L’éclatant succès des grosses Harley Davidson de la Première Guerre, vendues en grande quantité après la Seconde Guerre mondiale, inspira, dans les années 20, les établissements Goode, leur importateur en France, qui vont commercialiser une petite moto reprenant les codes couleur et équipement de la grande marque américaine. Une belle idée que développera également Puch en Autriche en baptisant, lui aussi, Harlette, sa 175 Sport de 1925. N’oublions pas pour autant qu’Harley Davidson a également fait ses propres petites cylindrées. La marque, qui a d’ailleurs débuté de 1903 à 1907 avec un monocylindre de 500 cm3, s’est illustrée à la fin des années 20 avec ses 350 « Pea shooter ». Elle est même venue au deux temps dés 1947 avec toute une suite de 125 à 165 cm3, des Hummer et Super Ten au BobCat de 1965 à carrosserie plastique. Harley produira même un scooter de 1953 à 65, le Topper 165 cm3 de 1959 à 65.
Un petit clone franco-belge
L’histoire commence avec les établissements Gerkinet & Ledent d’Herstal qui construisent à partir de 1900 des motos dont les moteurs Paillot et Bologne sont curieusement suspendus par leur culasse devant le pédalier. Une Gerkinet se distingue en 1904 avec une deuxième place au circuit des Ardennes, mais on perd ensuite toute trace de la marque… jusqu’au tout début des années vingt où réapparaissent les établissement Gerkinet avec des usines installées à Jeumont à un jet de pierre de la frontière belge. Gerkinet sous-traite différentes fabrications de cadre pour vélo et motos et va se faire connaître en construisant à partir de 1923 pour le compte des établissements Goode, agents Harley-Davidson à Neuilly, la fameuse Harlette conçue par son directeur Alfred-René André.
Sauf mention contraire, les document et photos d’époque sont des archives de Yves Campion extraites pour la plupart de son livre « Les motos Gillet Herstal ».
Cet avatar s’inspire sans complexe des lignes de la dèja mythique Harley Davidson popularisée par les stocks américains vendus par les surplus à la fin de la Première Guerre. Elle en a la même couleur kaki soulignée de filets rouge et or, la fourche avant à roue poussée, la selle suspendue avec un ressort dans le tube du cadre et la forme du réservoir entre-tubes en deux parties assemblées. Le moteur deux-temps n’est par contre qu’un très modeste PS (Poinsard et Savigny) de 125 cm3. (54 x 54 mm). L’Harlette adopte ensuite un moteur Train toujours de 125 cm3 puis, un Moussard-Madoz de 175 cm3 (60 x 61 mm). La première mouture a une transmission finale par courroie et une boîte à deux vitesses Sturmey Archer et la seconde vient à la chaine secondaire avec, ce n’est pas courant une boîte JAP à deux rapports. La célèbre fime londonienne produit en effet des boîtes de vitesses pendant cette période et on trouve par exemple dans leur catalogue 1927 les types FW-3 vitesses pour 175, BS pour 250/350 cm3 JAP et 3 vitesses LS pour cylindrées jusqu’à 400 cm3.
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Entre-temps l’Harlette a acquis quelques lettres de noblesse en course entre autres avec une (deuxième place en catégorie 175 cm3 et (7e au général) au Bol d’Or 1924 puis une 2e et une 7e place en 175 cm3 au Bol d’Or 1925. On la vit même courir en 1924 avec différentes versions d’un étonnant monocylindre Moussard affublé de deux carburateurs sans plus de précision sur le mode de fonctionnement du carburateur « avant » monté sur le carter moteur.
Les gammes 1926 et 27 ne comportent pas moins de quatre modèles, tous en 175 cm3, dont trois en deux-temps à moteurs Moussard, SuperSport à double échappement, boîte trois vitesses et transmission chaîne-chaîne, et en versions « Série » et « Luxe » à simple échappement vers l’arrière avec boîte 2 vitesses et transmission finale par courroie ou transmission chaîne-chaîne et boîte 3 vitesses.
Le modèle quatre-temps est quant à lui animé par un moteur Zürcher culbuté (58 x 66 mm) associé à une boîte Staub trois vitesses. Toutes les versions adoptent des freins à tambour avant et arrière en 1926, l’année suivante, les fourches avant, toujours de type Harley s’enrichissent d’un volumineux ressort en tonneau et chromé et les réservoirs rondouillards sont en selle. Ce moteur Zürcher, adopté par de nombreuses marques, est l’un des meilleurs de son temps dans sa catégorie et ses 5 ch lui permettent d’emporter les 72 kg de l’Harlette 4 temps de 1926-27 à environ 70 km/h avec une belle vivacité. Elle n’a pas à rougir face à sa grande concurrent, la Monet Goyon à moteur Villiers de 147 cm3 qui n’annonce que 3,2 ch et 50 kg mais n’a que 2 vitesses et pas de frein avant en 1925.
1927 : Les Belges prennent le pouvoir
Les Ateliers Gillet d’Herstal-lez-Liège reprennent à la mi-1927, les établissements Gerkinet avec le but avoué d’échapper aux droits de douane exorbitants frappant depuis peu les véhicules construits hors de l’Hexagone. Au départ, il ne s’agit que de distribuer les Gillet en France, mais à partir de 1931 tout l’assemblage des Gillet “françaises “ est effectué à Jeumont, seuls les moteurs montés (siglés “Importé de Belgique”) et les parties cycle nues viennent d’Herstal. Les pneus, poignées et manettes, garde-boue et réservoirs sont de production locale et d’autres équipements comme l’allumage Lucas en place du Bosch différencie ces Gillet françaises des originales.
Parallèlement à cette nouvelle activité d’assembleur/distributeur, la firme Gerkinet, désormais rebaptisée Geco Herstal, continue de commercialiser sa propre gamme qui prend dès lors un bon coup de belge. Le réservoir redevenu entre tubes des modèles 1928 semble bien être celui des Gillet Tour du Monde, la fourche type Harley est abandonnée au profit d’une Druid et le logo de réservoir reprend le dessin de celui de la firme belge en remplaçant simplement « illet » par « éco » derrière le G.
La gamme ne comprend plus que des quatre-temps et la 175 ex-Harlette, s’est doublée d’une 250, à moteur Zürcher culbuté et boîte Staub comme la 175, mais avec des côtes toutes différentes de 65 x 75 mm. Une 350 à soupapes latérales fait une brève apparition en 1929 et les trois modèles reçoivent un réservoir en selle. En 1930, enfin, la 350 latérale s’efface devant une 350 culbutée (72 x 85,5 mm) toujours à moteur Zürcher.
On peut se demander pourquoi Gillet garda de 1928 à 1930 cette production simultanée de modèles concurrents aux siens, bien moins chers et d’un concept totalement différent avec leurs boîtes de vitesses séparées. Il fallait sans doute convaincre le ministère des finances de l’origine française des motos sortant des Ateliers de Jeumont et, accessoirement, la continuation de cette production permettait d’écouler les stocks de moteurs et boîtes commandés par l’ancienne direction.
Touché par la crise financière, Gillet tentera sans succès de revendre l’usine de Jeumont dans les années trente entre autres à Peugeot et après-guerre il ne reste plus des établissements Gerkinet que les bureaux et ateliers de stockage parisiens dirigés par messieurs Kozlowki et Henri Andrieu, l’ancien partenaire de Robert Sexé pour leur Tour du monde sur des motos Gillet en 1926.