Voici tout juste cent ans, en 1919, naissait l’une des motos les plus modernes de son temps, l’ABC, créée en Grande-Bretagne par le génial Granville Bradshaw. Cinq ans avant la première BMW de 1923 à soupapes latérales, trois vitesses et cadre rigide, cette moto révolutionnaire offrait un flat twin à soupapes culbutées, quatre vitesses, une suspension arrière oscillante et 100 km/h. Magnifique! On verra pourtant dans les lignes qui suivent que, commercialement parlant, c’est BMW qui avait fait le bon choix. Après des débuts chaotiques en Grande-Bretagne, l’ABC, notablement fiabilisée, est fabriquée sous licence en France et devient le premier modèle de Gnome & Rhône. Pour fêter dignement ce centenaire, l’ABC est en vedette au salon Epoqu’Auto du 8 au 10 novembre, dans l’exposition organisée par l’amicale Gnome & Rhône qui occupe cette année le plateau central réservé à la moto et sur le stand de la FFVE.
Dossier réalisé par François-Marie Dumas avec nombre d’emprunts à l’association of ABC enthusiasts, au livre » Granville Bradshaw, a flawed genius » de Barry M. Jone, aux archives de la BNF et du musée d’Hockenheim et à quelques amis de l’Amicale Gnome & Rhône. Merci à tous.
Une incroyable diversité de production.
Les ingénieurs des premiers âges étaient-ils des surhommes ? On est tenté de le croire en découvrant le nombre de projets qu’ils ont réalisés en un temps record. Tout comme Gustave Eiffel qui a signé des œuvres dans le monde entier, Bradshaw eut une activité considérable. Avec un bureau qui, dans les années vingt, ne comptait que six ingénieurs, il construisit conjointement ou presque des moteurs d’avion à 4, 6 et 8 cylindres, des avions, des moteurs automobiles et d’autres stationnaires et bien sûr ses motos. Le tout en utilisant ou en inventant les techniques les plus modernes de son temps concernant par exemple, la lubrification, le refroidissement ou les pistons aluminium qu’il est un des premiers à utiliser. Ses moteurs sont brillants et délivrent des puissances spécifiques jusqu’alors inconnues à des régimes surréalistes. Revers de la médaille, ces développements trop rapides laissent passer quelques défauts, mineurs, mais souvent fatals. Ses premiers avions se crashent et ses ABC de 1919, si performantes qu’elles soient, auront bien des problèmes et leur production mettra beaucoup trop de temps à se mettre en route. Il faudra attendre la construction revue et corrigée par Gnome et Rhône pour qu’elle soit enfin fiabilisée.
Prémices aéronautiques
Bradshaw débute dans l’aviation fin 1909 et ses nombreux crashes le font surnommer « l’aviateur fou » (mad aviator), car les préparations qu’il effectue sur plusieurs des pionniers de l’aviation britannique mènent souvent à des chutes … mortelles. Sa première tentative de construire son propre avion est basée sur l’Antoinette déjà auréolée de succès sur laquelle il monte un vieux moteur JAP V twin de 8 HP associé à une sorte d’hélice à pas variable pour compenser le dramatique manque de puissance du moulin. Sa demande de brevet pour son avion en septembre 1909 n’est cependant pas validée et Bradshaw s’associe à la toute jeune Star Engineering Company pour y développer leurs aéroplanes.
Naissance d’ABC
À Brooklands, en 1910, Bradshaw alors âgé de 23 ans s’associe avec Ronald L. Charteris pionnier de l’aviation puis avec Walter Adams avec qui il crée en 1911 la All British Company (ABC) pour laquelle Bradshaw dessine même le logo. Les initiales soulignent la fierté des Anglais de construire leurs propres aéroplanes de toutes pièces et, incidemment, les trois lettres sont aussi les initiales des trois créateurs de la marque Adams, Bradshaw et Charteris. (À noter qu’il avait déjà existé un constructeur automobile ABC Motor Car créé en 1906 à Glasgow et liquidée en 1908. Nous avons aussi eu, en France dans les premières années du 20e siècle, les Ateliers Balestibeau à Castillon-sur-Dordogne fabriquant des cycles et automobiles et motos ABC.
