Les premiers flat twins deux temps

Le flat twin tente nombre de constructeurs au tout début des années 20, ABC, BMW, Douglas, etc ; mais, qu’ils soient en long ou en travers, tous ceux cités sont des quatre temps. En deux temps, les bicylindres, toutes dispositions confondues, arrivent bien tardivement à l’exception notable de Scott, le pionnier en 1908. Il n’y en a que deux au salon de Londres en 1920 et quatre en 1921 dont l’Economic qui dont je vais longuement parler dans cet article, car il fut, sauf erreur de ma part, le premier bicylindre à plat deux temps aux États-Unis, puis en Europe.

Les atouts d’un bicylindre à plat quatre temps sont évidents et justifient son succès depuis les premiers âges de la moto. Le vilebrequin étant calé à 180°, les deux pistons se meuvent en opposition et cela donne un temps moteur par tour avec un joli bruit caractéristique. Dans les premiers âges du deux-temps, la construction de moteurs refroidis par air au-dessus d’une certaine cylindrée posant de réels problèmes techniques, le multicylindre semble pourtant être la seule solution ! Le flat twin deux-temps s’impose pourtant moins qu’en quatre temps. Avec le même obligatoire calage à 180°, l’aspiration et la précompression dans le carter s’effectuent en même temps pour les deux cylindres, et on a une combustion par tour dans chaque cylindre, soit un gros double-temps moteur par tour. C’est bien pour l’équilibrage et le couple, pas trop pour le bruit qui est celui d’un monocylindre. En comparaison, un deux temps à deux cylindres parallèles, séparation du carter et calage à 180°, a, lui, deux temps moteur par tour, un pour chaque cylindre.

En bref :

1913 – 1921 : Johnson Motor Wheel 154 cm3 – USA

1914 :  Connaught 350 cm3 – GB

1916-1919 : Terrot – Cuzeau 350 cm3 – FR

1919-1921 : Jonhson Motor Wheel / Economic – USA/GB

1921-1923 : Economic 161 cm3 – 2version – GB

 

Johnson Motor Wheel 1919 (photo H. Descelier)

1919 : Terrot Cuzeau 350 cm3 :  Hors concours

Comme un premier deux-temps étudié en Allemagne chez Victoria, le superbe Terrot étudié par l’ingénieur Henri Cuzeau de 1915 à 1919 est d’office éliminé de ce tour d’horizon de flat twins deux temps. Il s’agit en effet de deux-temps à 360°. Dans ce cas les pistons bougeant dans le même sens ne s’équilibrent pas et il n’y a pas de précompression, car ils restent à la même distance l’un de l’autre dans le carter. Terrot et Victoria ont résolu le problème en utilisant des pistons à double alésage, l’espace annulaire créé par l’alésage du bas étant utilisé pour l’admission et l’envoi du mélange dans la chambre de combustion.

L'unique survivant du Terrot-Cuzeau fait partie de la collection permanente du Musée National de la Voiture de Compiègne.
Trop complexe, sans doute, ce flat twin à doubles alésages resta au stade de prototype.

On parlera un autre jour de ces deux-temps à pistons à « doubles étages ». La question du jour, c’est qui remporte la palme d’avoir créé le premier flat twin deux temps « normal » et la lutte est serrée et confuse. Entre Johnson Motor Wheel aux États-Unis et Connaught en Grande Bretagne. Certes le Connaught est bien plus beau et bien plus technique, mais l’histoire n’en a guère gardé pour trace que sa présentation fin 1914 aussi la victoire revient-elle aux frères Jonhson, car leur flat twin sera réellement commercialisé avec un succès non négligeable aux États-Unis et sera même construit en Grande-Bretagne pour équiper une fort jolie petite moto.

1914-1915 : Connaught 350 cm3 en Grande-Bretagne

Autant le Johnson est rustique et sans finesse voire antimécanique avec ses bielles tordues, autant le Connaught, un bicylindre à plat de 350 cm3 présenté en Grande-Bretagne fin 1914, est technique, astucieux et très soigneusement réalisé, mais, dommage, on ne trouve apparemment plus sa trace après cette brillante présentation.

