Louis Lepoix #3 : Walba : L’anti-Vespa

Italie 1946, Piaggio fait un chef-d’œuvre de marketing en inventant un petit scooter, rustique, facile à produire et économique. Quatre ans plus tard, en  Allemagne, Louis Lepoix crée pour Walba et dans le même gabarit, le scooter le plus sophistiqué, le plus complexe à fabriquer et le plus cher jamais réalisé. Lequel allez-vous préférer ?

Rappel des chapitres précédents. Nous y avons vu comment Louis Lepoix a débuté avec une BMW R12 entièrement carrossée par ses soins en 1947, puis ses réalisations pour Horex. Je reviendrai à cette marque pour parler de l’extraordinaire scooter Rebell de 1954, mais, chronologiquement, je me dois de commencer par les petits Walba nés en 1950 et les Faka qui leur succèdent.

Photos archives : FTI Louis Lepoix, Texte et photos couleurs : François-Marie Dumas

Louis Lepoix au guidon d'un des premiers protos de Walba qui, comme toutes ses réalisations, fait largement appel aux alliages légers. Le tablier avant ovoïde en fonderie de magnésium comporte deux nervures plongeantes qui disparaîtront pour la série. Monobras avant et transmission sont ici à droite.

La jeune firme Walba, établie à Reutlingen, débute dans le deux-roues motorisé en 1949 avec un bien curieux petit scooter proposé en 98 ou 120 cm3 pour, respectivement, 940 et 995 Deutsch Marks. Perfectionniste à l’excès, le directeur technique, Herr Doktor Balbaschewski, a voulu réaliser le plus sophistiqué des scooters allemands. Ce n’est pas tout à fait le cas de sa première réalisation et ce petit Motor Roller d’apparence plutôt rustique et sans suspension arrière ne doit sa forte personnalité qu’à sa fourche avant monobras très inspirée des trains d’atterrissage d’avion avec un seul élément télescopique au dessus de la roue et deux compas assurant le guidage. On retrouvera le même concept quarante ans plus tard sur la Gilera 125 CX de 1990. Qu’importe, « Herr Doktor B » découvre Louis Lepoix et lui signe son premier vrai contrat pour donner corps à tous ses rêves de grandeur.

Les Walba d'avant Lepoix.

L’habillage futuriste dessiné en 1950 par le designer est une vraie réussite, élégant, bien proportionné et parfaitement à la mode du temps avec son énorme entrée d’air en forme de turbine sous la selle. C’est en effet l’époque ou les premiers avions à réaction font rêver le monde et un bon nombre de motos comme quelques calandres de voitures seront fort inspirés par le style turbine. Le guidon est l’autre point fort du style de ce nouveau Walba. Cette pièce sublime (qui sera réservée pour la série aux versions  » de Luxe « ) n’est plus en tôle d’alu comme sur la BMW R12 de Lepoix, mais en fonderie d’alliage de magnésium. Elle englobe phare et guidon et se termine par des coques protège-menottes. La partie technique n’est pas en reste, loin de là. Toujours monobras, la fourche avant utilise cette fois deux éléments télescopiques disposés transversalement au-dessus de la roue (ce qui la dispense des compas de guidage toujours susceptibles de prendre du jeu) plus un amortisseur hydraulique logé dans la colonne de direction. Le cadre, tout aussi original, est un triple berceau tubulaire et il reçoit à l’arrière une suspension oscillante aussi révolutionnaire qu’élégante dont pourraient encore s’inspirer bien des scooters modernes. Un long bras oscillant en magnésium supporte le moteur en avant de son axe d’articulation. Sa partie arrière fait office de carter de chaîne étanche tandis que le prolongement de la branche avant actionne une biellette qui vient compresser un bloc caoutchouc associé à un ressort sur certaines versions. Inédit, encore, et première sur un scooter allemand, le freinage est confié sur les versions  » de Luxe  » à des tambours à commande hydraulique étudiés spécialement par ATE-Lockheed avec commande couplée au pied agissant sur les deux freins et une commande indépendante à main du frein avant. Pour rajouter encore au côté pratique des suspensions avant et arrière monobras, les roues fixées par un seul gros écrou papillon central sont interchangeables et leurs deux flasques maintenus par quelques boulons se séparent pour faciliter le changement de pneu.