Tout commence en 1911
Bradshaw travaille alors dans son atelier de Brooklands au développement de son moteur d’avion ABC qu’il teste sur route en le montant avec son hélice à l’arrière d’un châssis automobile ! Les brevets qu’il dépose en 1911 et 1912 pour des avions de sa conception ne sont, une fois encore, pas validés aussi se consacre-t-il à la réalisation et la vente de ses moteurs.
En 1911, le premier moteur ABC, un 40 hp vertical 4 cylindres en ligne à refroidissement liquide est monté dans un monoplan d’Ellis Victor Sassoon où il remplace un moteur Gnome rotatif de 50 hp. Fin 1911, Bradshaw déménage ses ateliers de Redbridge à Brooklands où il emploie six ingénieurs. La société change de nom et devient All British (engine) Company.
ABC passe pour des raisons financières sous contrôle de la très réputée Armstrong-Whitworth Cy, basée à Elswick, Newcastle-upon-Tyne, en décembre 1912. . L’une des premières réalisations de la nouvelle société est un V8 de 100 HP qui entraîne l’hélice par chaîne et qui est livré en 1912. Bradshaw conçoit ensuite des V4, V6, V8 et V12 qui sont finalisés en 1913. Ils sont refroidis par eau et les soupapes sont totalement enfermées sous carter. Le premier V8 de 100 chevaux est testé en 1914, mais il ne donne pas satisfaction et reste sans suite. Bradshaw continuera longtemps encore ses expériences et ses productions aéronautiques avec Dorman en 1919 pour qui il dessine un sublime V8 à double ACT.
La moto arrive pour rendre service !
Grandville Bradshaw, dont les ateliers jouxtent l’autodrome de Brooklands, est souvent appelé par les coureurs pour tester telle ou telle amélioration et, ses projets ayant été rejetés par l’aviation, il se retourne vers les motos et leurs moteurs. Il est lui-même motocycliste averti et utilise quotidiennement une Triumph 500 à soupapes latérales bientôt remplacée par une Douglas 500 flat twin. Il se lie avec S. L. Bailey, un aviateur pilote d’usine australien pour Douglas et, à la fin de 1912, celui-ci demande à Bradshaw de modifier drastiquement sa Douglas : nouveaux cylindres en acier, soupapes culbutées et culasse issue des expériences en moteurs aéronautiques. Les bielles sont en acier avec une double bielle en Y d’un côté évitant ainsi le désalignement des cylindres. Bailey remporte une course à Brooklands en septembre à 85,2 km/h de moyenne sur 241 km et, le 17 décembre 1912, il engage cette première esquisse de l’ABC pour des records sur le kilomètre et le mile lancé en classe 350 cm3 qu’il pulvérise à 118,5 et 112,7 km/h. Cet unique hybride Douglas-ABC ne reprendra jamais la piste et Bailey rentre en Australie en 1914.
Il n’en faut pas plus à Bradshaw pour le décider à construire son propre moteur, un 500 cm3 à moteur flat twin disposé en long qu’il présente en janvier 1913 en profitant au passage pour mentionner que ce moteur pourrait également être produit en 900 cm3 pour équiper des cyclecars. De cotes carrées (68 x 68 mm), ce flat twin a une des bielles en Y comme sur la Douglas. Les cylindres nickelés, mais non polis et directement tournés dans une barre d’acier, les bielles, les pistons et les soupapes en tête sont dérivés de la technique aéronautique d’alors. Bradshaw demande à Zenith et Colliers & Son (Matchless) de réaliser les parties cycle. Le second prototype évolue en troquant son graissage par barbotage contre une lubrification sous pression de 3,5 bars à 4200 tr/min.