Le Connaught est tout à fait moderne en son temps. Le vilebrequin tourne sur roulements à billes. Les cylindres pénètrent profondément dans le carter moteur en aluminium. Ce moteur est solidement boulonné sur une longue semelle qui sert de silencieux et de partie inférieure du cadre. Pas besoin de tube d’échappement, la semelle-silencieux est directement appliquée sur la lumière d’échappement.
Une plus petite semelle sur le dessus réunit les transferts d’admission avant/arrière et sert de support à la magnéto. Dernier raffinement pour empêcher que le moteur ne passe en 4 temps à faible régime ou dans les descentes (mal chronique des premiers deux-temps,) une valve rotative entre le transfert avant où entre le mélange et le transfert arrière, coupe l’admission au cylindre arrière dans les cas mentionnés et le cylindre avant garde ainsi un rythme régulier.

1913 Johnson Motor Wheel 154 cm3 – États-Unis

C’est aux États-Unis courant 1913 qu’est développé pour la première fois un flat twin deux temps sous label Johnson Motor Wheel. C’est un petit 154 cm3 refroidi par air disposé en long sur un porte-bagages de bicyclette dont il entraîne la roue par une chaîne directe. Le manque de souplesse de ce type de transmission comparé à une courroie est compensé par un amortisseur de chocs constitué par des ressorts disposés entre la couronne dentée et la jante de la roue arrière. Les cotes de ce petit moteur sont étonnamment super carrées (51 x 38 mm), l’alimentation est confiée à un carburateur maison, B & B ou Mills et la puissance est estimée à ¾ de cheval avec une vitesse annoncée de 50 km/h.

Le dessin du brevet montre bien l’agencement des différents éléments avec toutefois quelques changements par rapport aux versions définitives. L’échappement est un deux-dans-un orienté vers l’arrière et le système « Spring drive » de suspension de la grande couronne arrière place ses trois ressorts entre l’intérieur de la couronne et le moyeu de roue et non entre la couronne et la jante de roue.

Un peu d’histoire :

Les frères Johnson Lou, Harry et Clarence Johnson créent la Johnson Brothers Motor company à Terre Haute dans l’Indiana et Louis Johnson construit en 1903 son premier moteur, un mono deux temps de 3 ch et 68 kg. Deux ans plus tard, le moteur amélioré ne pèse plus que 29,5 kg. La Johnson Brothers Motor developpe ensuite des 2 et 4 cylindres en ligne, puis un V4 pour l’aviation, mais leur usine est détruite par une tornade en 1913. Les trois frères redémarrent alors leur activité avec une nouvelle société, la Johnson Bros. Motor Wheel Company et une nouvelle invention, un petit flat twin deux temps adaptable à l’arrière d’un vélo. Ce petit flat twin a cependant un grave défaut il fait « brûler » sa magnéto plus vite que leur fabricant ne peut en fournir. Les frères Johnson se lient alors à la Quick-Action Ignition Cy, dirigée par Warren Ripple et vont s’établir ses côtés à South Bend, Indiana en mars 1918.

Revu, corrigé et breveté pour 1919, le flat twin s’est doté un moderne volant magnétique conçu par Quick-Action ignition Company. C’est le succès et le Johnson sera vendu à 17 000 exemplaires sous labels Johnson Motor Wheel, ou Economic. Et puis arriva la récession et surtout la concurrence de la Ford T à 365 $ alors que le Johnson Motor Wheel valait 97,50 $ en moteur seul et 140 $ avec sa bicyclette. Imparable ! et Johnson Motor Wheel Cy ferme boutique en 1921. Délaissant les deux roues motorisés, les frères Johnson retournent à leurs premières amours, les moteurs marins avec, devinez quoi ? Un flat twin deux temps tout alu qui développe 2 chevaux et ne pèse que 16 kg.

Publicité pour le Johnson Motor Wheel vers 1920 vendu 97,5 $ … l’apparition de la Ford T à 365 $ mettra fin à son succès.
Pour le moins rustique, le Johnson est conçu pour pouvoir être démonté avec seulement un tournevis. Des chapeaux de bielle à l’assemblage des carters et la fixation des cylindres, tout est confié à des vis à tête fendue de même dimension et « en ferraille à ferrer les ânes » précise un docte membre du Vintage Motorcycle Club britannique.
La coupe du moteur est présentée dans les journaux anglais et français en 1921.
Curiosité technique, certain diront aberration, les bielles ne sont pas droites, mais sont tordues et décentrées pour que les cylindres soient alignés. (Photos Kim Siddorn)
Le moteur Johnson ici sous label Economic au National Motorcycle Museum dans l’Iowa. Comme la grande majorité des constructeurs américains de motos Harley Davidson fabriquait aussi des vélos et ce kit moteur est monté sur une bicyclette HD, modèle 1918. Un étonnant mariage, car le distributeur du kit moteur « Economic » alias Johnson Motor Wheel, est Davis Sewing Machine Co, un célèbre fabricant de machine à coudre à Watertown (NY) puis établi à Dayton-Ohio, qui fabriquait aussi des bicyclettes depuis 1892, avec d’ailleurs tant de succès qu’il en abandonnât ses ‘sewing machines’ ; une mauvaise idée, car il fît faillite en 1924. Le seul côté high tech de cet Economic de 1920 est bien son volant magnétique.(photos Hugues Descelier)
Un Johnson Motor Wheel daté de 1919 sur vélo de dame au Barber Museum.(photo Hugues Descelier)
Le carburateur et le système d’échappement est encore différent. (photo Hugues Descelier)

