Les Jawa improbables de 1939 à 45

Dans toute l’Europe l’industrie motocycliste renaît avec peine dans l’après-guerre, tandis qu’en Tchécoslovaquie, Jawa, qui est aussi une usine d’armement, tire plein profit de ses développements faits en secret… aux frais de l’armée allemande occupante !

À gauche : L’incroyable 500 DTC de Speedway bicylindre double arbre à compresseur réalisé par Sklenar en 1945 : 75 ch et 131 kg. À ses côté le moteur de la 500 DT à simple ACT de 1945 paraît presque sage !

Fin 1929, František Janeček, le fondateur de Jawa, engage George W. Patchett, un irlandais, pilote et ingénieur de renom qui a débuté en courant sur Brough Superior et McEvoy. Passionné par la moto comme par les armes, il a ensuite quitté Brooklands pour FN à Liège-les-Herstal en Belgique avant de rejoindre l’usine Jawa où il met la dernière main à la première moto de la marque, une 500 quatre temps culbutée qui n’est qu’une version améliorée de la Wanderer sortie deux ans plus tôt.

L’une des études les plus impressionnantes de Patchett sera la curieuse Jawa verte présentée ici, un prototype futuriste de 1933 exposé au Musée technique National de Prague. C’est une 350 cm3 à soupapes latérales avec une dynastart et un très élégant dessin du cadre en tôle emboutie qui intègre totalement le moteur et sa transmission par arbre, la boîte trois vitesses étant accolée au moyeu arrière. Elle ne pèse que 127 kg. Sa teinte armée, dont la restauration est, par erreur, un peu trop brillante aujourd’hui, avait alors été choisie pour permettre des essais sur route sans attirer les regards. Trop belle et trop chère sans aucun doute, cette belle utopie ne sera jamais produite, balayée par la vraie vedette de fin 1932 également due à Patchett : la première Jawa deux temps à moteur Villiers 175 cm3 dont le succès colossal (27 635 exemplaires vendus) permet à la Tchécoslovaquie de renverser en cinq ans le rapport import/export du marché motocycliste. 90 % des motos vendues dans le pays sont dès lors produites localement

La Jawa verte de 1933 à transmission acatène et démarreur électrique : une merveilleuse utopie !
La Jawa 175 à soupapes en tête et tiges de culbuteur en X de 1939

L’ingénieur F. Janeček, qui a toujours donné la plus grande importance à la course, vient alors de développer une nouvelle 175 cm3 à soupapes culbutées et tiges en X dont une dizaine d’exemplaires est construite à l’usine de Zbrojovka. Durant l’hiver 1938, l’équipe, menée par G. W Patchett, reprend le même dessin avec ces fameuses tiges en X sur des prototypes de bicylindre en 350 et 500 cm3 avec une alimentation par compresseur. Ces ultimes motos de course de l’avant-guerre ne sont toujours pas terminées lorsque l’Allemagne occupe le pays contraignant Patchett à se réfugier presto en Grande-Bretagne. Frantisek Karel Janeček réussi lui aussi à quitter Prague et il développera ses armes antichars pour les Britanniques, mais il ne récupérera jamais son usine, nationalisée par le régime communiste, et ira s’installer au Canada.

La majorité des citoyens tchèques ne se résout pas l’occupation allemande qui a débuté en 1938 avec les Sudètes pour s’étendre à toute la Tchécoslovaquie en mars 1939.

Dans ces tristes circonstances où on exécute des gens pour le moindre mot de travers, la vie continue pourtant avec une invraisemblable vitalité dans l’usine d’armes pragoise de Jawa où les employés sabotent gaiement le matériel militaire fait à la demande de l’occupant tandis qu’un département secret se consacre en sous-main à l’étude de nouveaux modèles de motos et de voitures pour l’après-guerre en profitant des subsides de l’armée allemande. Grâce à ces développements effectués durant les hostilités, Jawa entamera l’après-guerre avec une énorme avance sur la plupart des usines européennes et en particulier britanniques.

Jawa débute l'étude de sa 500 cm3 à 2 ACT alimentée par compresseur en 1942, mais elle ne fera ses premiers essais qu'après-guerre.

Après le départ de Patchett, son collègue tchèque Vincenc Sklenar continue le développement du 350 bicylindre et comme il n’obtient pas la puissance désirée, il transforme le moteur avec des soupapes commandées par un double ACT entraîné par arbre et couples coniques et une alimentation par compresseur. La recette est payante, car les fiches d’essai retrouvées font état de 47 ch ! Cet agencement n’était toutefois qu’un premier test pour voir le gain potentiel à attendre d’une telle distribution.