L’ABC, la vraie à moteur maison conçu en 1912, fait ses premiers tours de roue à Brooklands en avril 1913 pilotée par F. W. Barnes et les premiers moteurs sont mis en production en juin 1913. Ce moteur carré de 500 cm3 (68 x 68 mm) développe 13 ch/5000 tr/min dans sa version à soupapes culbutées et après avoir utilisé des cadres de Douglas Bradshaw fait réaliser des parties cycles spéciales par OK Supreme (E. Humphries) et Matchless (Colliers & son). Diverses améliorations sont apportées au prototype en mai sur la distribution et les ailettes des cylindres dans l’axe façon Moto Guzzi. Ces moteurs participent au TT la même année 1913 avec entre autres une machine aux mains de George Brough qui a manqué de temps pour finir son propre moteur. Encouragé par ces expériences, Bradshaw décide de construire ses propres parties cycle pour commercialiser une moto complète, ce qu’il fait dès janvier 1914 en saluant ce début par des records de son pilote d’essai officiel Jack Emerson sur le kilomètre et le mile lancé à 129,5 et 125,9 km/h. Pour cette tentative l’alésage a été augmenté d’un demi-millimètre, les culbuteurs allégés et la moto pourvue d’un embryon de carénage arrière en bois toilé fixé à l’arrière de la selle.
L’ABC évolue encore en mars 1914 et présente désormais une vraie gamme avec trois versions, type A Touring à soupapes opposées, Type B Sport à soupapes opposées et type C à soupapes culbutées garanties respectivement pour 96, 105 et 113 km/h. La Touring a des ailettes parallèles au cylindre et des culasses détachables avec une chapelle pour la soupape d’échappement culbutée tandis que l’admission est latérale. L’embiellage est à deux paliers sur roulement à billes et à aiguilles avec deux bielles cette fois identiques. Une pompe Best & Lyods est rajoutée pour le graissage. La transmission secondaire s’effectue par chaîne depuis le moyeu Armstrong intermédiaire à trois vitesses. Pour la première fois la partie cycle est entièrement due au nouveau département Road Motors d’ABC avec les suspensions avant et arrière sur lames de ressort qui deviendront la caractéristique de la marque. Sur les premières productions, le kick de démarrage et les marchepieds sont en option seule la tôle de protection sous le moteur est de série pour protéger les soupapes des projections.
Un certain nombre de ces motos sont vendues et apparaissent régulièrement dans les compétitions suscitant une large couverture de la presse britannique spécialisée. ABC grandit et déménage dans les anciennes usines des fonderies Faulkner près de Walton-on-Thames perdant au passage tous leurs ateliers de Brooklands réquisitionnés par les forces armées. Fin 1914, l’ABC se complète d’un side-car Montgomery et Bradshaw conçoit une toute nouvelle boîte à quatre rapports de type automobile destinée aux versions 1915. Ils sont aussi dotés d’un embrayage à cône dont la couronne externe dentée est entraînée par la chaîne primaire. Les suspensions sont modifiées. La production 1915 est limitée en raison des hostilités et principalement réservée aux exportations en Inde, Australie, Italie et Afrique du Sud pour la compétition ou en France et en Égypte, pour l’armée. Les ultimes versions commercialisées en 1916, ont un kick-starter, un amortisseur de transmission et un double frein arrière commandé à main et au pied.
Il devient évident tout comme pour les moteurs d’avion et ceux des générateurs que la petite usine ABC n’a pas les moyens techniques d’assurer toute la fabrication qui est sous-traitée à d’autres compagnies comme Armstrong Whitworth.
Activités guerrières
Dans les premières années de la guerre, Bradshaw est commissionné pour produire des moteurs auxiliaires pour différentes utilisations militaires : générateurs pour la transmission en morse depuis les ballons d’observation, gonflage de Montgolfière, démarreurs, pompes à eau, etc.) Le premier est le Firefly, un flat twin à soupapes latérales de 250cm3 (60 x 44 mm), réplique à échelle réduite du moteur de la moto. Il est suivi par un 492 cm3 (70 x 64 mm). Ces moteurs statiques démarrent au kick et, comme plus tard les motos, ils ont des cylindres en acier, une pompe à huile à engrenages et des roulements partout. Ceux du vilebrequin sont dans un support en acier boulonné sur les carters aluminium. Les pistons, au départ en fonte, laissent rapidement place à des pistons aluminium, une technologie que Bradshaw est l’un des premiers à utiliser. « Ils rendent le serrage pratiquement impossible, car l’acier du cylindre se dilate plus que l’aluminium du piston » promet-il contre toute vérité. La culasse en fonte possède une chapelle qui reçoit la bougie sur le côté, la soupape d’admission latérale en dessous et celle d’échappement culbutée au-dessus. Le carburateur est un Claudel-Hobson. Le 500 délivre 5 chevaux en continu avec des pointes à 8 /9 chevaux tandis que le 250 est fort de 2 à 3 ch de 3 à 4000 tr/min et des pointes à 5000 tr/min, tout cela sans refroidissement par air forcé. Un essai pendant plusieurs heures au banc est même réussi… à 10 000 tr/min ! Les seuls dégâts seront causés par l’hélice qui se détacha et enleva une partie du toit.
