Nombre d’ingénieurs rêvent dans les années 30 d’allier les avantages de la moto, en prix et en encombrement, à la protection d’une automobile. La plus connue de ces « mautos » est la Monotrace fabriquée en Allemagne et en France à Saint-Étienne, mais la plus belle est sans conteste cette Cerreti construite dans la banlieue parisienne à quelques unités de 1929 à 1932.
Médaillé d’or au concours international des inventeurs à Paris le 11 mai 1929 puis exposé au salon de Paris 1930, le Motocar Cerreti dû à l’ingénieur éponyme est une production des établissements E. Cerreti et P. Valen à Courbevoie, plus connus pour leur fabrication de tan-sad, repose-pieds et autres accessoires. Esthétiquement, le Cerreti est une superbe réussite avec une ligne très aérodynamique qui rappelle celle des cyclecars et une face avant en pointe avec ses deux gros phares intégrés derrière la calandre. L’ensemble est indiscutablement plus moderne et sportif que le bien plus volumineux Monotrace. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. 3 m de long, 320 kg et 85 km/h pour le Monotrace contre 2,80 m et 175 kg pour le Cerreti qui promet 120 km/h.
Le Cerreti va-t-il confirmer ses performances au Bol d’Or de 1930 organisé cette année-là durant le week-end de la Pentecôte du 7 au 9 juin à Saint-Germain-en-Laye ? Il y est l’outsider attendu avec son constructeur au guidon et figure d’ailleurs sur le dessin de l’en-tête des articles annonçant l’épreuve dans Moto Revue. Nous n’aurons hélas, jamais la réponse. L’ingénieur Cerreti se brouille avec Eugène Mauve, l’organisateur du Bol d’Or, le premier voulant courir en catégorie moto 500 cm3, tandis que le second entendait l’engager parmi les « voitures Sport jusqu’à 750 cm3 » arguant des deux roulettes latérales qui en faisait un quatre roues. Triste résultat, le Cerreti rentra chez lui sans prendre part à la course. Il ne fit d’ailleurs plus guère parler de lui. Il continua pourtant d’être très discrètement présenté aux salons de Paris de 1930 et 1931 avant de disparaître des catalogues en 1932 et on ignore combien d’exemplaires en furent vendus. On le vit dans sa version monoplace « type course » avec et sans side-car, mais il semble que la « Grand Sport biplace » n’ait jamais été produite. Séduit ? Il vous en aurait coûté 9890 F en 1930 pour le type course monoplace. Une vraie somme, car le Monotrace Roten ne vaut alors que 7450 F, la sublime Majestic dans sa première mouture sur châssis de 1930 s’affiche à 7500 F (+ 1450 F pour les compteurs et l’éclairage), une MGC 500, 7950 F (+1000 pour l’éclairage) et un cyclecar Sima-Violet Sport, 8700 F.
La technique de construction du beau Cerreti tout aussi sophistiquée et novatrice que sa ligne explique son prix. Contrairement à la Monotrace avec son lourd châssis en tôle d’acier, celui très étudié de la Cerreti est constitué d’une robuste triangulation en tubes étirés qualité aviation avec des suspensions avant et arrière oscillantes qui s’appuient sur de longs ressorts à lames supportés à l’avant comme à l’arrière par quatre tubes carrés. Les axes d’articulation de ces suspensions sont aux centres de larges plaques circulaires qui enserrent un disque en bois dur jouant le rôle d’amortisseur à friction. Logé juste derrière la roue avant, le moteur est un LMP 500 cm3 à soupapes culbutées et refroidissement par air qui entraîne par chaîne une boîte Sigmund à trois rapports. Une deuxième chaîne relie la boîte à un arbre intermédiaire dans l’axe de la suspension arrière et une chaîne finale, à tension constante puisqu’elle est sur l’axe du bras oscillant, transmet la puissance à la roue arrière. Tous les éléments lourds étant au niveau des axes de roues, le centre de gravité est très bas garantissant ainsi stabilité, équilibre. Fort d’une courte expérience en Monotrace, on veut bien le croire, mais la grande longueur de l’engin, 2,80 m, ne doit cependant pas le rendre très facile à manœuvrer aux basses vitesses. Il y a heureusement deux roulettes stabilisatrices avec une voie de 90 cm que le pilote peut abaisser ou relever par un levier. Euphorique, le constructeur promet que sa création peur rouler sur terre et même sur l’eau grâce à l’adaptation prévue (mais jamais vue) de flotteurs et d’une hélice « qui le feront très apprécier dans les colonies et par les armées ». Et puis tant qu’à faire une moto qui allie les avantages (ou les désavantages ?) de la moto et de la voiture, le sieur Cerreti propose en 1931 de l’atteler à un très volumineux side-car à deux places et carrosserie fermée dans un style automobile et carré totalement discordant avec les lignes aérodynamiques de la partie moto. Une porte donne accès aux passagers et le frein est automatiquement couplé avec celui de la « moto ». Un grand coffre arrière « imitation malle », lit-on dans le descriptif, accepte deux grosses valises. Le pare-brise est relevable et les glaces latérales articulées. La photo prouve qu’il en eut au moins un, mais il fut probablement unique.
Fiche technique Cerreti 1929 (entre parenthèses les caractéristiques de la version Grand Sport biplace)
Moteur LMP 500 cm3 – Soupapes culbutées – Carburateur Amac – Allumage magnéto Méa – Boîte Sigmund 3 vitesses à main – Cadre en tubes triangulés (poids avec ses suspensions 155 kg), longueur 2500 mm – Direction par moyeu avant articulé commandée par biellettes et rotules depuis le guidon conventionnel – Suspension avant et arrière oscillantes sur ressorts à lames en cantilever – Roues interchangeables – Pas de frein avant – Double frein sur le tambour arrière : à segments internes commandé par pédale et à enroulement externe par manette au guidon – Longueur 2650 mm m (2800 mm) – Voie des roulettes stabilisatrices 900 mm – Largeur de la carrosserie 600 mm – Hauteur 900 mm – Poids à sec 175 kg (195 kg) – 120 km/h (100 km/h)