1921-1923 : Economic 161 cm3 – Grande-Bretagne

Bien avant d’être grillé aux États-Unis par la Ford T, le flat twin Jonhson a découvert l’Europe de façon très anecdotique monté sur un porte-bagages de vélo et bien plus souvent dans l’armée américaine durant la Grande guerre où il entraînait des groupes électrogènes ou des pompes d’assèchement.

La société Economic Motors créée à Londres rachète, dit-on, ces moteurs aux surplus avant de devenir Eyneford Engineering Co Ltd à Eynsford dans le Kent et de se lancer dans la fabrication non seulement du moteur, mais d’une vraie petite moto.

On ne trouve aucune trace de l’Economic dans la presse britannique en 1919-20 et il ne figure pas dans la liste des exposants au salon de l’Olympia à Londres fin 1920 publiée par Motorcycling. Il en va tout autrement au salon de Londres 1921 où Economic présente son moteur auxiliaire  en vantant sur son prospectus « l’énorme succès » de cet engin sans préciser que ceux-ci ont été essentiellement réalisés outre-Atlantique. Il est monté en long sur le porte-bagages d’un vélo en version ‘Standard’ à 18£ 17s 6d ou ‘De Luxe’ à 23£, avec la transmission par chaîne « Spring drive », inventée par Johnson avec six ressorts intermédiaires joignant 3 bossages sur la couronne dentée à six attaches sur la jante. Le kit complet avec vélo renforcé vaut 30£. C’est cher surtout en comparaison de la grosse surprise qui tient la vedette du stand Economic, une vraie moto proposée à un prix défiant toute concurrence et à peine plus onéreuse que le vélo avec son moteur auxiliaire : 34£ en version standard ou 37£ 10d avec boîte deux vitesses.

Les inépuisables fonds de la BNF sont là pour prouver que le Johnson Motor Wheel a bien roulé en Europe et même en France. Il est ici photographié par la célèbre agence Rol à la course de côte de Gometz-le-Chatel le 31 octobre 1920 aux mains de Pierre Labric. La version utilisée est parfaitement identique à celle montée sur un vélo de dame au Barber Museum

Le petit flat twin monté sur la moto a désormais une cylindrée de 161 cm3 avec des cotes encore plus super carrées que le 154 cm3 du moteur auxilliaire Johnson original puisque l’alésage est passé de 50,1 à 52 mm pour une course toujours de 38 mm. Le flat twin est disposé en long, à la Douglas, accroché très haut juste sous le réservoir dans un cadre triangulé en tubes droits plus qu’inspiré par celui que vient de présenter Cotton. La transmission ne s’effectue plus en direct à la roue. Une chaîne entraîne une boîte relai sous le moteur (avec deux vitesses en option) et une poulie trapézoïdale assure la transmission secondaire. Miracle du volant magnétique, l’éclairage électrique est aussi proposé en option (à une époque où l’éclairage acétylène est encore la règle). On note au passage la suspension avant pendulaire type Indian qui comprime un ressort horizontal au-dessus de la roue. « Le petit compagnon rouge » comme l’appelle sa publicité en raison de sa couleur ne vivra pourtant qu’un été.

Première mouture de l’Economic en 1921 (tiré à part à l’occasion du salon de Londres de la présentation parue dans le numéro de ‘Motorcycling’ du 16 novembre 1921): 34 £ seulement avec un versement initial de 10 £ puis six mensualités alors que le moteur auxiliaire avec son vélo est proposé à 30 £.