Ce moteur pèse 6,4 kg nu et 17,8 kg avec magnéto carburateur et cadre support. En 1916, l’un de ces moteurs de 250 cm3 est testé sur une moto avec une boîte Albion à deux rapports qui la mènent respectivement à 60 et 77 km/h. La fabrication de ces moteurs auxiliaires cesse en janvier 1918 et le prochain projet sur la planche de G. Bradshaw est le fameux Gnat, une réplique en 1600 cm3 (140 x 140 mm) du flat twin de la moto fort de 30/35 chevaux à 1800/2000 tr/min. Ce Gnat de 1916 est destiné au Sopwith Sparrow, un avion télécommandé par radio qui pèse 186 kg tout équipé. Hélas, le Gnat une fâcheuse tendance à griller ses bougies, un grave défaut en vol, et le signal radio est perdu lors des premiers essais ce qui met un terme au projet en 1917 alors qu’il n’a été construit que 18 exemplaires dont seul le prototype a survécu plus d’une heure. Le premier « drone » britannique verra quand même le jour en 1924, mais sans Bradshaw.
On note aussi divers essais dont celui d’Harry Hawker qui parie avec Bradshaw qu’il se fait fort de construire un moteur d’avion en étoile avec un nombre pair de cylindres et un ordre d’allumage de 1 à 6. Ce fut évidemment un échec tout comme le sept cylindres en étoile Wasp promis pour 160 chevaux et développé pour des chasseurs. Les prototypes qui atteignent pourtant 251 km/h avec tous leurs équipements et grimpent à 10 000 pieds en 4,5 minutes, sont jugé trop peu performants par l’armée qui réclame 300 chevaux. Bradshaw fait donc construire le Dragonfly de 320 ch qui est construit par Guy Motors en seulement 24 jours en février 1918. Quatorze exemplaires sont réalisés pour les essais et la production de masse est prévue en 1919 avec 11 000 moteurs en précommande lorsqu’arrive l’Armistice qui met fin à tout espoir. 1000 unités seulement ont été construites et d’ailleurs réputées bien peu fiables !
Retour à la moto.
Dès son premier 500 cm3 en 1913, Bradshaw pense à un flat twin de plus grosse cylindrée refroidi par air forcé et destiné à l’automobile. En 1917 il fait réaliser un 1094 cm3 avec sa boîte de vitesses, un carburateur ABC. Une version étudiée en 1918 avait des rapports variables par disque de friction, une transmission finale par chaîne et des suspensions sur lames de ressort similaires à la moto.
Après-guerre le premier deux roues est le Skootamota avec un moteur basé sur celui du moteur auxiliaire Firefly 250 cm3, enfin sa moitié, car Il est rapidement apparu qu’un monocylindre de 125 cm3 (60 x 44 mm) suffisait bien. Le prototype a des roues de 35,5 cm de diamètre externe, un haut guidon avec un décompresseur et un frein avant à enroulement. Le frein arrière est commandé par une pédale sur la plate-forme repose-pieds. Avec la magnéto à l’opposé du cylindre le moteur se donne un petit-air de flat twin et le réservoir au-dessus du moteur contient 1,9 litres d’essence et un petit compartiment pour l’huile. Sans embrayage, le démarrage s’effectue à la poussette et l’engin frise les 30 km/h. Les versions commercialisées en juillet 1919 ont des roues de ø 40 cm et la selle est enfin suspendue. Deux autres variantes apparaissent, l’une avec une boîte en bois sous le siège tandis qu’une version coloniale s’enrichit d’un parasol pour le pilote ! Il n’y eut point de version sport contrairement à ce que laissent penser les célèbres photos avec Mistinguett, Gaby Morlay ou d’autres dames. La production est estimée à 3200 exemplaires entre 1919 et 1922 après quoi les patinettes sont supplantées par les petites motos légères. Sur les derniers exemplaires produits, les soupapes en tête remplacent la distribution semi-culbutée.
