Surprise en parcourant dans mes archives les photos d’Henri Lallemand, qui travailla longtemps pour L’Automobile, je tombe sur toute une série de photos d’une intrigante « Bimot » 50 cm3 quatre temps de belle facture. Il va s’avérer qu’il s’agit en fait d’un Alpino rebadgé pour sa vente en France par Motoram, déjà distributeur des scooters Rumi… belle occasion pour revenir en bref sur l’histoire de la marque Lombarde de Stradella très provisoirement mal nommée chez nous.
Évidemment, mis à part, sans doute, un numéro de L’Automobile que je n’ai pas, on ne parle du Bimot nulle part ou presque. À peine une petite photo-légende dans le Moto Revue du salon 1960 reprise à l’identique dans Cyclomoto. Les différentes encyclopédies sur la moto ignorent ce nom de marque et, seul, l’historien italien Abramo Giovanni Luraschi, auteur d’une remarquable encyclopédie sur la moto en cinq volumes, écrit qu’il a vu le Bimot dans des journaux français, mais qu’il n’en sait pas plus. C’est honnête de sa part, mais cela ne m’avance pas.
Je finis par trouver sur eBay un catalogue Bimot qui affirme que l’usine, sise à Stradella près de Pavie et à une quarantaine de kilomètres au sud de Milan, est l’une des plus vielles d’Italie — « Bingo » — Stradella, c’est Alpino, et, de fait, le beau 50 Bimot tout comme le cycloscooter sous même Label ne sont que des Alpino rebadgés. Le prospectus ne ment pas, l’usine de Stradella créée en 1925 par Paolo Trespidi, est l’une des plus anciennes d’Italie.
Le Bimot 48 T testé en France en 1959 par « L’Automobile ».
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Et un cycloscooter 50 cm3 deux temps en 1960 version Alpino ou Bimot
Retour sur l’histoire d’Alpino
Paolo Trespidi construit sa première moto en 1925. Une 250 deux temps, produite en (petite) série dès l’année suivante par sa société Motobici à Stradella et bientôt célèbre en remportant le championnat d’Italie. Suivent des versions Sport et Tourisme ainsi que des 175 cm3. La crise de 1929/30 met provisoirement fin à l’aventure.
De l’Auxiliaire à l’utilitaire
1944. L’Italie exsangue a besoin impérieux de petits véhicules personnels économiques, cela fera la fortune des Vespa, du Mosquito et du Cucciolo et de nombreux autres, mais l’un des pionniers fut notre Paolo Trespidi qui remet l’usine en route dès 1944 avec un étonnant petit moteur auxiliaire qui inaugure la marque Alpino et qui sera produit de 1945 à 48. Ce petit Alpino, premier du nom, est un monocylindre deux-temps, à deux vitesses et transmission finale par chaîne. Il pouvait être placé au centre du cadre ou, de préférence, dans la zone latérale la plus proche de la roue arrière. En 1948, alors que ce micromoteur rivalise avec le Mosquito de Garelli et le Cucciolo que vient de commencer à produire Ducati, Alpino décline sa production en versions avec ou sans embrayage et avec ou sans boîte 3 vitesses, puis en 65 cm3 avec les deux. Vendu en moteur seul le ST, ou avec la première moto complète d’Alpino, le Piuma 65 ST est doté de suspensions avant et arrière. Folie des grandeurs, Alpino présente même en 1949 un scooter plutôt moderne basé sur les brevets du mythique Marinella 125 bicylindre, mais ici plus sagement animé par le 98 cm3 deux temps monocylindre de la marque. Il restera à l’état de projet.