Le moteur disposé en long transmet sa (modeste) puissance par chaîne et courroie avec, au choix, une boîte deux vitesses ou non sur l’arbre relai. L’allumage s’effectue par un volant magnétique avec avance variable qui peut également alimenter un éclairage électrique. Les freins sont à patins sur jante et la suspension avant est pendulaire type Indian. Finition en rouge, lui vaut le surnom de « Petit compagnon rouge » sur le catalogue. (extrait de Motorcycling du 16 novembre 1921 - Archives Hockenheim museum)

L’Economic à friction

Dans ses reportages sur le salon de Londres 1921, la presse britannique parlait déjà 1921 d’un futur tricycle utilitaire animé par le flat twin de l’Economic et associé à un changement de vitesses par plateau de friction.

L’idée se concrétise aux salons de Londres et de Paris fin 1922 où apparaît une toute nouvelle Economic où tout change ou presque. Non, le moteur est le même, mais il est cette fois placé en travers et disposé plus bas dans un double berceau toujours en tubes droits triangulés, mais élargi pour protéger les cylindres de la boue comme des chutes. une vraie mini ABC !

La grosse nouveauté est ailleurs : un changement de rapport par plateau de friction (de 6 à 1 à 19,4 à 1). Un dispositif déjà utilisé par Ner-a-car, La Mondiale et quelques cyclecars. Succès d’estime, cette aguichante Economic à bicylindre en travers brillera au salon de Londres et même de Paris, mais dans le hall d’entrée seulement, car “inscrite trop tard pour avoir un stand”, elle ne fut toutefois diffusée qu’à un très petit nombre d’exemplaire et la marque disparaît en 1923.

L’Economic de 1922 conservée au National Motocycle Museum de Birmingham : une vraie « mini ABC ».
Superbe description du dispositif de changement de rapport à friction dans ‘La Revue Motocycliste’ du 10 juillet 1922. Un disque acier est accolé derrière le volant magnétique. Perpendiculaire à ce disque, un volant garni de fibres est maintenu en pression contre lui par un ressort de débrayage commandé par pédale. Un levier à main réglable sur dix positions commande le déplacement du volant sur son axe qui passe ainsi de la périphérie vers l’extérieur du plateau en sortie moteur. L’axe sur lequel coulisse le volant est pourvu d’une poulie à gorge pour la courroie de transmission vers la roue. Le carburateur unique n’est plus un B & B mais un Gapac.
L’Economic qui arrive trop tard à Paris pour être inscrite au salon de 1922. Elle sera néanmoins exposée, mais dans le hall d’entrée. On verra sa publicité dans les numéros Spécial Salon de ‘La Revue Motocycliste’…
…et de ‘Moto Revue’ en 1922. On y lit qu’elle a effectué un Londres-Edimbourg en 22 h 27min. soit 700 km à 31,18 km/h de moyenne une vraie performance certifiée par l’ACU, sur les routes non bitumées telles que vous pouvez vous les imaginer à l’époque.

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6 commentaires sur “Les premiers flat twins deux temps

  1. jackymoto dit :

    Rigolo, quand j’ai débuté mon patron vendait (entre autres) deux ou trois cent tondeuses Lawn- Boy par an. Ces machines deux temps très primitives étaient inusables. Un jour, un grand père m’apporta la même machine, très ancienne vendue sous la marque d’origine : Johnson . C’était avant que soit formé l’Outboard Marine Corporation vers 1960. Rigolo, un collègue du Club Velocette LE, Ted Snook a travaillé longtemps avec l’infâme docteur Dr Ehrlich qui vendait des brevets de transferts spéciaux…n’apportant rien. Ted s’était retrouvé à bosser chez Motobécane avec Christophe pour cette raison..
    Pour abréger, il s’était retrouvé dans une tentative (sans succès) de dépollution des moteurs Johnson – Lawn Boy dans les années 80. Amusant le carburateur de ma Lawn- Boy a une cuve en plastique…mais
    un flotteur en liège, comme une Harley ou Indian de la première guerre.

  2. fmd dit :

    Les compliments, ça fait toujours plaisir, mais une photo en plus en complément d’information, c’est encore mieux. Merci Jacky !

  3. jackymoto dit :

    Tu parles que celle là, je l’avais repérée malgré l’environnement bien chargé
    en curiosités et je serais curieux de l’essayer!
    Je ne sais pas si elle était bien nommée…
    Ci-joint, une vue sur la transmission à friction. Une vue sur la transmission à friction

  4. hugodes dit :

    Superbe article, comme d’habitude !

  5. fmd dit :

    Merci et a priori vous n’êtes pas le seul content : 1400 visites hier !

  6. LAMARD dit :

    Bonjour Mr Dumas,

    Encore de belles découvertes pour moi ,
    Merci de m’aider à vivre dans cet esprit

    Amicalement,

    M Lamard