Après-guerre, ABC Motors créé en 1920 se concentre sur le cycle-car avec une production prévue de 5000 unités par an. On verra aussi un flat twin de 1100 cm3 de cotes carrées comme Bradshaw en a l’habitude (91,5 x 91,5 mm) culbuté le Scorpion, destiné aux « avionnettes » au début des années 20 tandis que le 349 cm3 de la moto est essayé (sans succès) comme assistant au décollage sur des planeurs.
Naissance de la vraie ABC
Nous arrivons enfin, à l’ABC finale que Bradshaw projette avec Sopwith Aviation. En cette fin de guerre, Sopwith qui a pris de l’ampleur pendant les hostilités doit comme beaucoup d’autres avionneurs se reconvertir rapidement. La société décide donc de prendre la construction des motos ABC et installe les équipements de production les plus modernes pour y arriver.
Bradshaw a revu totalement sa copie de 1918 tout en restant fidèle au concept de base de son moteur. Il est cette fois disposé en travers dans une partie cycle, elle-aussi, tout à fait révolutionnaire avec un très large double berceau qui supporte les marchepieds et protège les cylindres des projections comme des chutes. Autre innovation majeure, la suspension arrière oscillante amortie, comme la fourche avant à parallélogramme, par des lames de ressort. Le réservoir entre tubes de 9 litres plus une réserve d’huile, est désormais triangulaire.
La cylindrée est réduite de 500 à 398 cm3 avec des cotes super carrées (une autre originalité à l’époque) de 68,6 x 54 mm. Les cylindres sont toujours en acier et la culasse fonte à chambre de combustion hémisphérique a des soupapes inclinées culbutées. Le vilebrequin tourne sur deux paliers sur roulements à billes et les deux bielles, identiques cette fois, sont montés sur aiguilles. Les descriptifs britanniques et français notent une pompe à engrenages logée dans le carter et entraînée par le vilebrequin qui envoie l’huile depuis le bas du carter moteur vers l’embiellage, toutefois sur une dizaine de moteurs anglais ou français ouverts nous n’avons jamais vu cette pompe mécanique. La boîte de vitesses boulonnée sur le bloc moteur est similaire à celle utilisée sur les précédents modèles à quelques renforts près et un embrayage mono disque (plat et non à cone comme indiqué sur les notices) garni de ferrodo sur ses deux faces est intégré au volant d’inertie. Grâce à un renvoi d’angle, la transmission s’effectue par chaîne et les deux roues reçoivent des freins à tambour. Il est construit environ 6 prototypes et il ne faut que 11 jours pour réaliser le premier, ce qui permet à Bradshaw de remporter les 1000 £ d’un pari qu’il avait fait stipulant que la moto pourrait être réalisée en moins de 21 jours et qu’il recevrait 100 £ par jour gagné sur ce planning.
La sortie du modèle d’après-guerre est très attendue en particulier pour la course, car le modèle précédent avait eu un gros succès. ABC engage d’ailleurs ses prototypes à plusieurs évènements sportifs en 1919 à commencer par le Londres-Édimbourg pour lequel les motos ne sont terminées que quelques heures avant la course et ne font aucun essai. Les deux pilotes Jack Emerson et, déjà, E. M. P. Boileau de Gnome & Rhône finissent pourtant tous deux l’épreuve ce qui était fort encourageant.
