Louis Lepoix #4 Les auto-scooters

Au début des années 50, le scooter est avant tout une alternative économique à l’automobile. Moins cher qu’une voiture ne veut pas dire rustique et Louis Lepoix invente en Allemagne les scooters les plus sophistiqués de leur temps, en petit, avec les Walba et en grand, avec ses scooters GT qu’il baptise auto-scooter. Cela ne l’empêchera pas, quelques années plus tard, de se spécialiser dans les cyclo-scooters de 50 cm3 en y proposant aussi quelques nouvelles idées et technologies.

Archives FTI Louis Lepoix, texte et photos couleur François-Marie Dumas

Louis Lepoix en 1950 présente fièrement le prototype du scooter Baster

Faux départ sur le marché français

Les affaires de la toute jeune société Form und technic créée en 1950 à Friedrichshafen démarrent en flèche et le styliste Louis Lepoix qui  travaille à la fois pour Horex et les scooters Walba à partir de 1950 va approcher les marques françaises. Il est en rapport avec Lavalette en 1949-50 puis et les bureaux d’études des automobiles Mathis eux-mêmes très liés à Le Poulain qui va absorber Bernardet en 1955. Ironie du sort lorsqu’on se souvient du slogan d’Émile Mathis depuis 1922 « Le poids, voilà l’ennemi » ! Toujours est-il que ces études de scooters de 85 cm3 en 1952  pour un projet qui va devenir le Cabri chez Bernardet et d’un 200 cm3, prélude au futur Guépar, seront jugés trop futuristes et ne seront pas retenus. Le seul deux-roues réalisé en France sur un dessin de Lepoix sera le Sulky de la marque vichyssoise RSI qui sort en 1953 avec un 65 cm3 fabriqué par SER à Levallois, avant d’être équipé d’un 100 cm3 AMC Mustang.

Projet réalisé pour Mathis-Le Poulain en 1952 pour le Bernardet Cabri. Il n’en restera guère que le pédoncule supportant la selle sur le Cabri qui est commercialisé en 1954 !
Cette étude de style réalisée à la demande de Mathis et pour Bernardet en janvier 1952, d’un 200 cm3 avec une roue de secours étrangement sanglée sous le phare sera jugée trop futuriste. On lui préfèrera le classicisme du Guépar
Un Riva Sport de 1953 dans sa première version animée par un moteur SER de 65 cm3. Il sera ensuite équipé d'un 100 cm3 AMC et d'une suspension arrière oscillante.

1952 : Le Bastert « Auto monotrace »

C’est donc le marché allemand que Louis Lepoix va marquer de son style. En 1951, la société Bastert de Bielefeld, connue avant-guerre pour ses vélos et quelques motos de petite cylindrée, lui demande d’habiller un scooter luxueux et de haut de gamme en 175 cm3. Ils vont être servis, l’auto-scooter étudié puis construit en prototype par Lepoix et ses artistes-tôliers est sublime. On y retrouve les lignes rondes et fluides de la BMW R12 carrossée par le designer en 1947 et, comme sur cette dernière, la carrosserie est en duralumin, ce qui n’empêche pas ce gros scooter baptisé « Auto monotrace » (Einspurauto) d’avouer quelque 150 kg. Bastert a utilisé toutes les recettes connues pour une bonne stabilité, grandes roues de 13 pouces et pilote est assis très bas, et Lepoix a transformé le vilain petit canard qu’était le proto en une auto-scooter remarquable d’élégance et de finition : montre, voyants lumineux indiquant le rapport de vitesse engagé, flèches repliables pour les changements de direction et partie arrière modulable à volonté en grand porte-bagages ou en siège passager. Ce qui apparaît comme un dosseret derrière la selle du pilote se soulève et se positionne à plat sur le porte-bagage, le transformant ainsi en selle passager. Luxueux représentant de l’école typiquement allemande des gros scooters, le Bastert sera produit à 1 200 exemplaires de 1952 à 1956 où la petite firme de Bielefeld ferme ses portes.

 

Ce premier prototype construit par l'usine Bastert début 1951 avant l'arrivée de Lepoix illustre bien le travail du designer!
La fête après l'effort. Après des mois de travail jour et nuit, Louis Lepoix, au guidon et son assistant tôlier -chaudronnier Sepp Kolger s'éclatent sur le prototype du Bastert à peine fini.
Vous pouvez jouer au jeu des 7 erreurs avec le prototype de style de fin 1951, entièrement chaudronné à la main et très élégamment présenté et (un peu plus bas) la version définitive industrialisée, retouchée, allégée par diverses grilles, moulures et autres artifices... et tout aussi élégamment présentée.
Le Bastert de présérie carrossé par Lepoix en vedette au salon de Francfort de 1951. Notez qu'un vrai guidon a déjà remplacé le demi-volant.
Le Bastert tel qu'il a été commercialisé à 1 200 exemplaires de 1952 à 1956. Il n'y a plus de coussin arrière passager, c'est le dossier derrière le pilote qui se soulève et se rabat sur le porte-bagage.
Le demi-volant des premiers prototypes a cette fois laissé place à un guidon très classique surmonté des témoins lumineux de rapport de boite engagé. Notez aussi le bouchon d'essence car le réservoir est dans le tablier avant.