Sklenar débute vers 1942 le développement de nouvelles machines de course en catégorie 250, 350 et 500 cm3 avec des projets d’évolutions pour la vitesse et le speedway. Les 250 seront abandonnées en cours de route, mais les 350 et 500 arrivent à terme avec un bloc moteur bicylindre une distribution à double ACT cette fois entraînée par train de pignons entre les deux cylindres et une alimentation par compresseur (photo ci-dessus). Le cadre ininterrompu est en tubes ronds de faible diamètre avec une fourche avant télescopique et une suspension arrière coulissante. Construire en secret des motos de course dans une fabrique d’armes durant l’occupation n’étant pas sans danger. Les machines ne peuvent être finalisées faute d’essais et il n’y en eut qu’un très petit nombre d’assemblées après la guerre.

Paradoxalement la situation se révèle encore plus difficile après-guerre, car dans la nouvelle République Tchèque née en 1945 les caisses sont malheureusement bien vides et il est devenu impensable de détourner des fonds de la même manière pour les consacrer à des motos de course aussi chères et sophistiquées. Sklenar, désavoué par ses collègues qui critiquent ses concepts techniques, est « démissionné » et seules trois ou quatre de ses machines seront terminées : une 350, une 500, une version avec side-car pour les Six Jours en 1947 et le modèle de speedway exposé aujourd’hui au Musée technique National de Prague. Les résultats ne furent pas concluants. Les modèles de vitesse manquaient de fiabilité et celui de speedway avec un moteur beaucoup trop puissant dans un cadre manquant totalement de rigidité se révélait quasi inconduisible. Le plus grand succès de ces motos de Sklenar sera en 1947, la première victoire de l’équipe nationale tchèque aux ISDT.

Cette génération de Jawa de compétition restera sans suite et après une absence totale la marque repartira à zéro à la fin des années 40 avec une 500 de course construite sur la base du modèle de tourisme 500 cm3 Type 15 à simple ACT . Une autre belle histoire sur laquelle nous reviendrons.

L'ultime prototype de moto de course de l’avant-guerre développé par G.W. Patchett en version culbutée, puis modifié par Sklenar avec double ACT entraîné par arbre et couples coniques et un compresseur (ici manquant). En détaillant la photo on distingue toujours le passage des tiges de culbuteur !
Terminée en 1939 après le départ de Patchett cette 350 cm3 bicylindre annonce 47 chevaux, 130 kg et 180 km/h.
Le moteur démentiel du 500 DTC était monté dans un cadre pour le moins simpliste et la moto se révéla totalement inconduisible !
Prolifique et sans doute pas entièrement confiant dans son monstrueux twin à compresseur, Sklenar construit aussi en 1945 le 500 DT à simple ACT entraîné par arbre et couple conique qui annonce 50 ch (alimentée au méthanol) et 110 kg.

Petite incursion en quatre roues

En 1934, Janeček a aussi lancé la production d’une petite voiture animée par un bicylindre deux temps à refroidissement liquide de 750 cm3 et à traction avant. Le moteur est au départ une fabrication sous licence DKW et par la suite remplacée par une mécanique dessinée par l’usine Jawa. Pour le plus la course la plus importante de l’entre-deux-guerres dans leur pays, les 1000 miles de Tchécoslovaquie en 1935, Jawa construisit six versions sportives spéciales développant 26 ch et capables de 110 km/h qui remportent la catégorie 750 cm3 dans cette épreuve ainsi que la prestigieuse Coupe du Président de la République donnée à la meilleure équipe. Trois versions étaient en cabriolet et trois autres en version coupé comme celle conservée au Musée technique National de Prague qui est la seule survivante.

Le ravissant coupé de 1935, une traction animée par un moteur 750 cm3 deux temps bicylindre.

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5 commentaires sur “Les Jawa improbables de 1939 à 45

  1. fmd dit :

    Merci pour cette juste remarque, je complète mon texte.

  2. jackymoto dit :

    Il semble bon de préciser que la cinquantaine de bourrin de la 500 DT demandait l’utilisation du méthanol.

  3. fmd dit :

    Et bien, je suis là pour la remplacer et depuis pas mal de temps !

  4. millet dit :

    De bien belles mécaniques qui auraient méritées des articles de la rubrique « inconnues, méconnues » du Motocyclettiste…

  5. debonneville j-m dit :

    Merci François-Marie pour ce très bel exposé.
    Dans le musée des techniques de Prague, j’avais découvert beaucoup de ces belles réalisations.
    je t’envoie toutes mes amitiés