Enfin finie, l’ABC britannique de Sopwith Aviation est présentée au salon de Londres 1919, mais aussi en Italie où elle est distribuée par Ugo Veladini à Milan et en France où la société française des moteurs ABC (13 rue Auber à Paris puis 118 rue de la Boétie) en a lancé la fabrication sous licence pour échapper aux dures conditions d’exportation. La version applaudie par la presse en novembre 1919 n’est cependant pas disponible cette année-là pour la clientèle alors que l’usine est submergée avec plus de 45 000 commandes en 18 mois, et que Sopwith prévoit une production annuelle de 5 à 10 000 exemplaires.
Cette ABC des débuts manque hélas de mise au point et sa fabrication est bâclée, serrage moteur, bris de culbuteurs ou perte des tiges, graissage insuffisant et système de kick (en option) fragile… Le bref passage de Walter Moore en tant que directeur de la production n’aura pas le temps d’être efficace. Les livraisons sont sans cesse reportées et les prix s’envolent, car l’Angleterre est en pleine crise. Le prix de vente annoncé au salon 19 est de 85 £, mais les premiers exemplaires disponibles arrivent à 110 puis bientôt 130 £. Pour le prix elle est peinte en noir mat gun métal avec un viseur de débit d’huile et une pompe à main. Le compteur entraîné par la boîte est facturé 5 £ et l’éclairage électrique Lucas 22 £ plus 32 £ encore pour le side-car et les équipements additionnels ce qui met l’attelage tout équipé à 170-190 £. Le kick-starter (très fragile) n’est proposé qu’en option en avril. En mai le prix passe à 150 £ et un peu plus tard l’usine annonce des modifications : un graissage séparé pour chaque cylindre, une petite boîte à outils fixée sur le réservoir, des lames de ressort droites et non plus courbes à l’avant et un nouveau châssis de side-car suspendu.
Sopwith Aviation crée alors la surprise en septembre 1920 en décidant soudainement de se mettre en liquidation judiciaire alors qu’elle est toujours solvable, mais la Hawker Engineering Cy qui a pris les manettes de la branche aéronautique est convaincu que l’ABC de Bradshaw qui n’a été produite que 11 mois est trop originale et coûteuse à produire avec un bénéfice décent même avec son prix porté à 150 £ qu’il eut fallu doubler. Il avait été commercialisé 2200 motos en 1920 et peut-être 2 à 300 en novembre-décembre. Les stocks restants ont été montés à raison de quelques dizaines de motos par semaine jusqu’environ juillet 1921, par Hawker puis par Jarvis à Wimbledon. En 1920, l’usine continue pourtant de supporter Emerson et quelques pilotes privés dont G. H. Stewart avec quelques beaux succès dont 25 records signés par Emerson sur 50, 100, 200, 300 et 350 miles et ceux de 1 à 6 heures, avec une heure à 113,4 km/h de moyenne.
Les ABC disparaissent ensuite progressivement des circuits britanniques en 1922-23. Dans le monde de la course, la 400 avait pourtant été bien reçue bien qu’elle n’ait pas la même vitesse de pointe que le modèle d’avant-guerre. Elle avait d’excellentes accélérations et se révélait parfaite pour les courses de côte et les épreuves de vitesse. Son principal défaut était la fragilité de la commande des soupapes par tiges et culbuteurs et différents kits de conversion furent commercialisés, mais aucun ne résolvait totalement le problème.
L’ABC-Gnome & Rhône
En France, la société française des moteurs ABC passe, en novembre 1920, sous le contrôle de Gnome & Rhône, un autre avionneur en mal de reconversion, et son siège déménage au 41 rue La Boétie puis, en 1922, au 44 rue de Lisbonne. Le nouveau directeur de Gnome & Rhône, Paul-Louis Weiller, revend alors toutes les activités annexes dans lesquelles s’est impliqué Gnome & Rhône sauf ABC qui prend dès lors les couleurs de la marque française qui entend bien développer ses activités motocyclistes de la marque.