1953 : TWN Contessa

Entre-temps Lepoix a dessiné en 1953 un autre scooter, le « Contessa » qui sera commercialisé de 1954 à 1959 par TWN (qui s’appelle Triumph en Allemagne), et jusqu’en 1960 par Hercules sous l’appellation R 200 (avec un moteur Sachs). Il sera également construit sous licence en Grande-Bretagne et vendu sous le label Prior Viscount. Imposant, ce TWN Contessa animé par un moteur maison à double piston de 200 cm3 se distingue de l’école allemande par des formes moins massives. Le designer a réussi à conserver la taille requise tout en allégeant ses lignes : coque bicolore, double galbe de la partie et ouïes d’aération sur la coque arrière, coiffée de deux selles en mousse. Côté technique, le Contessa est aussi plus « raisonnable » et classique que les précédentes études, mais tout aussi étudié dans les moindres détails. Le tablier qui supporte le réservoir de 11 litres et deux batteries est en fonderie d’alliage léger et les marche-pied sont en tôle d’alu polie, mais la coque arrière et les garde-boue sont en acier. Le cadre est constitué d’un seul gros tube dédoublé devant le moteur et la suspension avant est à roue poussée tandis que l’arrière adopte un groupe moteur-transmission oscillant, comme sur tous nos scooters modernes, avec un amortisseur hydraulique. Les roues ne sont que de 10 pouces. Déjà utilisé sur d’autres productions TWN, le moteur à double-piston est accouplé à une boîte à quatre vitesses commandées par sélecteur au pied et possède un démarrage électrique par dynastart, encore exceptionnel à l’époque. Avec une honnête puissance de 9 ch à 5 000 tr/min, mais quand même 150 kg en ordre de marche, le Contessa frise les 100 km/h.

 

Grand classique des scooters allemands et plus grosse cylindrée commercialisée dans ce domaine, le Contessa sera produit par TWN de 1954 à 1959.

1953 : Victoria 200 Peggy

Une nouvelle marque rentre au palmarès de Lepoix en 1953, Victoria, pour qui le designer dessine la 200 cm3 Peggy, un scooter à grandes roues aux lignes plutôt torturées, mais d’une parfaite fonctionnalité. Animée par la même mécanique que la Victoria Swing, cette Peggy se signale avant tout par son extraordinaire transmission à commande électromagnétique de la boîte à quatre rapports actionnée par boutons à main gauche. Cette transmission futuriste tout comme le scooter léger Nicky furent développés pour Victoria par l’ingénieur Norbert Riedel, le père des Imme, à la technique et  Louis Louis Lepoix à la table à dessin. Je ne m’y attarde pas ici car un prochain article leur sera tout spécialement consacré.

La Victoria 200 cm3 Peggy en 1955.
Conçu par Norbert Riedel et dessiné par Louis Lepoix, le Nicky n'est guère concerné par ce chapitre consacré aux gros scooters et je vous en reparlerai dans un prochain article.

1954 Maicoletta

En 1954 Lepoix, devenu le grand spécialiste du scooter allemand (il va travailler pour 70 % des marques allemandes pendant dans cette première moitié des années 50) propose à Maico une évolution du gros scooter qu’il a réalisé chez Bastert pour remplacer l’énorme Maicomobil vieillissant. Le projet n’est pas retenu et le Maicomobil perdurera jusqu’en 1958 de concert avec un nouveau projet de Lepoix qui sera sa dernière réalisation commercialisée dans le domaine du gros scooter, le Maicoletta, produit de 1956 à 1961 en 175 et 250 cm3. Chez Maïco ce 250, bien qu’il soit la plus grosse cylindrée des scooters allemands, paraît presque fluet comparé au monumental Maicomobil. Classique et moderne, le Maicoletta reste sage dans sa technique comme dans son dessin avec pour principale originalité ses roues de grand diamètre (3,50 x 14″) et une maintenance facilitée par la longue coque arrière qui se dépose en ôtant un seul boulon.

 

Le Maïcoletta ici dans une rarissime version de 277 cm3 spéciale side (boîte spéciale et frein du side couplé avec l'arrière du scooter) produite à 5 unités en 1956 pour la Grande-Bretagne.

1954 : Horex Rebell

Je vous ai gardé le meilleur pour la fin : L’ultime étude de Louis Lepoix pour Horex et sans doute la plus visionnaire, le scooter Rebell 250 cm3 de 1954, véritable inspirateur du Yamaha 500 T-Max apparu 45 ans plus tard.