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La vitesse mène la danse
Spécialisée dans les petites cylindrées Alpino réalise ensuite des 75, 98 et 125 cm3 deux temps, un triporteur sur la base du 65 cm3 puis un 75 cm3 quatre temps conçu par Mario Melone qui a déjà réalisé les 500 Gilera monocylindres culbutés. En janvier 1952, sous l’égide de Perales l’importateur en Argentine, une version mue par ce 75 cm3 et dotée d’un carénage integral pour le moins peu orthodoxe, atteint 128 km/h et bat le record de vitesse dans sa catégorie sur une piste d’aérodrome près de Buenos Aires. Un mois plus tard c’est au tour du petit 50 deux temps de remporter sa coupe en Argentine en battant les records du monde du kilomètre et du mile lancé, avec respectivement 92 et 90 km/h battant ainsi le record établis en avril par Victoria en Allemagne, puis 15 jours auparavant par un Cucciolo à 81 km/h en Italie. En Italie comme en Argentine, le prestige d’un record, qu’il s’agisse d’un kilomètre lancé ou de 24 heures d’endurance, était le must indispensable pour s’aligner face aux marques de motos déjà bien établies. Alpino remet d’ailleurs le carénage fin 1955 pour diverses tentatives à Monza où un Alpino 50 signe quelques temps mémoriaux sur longue distance, des 500 kilomètres aux 6 heures, avec des moyennes d’environ 84 km/h. Trois ans plus tôt en Argentine, Vaifro Meo, avec le la même base mécanique mais beaucoup plus largement carénée, avait battu les records du kilomètre et du mille départ arrêté, aux moyennes respectives de 73 et 77 km/h. A la fin de l’année, avec une machine entièrement revue, Meo établit de nouveaux records sur 10 kilomètres, 10 miles et 50 kilomètres sur un circuit d’un peu plus de 3 000 mètres, à des vitesses entre 97 et 104 km/h. Records malheureusement non homologués par FIM.
La production des Alpino franchit un pas de plus en 1953
Cette année-là est présenté un 125 Gran Sport dérivé du 98 cm3 deux temps. Un an plus tard apparaît un 75 quatre temps, puis une 175 sans grande originalité. Alpino n’abandonne pas le deux temps pour autant et suivent, en 1956, un scooter à grandes roues de 16 pouces et moteur deux temps, monoplace en 48 cm3 et biplace en 75 cm3. Il est importé en Grande-Bretagne en 75 cm3 dès 1957, mais n’apparaît en France et sous label Bimot, qu’au salon de Paris 1960. Bimot s’étant contenté de prendre le 48 avec l’équipement plus valorisant du 75. Sur notre version nationale ce classique deux temps doté de pédales et d’une boîte à 3 rapports commandés par poignée tournante développe 1,5 ch à 4500 tr/min. En 1955 un 200 cm3 quatre temps est développé sur la basse du 175. En fait ces deux quatre temps culbutés Alpino, ne diffèrent que par les côtes internes des moteurs : 59,5 x 62 mm pour la 175 cm3 annoncée pour 8 ch à 5000 tr/min et 64 x 62 mm pour la 200 cm3 qui revendique 10 ch.
Espoirs et faillite argentine
Comme nombre de marques italiennes, dont Ceccato, Gilera, Lambretta, Legnano ou Rumi, Alpino se tourne vers le marché argentin en 1955 et des 50, 75 et 125 cm3 commencent à être assemblés à San Justo près de Buenos Aires dès les premiers mois de 1956. Tous les espoirs sont permis mais ce beau chateau de cartes ne va pas tarder à s’écrouler. En Italie, le marché de la moto est durement touché par la crise qui touche toute l’Europe et la situation politico-économique est bien pire encore en Argentine. Alpino a développé en 1959 une 250 cm3 extrapolée de la 200, avec des côtes carrées de 68 x 68 mm et une esthétique ne différant guère que par son double phare. Le modèle présenté à Milan ne sera pourtant jamais construit en Italie et Alpino envoie les composants pour y être montés à San Justo. Quelques milliers d’exemplaires sont prévus mais la construction ne suit pas et Alpino dont un tiers de la production est exportée en Argentine, finit par déposer son bilan en avril 1963 après avoir fait des efforts désespérés pour exporter vers la Grande-Bretagne, comme aux États-Unis et réussi à vendre ses moteurs à quelques autres marques : Mi-Val en 125 ou Beta en 50 quatre temps. Présentés en 1960 sous label Bimot au salon de Paris, les modèles déjà existants depuis 1956 sous leur vrai nom d’Alpino, ne connaîtront qu’une diffusion plus que confidentielle en France durant les deux années où la société Motoram les distribuera. (Ladite société qui officiait par ailleurs depuis 83 ans, disparaît le 25 décembre 1984.) Les ultimes tentatives de survie d’Alpino apparaissent au salon de Milan de 1959 avec un scooter présenté en 150 et 175 cm3 et de ligne assez classique, au décor près (Le 175 dispose même d’un démarreur électrique) et la fameuse 250 quatre temps à double phare, mais il est trop tard et Alpino ferme ses portes.