Le prototype britannique va donner lieu à des ABC notablement améliorées et fiabilisées. Les modèles suivants diffèrent, visuellement d’abord, par leur couleur avec les flancs de réservoir et le gris foncé anglais toujours utilisé sur les premières ABC françaises est vite remplacé par un crème très clair. La boulonnerie passe au pas métrique, un carburateur Zénith remplace celui réalisé par ABC, les soupapes sont différentes, l’embiellage est sur rouleaux et la pompe à huile interne sera rapidement remplacée comme sur les versions anglaises destinées à la course par une pompe mécanique fixée devant le carter et entraînée par l’arbre à cames. Le kick-starter est différent et un carter d’huile se rajoute sous le moteur remplaçant la boîte à outils qui vient se loger dans l’excroissance du carter initialement destinée à recevoir une dynamo pour les modèles dotés de l’option éclairage électrique. Le bras oscillant est monté sur des roulements sphériques (à auto alignement) de grand diamètre pour éviter les oscillations et distorsions latérales et les ressorts des suspensions sont plus raides. Les freins gardent les mêmes diamètres de 125 mm à l’avant et 165 à l’arrière, mais les tambours en tôle peinte des Anglaises se parent en France d’un bel ailetage de refroidissement.
Enfin cette ABC Gnome & Rhône offre en standard un compteur de vitesse, un indicateur de circulation d’huile et une montre huit jours est disponible en option. L’ABC française prend du coup 7 kg et passe de 78 à 85 kg, puis 90 kg pour la 500, toujours un poids plume. En 1921 est présenté une version 500 cm3 hélas hors de prix et qui ne sera guère utilisée qu’en course. Elle est affichée en 1922 à 5500 F pour la moto seule, plus 1200 F pour le châssis du side, il est vrai très sophistiqué, avec une suspension fixée dur le bras oscillant (le pauvre !) de la moto et plus encore 750 F pour la caisse. Comparativement, la 400 ABC paraît la même année presque économique à 4900 F… mais la 500 Gnome & Rhône monocylindre type B ne vaut elle, que 3600 F.
L’usine française s’est bien vite aperçue que l’ABC trop moderne, trop sophistiquée et trop chère n’est pas ce qui convient le mieux pour viser une production en grande série distribuée par un réseau peu spécialisé pour des clients encore moins experts. Après en avoir construit environ 1600, Gnome & Rhône abandonne son beau bicylindre pour faire évoluer sa gamme à partir de la 500 type B née en 1921, un beaucoup plus rustique monocylindre quatre temps à soupapes latérales.
L’apothéose en course
L’ABC continue pourtant d’être utilisée en course avec de grands succès jusqu’en 1924 avec la version 500 cm3 (67,5 x 68,5 mm) aisément reconnaissable par son gros frein avant à tambour de ø 165 mm et son carter d’embrayage de plus grand diamètre. On y voit même parfois un impressionnant tambour arrière de 220 mm !
En France, les succès de l’ABC ont d’ailleurs commencé dès 1919 avec une troisième place du directeur commercial de la marque Graeme Fenton à la côte du Mont-Verdun. L’apothéose vient en 1921 et 22 avec Henri Naas. Il remporte les GP de France ces deux années (321 km à 85 km/h en 1921 et 93,3 km/h avec un record du tour à 104,1 km/h l’année suivante). La 500 ABC brille aussi en endurance. Henri Naas finit 1er à l’issue des 3700 km du Tour de France 1922 suivi par deux Gnome & Rhône 500 type B et 1er au Paris-Nice tandis qu’il est 2e au Bol d’Or. L’ABC continuera à défendre avec succès les couleurs de Gnome & Rhône jusqu’en 1924.
Fantastique, je ne connaissais pas.
Voilà la vidéo De Bradshaw que je cherchais depuis un moment, elle devient sonore après quelques instants:
https://www.britishpathe.com/video/new-omega-engine/query/omega+engine
encore quelques infos permettant de dater la naissance de l’ABC française à fin 1919
Gnome & Rhône passe des accords avec la société française des moteurs ABC (SFM.ABC) du 118 rue de la Boétie à Paris qui prévoit des livraisons de motocyclette 400cm3 pour octobre 1919.
Gnome & Rhône reprends l’étude de cette moto avant construction, ne serai-ce que pour tout passer au pas métrique afin d’être adapté aux machines et aux marchés.