Cet extraordinaire scooter Horex est une vraie moto-scooter qu’on pourrait définir comme un T-Max monocylindre en avance d’un demi-siècle. J’avoue d’ailleurs sans honte avoir été fortement influencé par ce Rebell, lorsqu’en 1998 la petite équipe dont je faisais partie au sein de Yamaha Motor Europe a défini les grandes lignes du Yamaha T-Max. Élégant, compact, équilibré, le Rebell se veut à la pointe du progrès technique et cumule les innovations: moteur quatre-temps à cylindre horizontal et démarreur électrique, freins à tambour à commande hydraulique et somptueuses roues en alliage léger de 16 pouces équipées, c’est une première, de pneus sans chambre à air. Le style très aérodynamique n’est pas en reste avec un phare carré de grandes dimensions et une ligne de carrosserie très pure allégée par une peinture bicolore offrant un fort contraste. Le scooter Horex trahit une fois encore la constante recherche d’efficacité fonctionnelle et aérodynamique de Louis Lepoix, et ses grandes capacités d’innovation, mais il arrive trop tard dans une conjoncture de crise. Horex est en grande difficultés financières. Ni le scooter, ni la voiturette animée par le 400 cm3 bicylindre ne seront produits et la marque va se tourner vers les 50 cm3 avant de fermer définitivement ses portes en 1960.

Ils auront néanmoins participé au lancement de Louis Lepoix et sa société FTI à Baden-Baden, une structure dorénavant établie avec sept employés permanents et d’excellents contacts avec l’industrie, entre autres celle des deux roues. Son style va sans tarder s’exprimer en Allemagne dans la moto et principalement le scooter.

L’ère des gros scooters est finie pour un bon nombre d’années et FTI et Louis Lepoix vont, eux aussi passer aux scooters de petites cylindrées et aux motos, une autre aventure à suivre dans le prochains article.

Roues de 16 pouces en aluminium coulé, freins hydraulique et 250 cm3 à simple ACT. Le splendide Horex Rebell 250 cm3 annonce 18 ch, 120 km/h et 135 kg.
Horex : Le cadre monopoutre fait office de réservoir d'huile, le réservoir est sous la selle et les batteries derrière le phare comme sur le TWN... et le T-Max. Autres innovations majeures : les roues en alliage léger et des pneus sans chambre.
Il semble malheureusement que seuls les essayeurs de l'usine aient eu le privilège de rouler au guidon du splendide Horex Rebell.

Le prix du design

Comparer différents véhicules perd tout son sens si on ne tient pas compte de leur prix et les valeurs comparées de nos scooters en Allemagne expliquent bien des différences. Le luxueux le Bastert 175 cm3 à carrosserie aluminium valait 1 960 DM, très cher face aux 1 220 DM du Vespa type A de 1952-53 fabriqué sous licence par Hofmann, mais on en avait quand même largement pour son argent.

FTI Louis Lepoix : 50 ans de design industriel

Lepoix exercera son activité dans les domaines les plus divers jusqu’à sa disparition en 1998. Sa société Form und Technic créée en 1950 à Friedrichshafen, déménage à Baden-Baden en 1952 et devient FTI (Form Technic International) en 1956 avec l’ouverture d’un bureau à Neuilly transféré plus tard à Enghien. FTI ne cesse ensuite de s’étendre jusqu’en 1986, avec d’autres centres d’activité en Espagne, à Anvers, Zurich, Vienne, Copenhague, Lyon et Munich. On comprend dès lors le nombre considérable des études effectuées ! FTI n’aura malheureusement pas l’heur de plaire aux rares constructeurs français de deux-roues. Jeune journaliste à Moto Revue en 1973, je serais responsable de l’ultime travail en France de FTI pour la moto en commandant à Louis Lepoix pour le numéro spécial salon 1973 de ce magazine, deux dessins libres illustrant la moto du futur. Il nous proposera ainsi une version Sport-GT de route avec une roue avant orbitale (16 ans avant celle de Sbarro en 1989), un moteur rotatif (Lepoix a aussi travaillé pour Sachs pour les études de style de ce moteur), une suspension arrière monobras et une remorque à centre de gravité très bas. Le projet Tout Terrain est plus futuriste entre trail et Van-Van avec de grosses roues, un cadre coque en polyester armé.

Les dessins réalisés par Louis Lepoic-x pour le n° Spécial salon 1973 de Moto Revue. (Désolé pour la coupure de l'image !)

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Pour compléter cet article avec des photos, merci de me joindre sur info@moto-collection.org

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One thought on “Louis Lepoix #4 Les auto-scooters

  1. François Arsène dit :

    Maïcoletta, projet spécial pour l’Angleterre … avec un side-car à droite ? C’est curieux !
    Quant au Horex, son 250 horizontal à ACT de 18 ch aurait été parfait dans une bécane façon Aermacchi ou Motobi, dommage.