle est beaucoup plus originale avec son châssis à deux longerons qui fait également office de carter inférieur du moteur et de réservoir d’huile. Les roues avant et arrière sont suspendues sur lames de ressort. L’ensemble fourche-direction est on ne peut plus complexe… et lourd avec trois paires de tubes parallèles. Les tubes avant supportent le guidon et pivotent avec lui la roue tournant dans son roulement central avec un joint tripode. La paire de tubes arrière, solidaire du cadre, est reliée dans sa partie basse à la paire de tubes centrale par des biellettes.  Lesquels tubes centraux ont une partie coulissante en haut, supportent, en bas, l’axe de roue courbe et l’avant des biellettes qui s’appuient sur les ressorts à lames. Ouf… tout cela pour environ 5 cm de débattement !

S’y rajoute une suspension télescopique de la selle. Une paire de pédales à l’arrière du marche-pied gauche commande l’abaissement et le relevage des roulettes stabilisatrices amorties et rappelées par de forts ressorts.

Les premières Militaires produites soufrent hélas d’innombrables problèmes techniques qui sont en bonne partie corrigés fin 1914 (Voir la fiche technique ici), cependant, ni les motocyclistes, ni les automobilistes ne s’y retrouvent dans ce produit hybride et cher qui n’a de surcroît qu’un très petit réseau de diffusion. C’est une première faillite en 1917, mais N.R. Sinclair reste confiant et fonde la Militor Motor Corporation dans le New Jersey en rebaptisant son œuvre “Militor” . Il réussit même à en vendre un petit lot à l’armée qui est envoyé en France en 1918 . Pas assez pour survivre et Sinclair dépose à nouveau son bilan en 1919. Nouveau départ en 1920, Sinclair s’associe avec Bullard Machine Tool Cy à Bridgeport (Connecticut) pour fonder la Militor Motors Corporation qui s’installe dans les anciennes usines de la Knox Motor Factory à Springfield, Massachusetts à quelques encablures de l’usine Indian). Fort de son nouveau capital Sinclair ne se dépare pas de son optimisme et projette 5000 motos par an… en rebaptisant une nouvelle fois son business en Sinclair Motors. La Militor, que l’usine décrit pour la première fois avec le nom de moto, est revue de fond en comble, avec une simplification notable de sa fourche avant, l’abandon de ses roulettes (inutiles, elle n’est utilisée qu’avec un side-car) un carénage de la roue arrière et surtout, un tout nouveau moteur de 1114 cm3 (63,5 x 64,4 mm) à soupapes culbutées. Elle annonce cette fois 22,5 ch en sortie de boîte et 105 km/h, mais reste longue avec un empattement de 1676 mm. La fabrication est superbe, mais les ingénieurs de Sinclair semblent avoir commis nombre d’erreurs, et la production cesse définitivement en 1922 après de trop nombreux retours d’utilisateurs mécontents.

Cliquez sur les photos pour les agrandir et accéder aux légendes – Fiche technique complète ICI

Le rêve de la moto quatre cylindres naît très tôt aux États-Unis et de 1909 à 1942, sept marques se lancent dans l’aventure dont Sinclair avec son étonnante Militor, une moto ? Non une automobile à deux roues et cinq constructeurs successifs y ont cru ! Photos © François-Marie Dumas & archives / moto-collection.org S’inspirer de l’automobile [...]

Yamaha 250 YDS2 1963 : Premiers essais

1963 : Sonauto nouvellement promu importateur officiel de Yamaha en France surfe sur les premiers succès sportifs de la marque et commercialise son bicylindre 250 YDS2 équipé en option d’un petit guidon sport en place de celui très relevé qui l’équipe d’origine. Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître, les essais presse parus dans L’Automobile sous la plume du journaliste et pilote de talent André Nebout et dans Moto-Revue, sous celle de Jean-Pierre Beltoise, sont dithyrambiques. (Jean-Pierre Beltoise se répétera d’ailleurs avec le même enthousiasme dans Champion l’année suivante en essayant la 250 DS3 à graissage séparé).

 « Si nos constructeurs avaient su réaliser une moto de ce genre au moment voulu, l’avenir de la moto en France eût été tout autre » écrit André Nebout dans L’Automobile.  « C’est bien une Adler… avec dix chevaux de mieux » commente Roger, le mécano et metteur au point des AJS de Georges Monneret. et Jean-Pierre Beltoise d’en rajouter une couche dans Moto Revue en soulignant « les accélérations extraordinaires du niveau, en ville, d’une bonne 500 ou 650 cm3… Même comparée à la Suzuki 250 d’alors qui ne fait que 18 chevaux, les 28 ch de la Yamaha créent un vrai trou ». Seules les suspensions subiront quelques critiques, il est vrai que les essayeurs semblent avoir parfois oublié qu’ils ne testaient pas une moto de course !

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Photos Henri Lallemand

1963 : Sonauto nouvellement promu importateur officiel de Yamaha en France surfe sur les premiers succès sportifs de la marque et commercialise son bicylindre 250 YDS2 équipé en option d’un petit guidon sport en place de celui très relevé qui l’équipe d’origine. Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître, les essais presse parus dans [...]