La première présentation de la motocyclette ABC au service des mines est réalisée le 9 Octobre 1919, elle est refusée et représentée le 8 décembre 1919 Les premières livraisons ont eu lieu à partir de mai 1920.
1920 année de crise pertes de prés de 30 millions de francs pour la société :
Gnome & Rhône avait conclu avec la société des moteurs ABC, un marché pour une fourniture importante de motocyclettes, ce marché avait été basé sur les cours du début 1919. L’exécution de ce marché au prix fixé aurait constitué pour gnome & Rhône une perte importante
Achat, en 1920, de la licence des motocyclettes ABC, le prix de l’action est retenu au 31 décembre 1920.
Malgré la crise qui frappe les domaines automobile et motocyclette, l’ABC rencontre un accueil certain renforcé par les succès remportés dans les épreuves sportives. Outre le ralentissement des ventes qui frappe tout le domaine, gnome & Rhône n’a pas connu de méventes comme beaucoup de constructeurs.
Ben oui, le livre de Barry M. Jone est très intéressant mais très touffu. Ton exposé sur la partie moto et dérivés est plus facile. Voui, Bradshaw qui ressemblait au professeur Nimbus a été très prolifique, même si certaines de ses inventions comme le moteur toroïdal tenaient de l’utopie.(Le machin avait explosé au bout de quelques minutes sur le banc de chez Weslake!)
Son copain Canon Basile Henry Davis dit Ixion (curé, coureur motocycliste-journaliste, excusez du peu) disait avec une pointe d’humour, que ses inventions demandaient à être renforcées avant l’utilisation. Gnome avait considéré l’ABC avec respect en continuant avec ce shéma et en l’améliorant. Il existe une video des archives Pathé où il présente son bazar.
Quelques précisions fort intéressantes, on remarque d’ailleurs fort bien sur le point sur logo de la marque en France … mais aussi sur le carter des ABC britanniques et même dans le logo ailé de ABC Sopwith
Bonjour,
ABC, A.B.C ou ABC. ?
… Pour qu’une marque soit protégée, il faut qu’elle soit déposée dans le pays concernée et sa validité est de 5 ans, il faut donc la renouvelée. La marque n’est pas ABC mais ABC. avec un point ce qui permet de ne pas la confondre avec les autres ABC ou A.B.C et de pouvoir être poursuivit par les autres dépositaires antérieurs. Donc les ABC dont il est question ici est ABC. (marque commerciale) même si la société britannique est A.B.C. motors, limited (raison sociale) à Hersham, Walton-on-Thames. Ni ABC., ni A.B.C anglaise n’ont alors été déposé en France.
C’est alors qu’interviennent l’ingénieur français Pierre Maréchal et l’industriel italien Carlos Roditi, tous deux à Londres où les ont conduit leurs affaires en 1916. Tous deux s’associent le 17 décembre 1917 avec pour commanditaire Léon Féval et Charles Gachet pour former en France la société française des moteurs ABC, 13, rue Aubert à Paris. Ils ont acquits et ramenés à Paris une moto ABC. ainsi que des licences exclusives de Grandwille estwood Bradshaw, d’A.B.C Motors, ltd, et d’A.B.C Works.
Le 21 décembre suivant, ils signaient un contrat de 2 ans avec la société des moteurs Gnome & Rhone pour la construction de moteurs que la société française des moteurs ABC leur ordonnerait. En outre GR s’engage à garantir de son expertise pour l’amélioration des moteurs ABC.. Un second contrat est passé avec Louis Clément fabriquant de cellule et voilure au 128, rue de Sully à Boulogne-sur-Seine (Boulogne-Billancourt depuis 1926) construira les partie cycles qui lui seront commandées.
Donc maintenant vous savez FMD où a été prise cette photo, que cette ABC. a été immatriculée 1915 W1 (w1 pour Paris) et que très probablement les 4 personnes photographiés à Paris sont Maréchal, Roditi, Féval et Gachet – LOL !…
Pas de photos de la spéciale de l’ingénieur Barthélémy ….
Incroyable, quelle documentation en plus!!
Ça me donne envie d’aller à Lyon voir cette expo.
Merci FMD pour ce récit extraordinaire