Aux côtés de toutes ces innovations, le moteur JLO deux-temps de 125 ou 175 cm3 paraît bien classique (et il aura par ailleurs quelques problèmes de fiabilité). Il a cependant reçu une préparation bien spéciale avec un silencieux qui promet une efficacité jamais atteinte et un carburateur Amal spécial censé assurer une consommation inférieure à 2,5 l/100 km sur le 125. Dès 1950 Walba propose une gamme complète : Le très simplifié Kurier de 120 cm3, le Tourist de 125 cm3 et sa version le « De Luxe » et enfin le Commodore de 175 cm3. Seuls ces deux derniers bénéficient du carénage de guidon, des freins hydrauliques et de diverses autres gâteries : selle biplace, clignotants, feu-stop arrière, boîtier regroupant compteur, montre, témoins lumineux de rapport engagé et contacteur derrière le tablier. Ils sont respectivement annoncés pour 70 et 85 km/h . Tous ces modèles sont animés par des moteurs JLO avec boîte à 2 rapports commandée par poignée tournante sur le premier modèle Kurier et 3 rapports au pied sur les autres versions.

Le premier Walba dans la cour des ateliers de Friedrichshafen avec Louis Lepoix (à droite) et son artiste tôlier Sepp Kolger. Notez, le logo avant qui reprend la forme du guidon et les bras de suspension et la transmission du côté gauche.
Le proto de Lepoix proposait également un sigle et un logo en moustache basé sur le dessin du guidon.
Une bien belle pièce en alliage de magnésium et quand même bien épaisse.
Le salon de Francfort de 1951 exposait même un Walba attelé d'un side-car, également dû à Louis Lepoix, et luxueusement équipé avec même la radio.
Extrait du catalogue Walba 1951
Le prix du luxe
 
Walba 120                         1950-51      995 DM
Walba Kurier 120 K          1950-52    1295 DM
Walba Turist 125              1950-52   1480 DM
Walba De Luxe 125          1950-52   1660 DM
Walba Commodore 175   1952-53   1895 DM
Vespa Hoffmann A           1952-53   1220 DM
Vespa Hoffman 125          1954        1525 DM
 

Hélas, la mariée était trop chère, les étonnants Walba proposés en trois versions plus ou moins équipées de 1295 à 1895 DM sont de 6 à 56 % plus chers que la Vespa type A construite sous licence par Hoffmann et le modèle De Luxe est presque aussi onéreux que les gros scooters Bastert et Panther Karat (proposés à 1750 DM en 1951). Les beaux Walba seront commercialisés pendant à peine trois ans, de 1950 à 1953, où ces productions dispendieuses mettent la firme en graves difficultés financières qui la contraignent à mette la clé sous la porte.

La licence de construction et les machines-outils sont reprises par une autre jeune marque, Faka et déménagent vers le nord-est de l’Allemagne à Salzgitter-Bad . (J’avais pensé à titrer cet article  « Pastilles Walba, dragées Faka »… mais, bof !)

Sur ce Faka Tourist 150 cm3 de 1953 le guidon caréné a disparu, le monobras de la fourche avant n'est plus en magnésium, mais en fonte tout comme le beau tablier ovoïde désormais en tôle d'acier. Par contre, le coffre sous la selle et l'entourage de la turbine restent en fonderie d'alliage léger (mais très épais !) (Museo Scooter e Lambretta)

Faka simplifie la gamme et rogne sur les détails d’équipement, plus de guidon, ni de tablier avant en magnésium, ni de tableau de bord suréquipé, le monobras avant est en acier, etc. Il abandonne aussi le Kurier pour ne garder que les Tourist et Commodore en 150 et 175 puis 197 cm3 JLO. La partie avant de ce Commodore est totalement redessinée, le garde-boue avant tournant laisse place à un large garde-boue fixe dans le prolongement du tablier et les roues passent en 10 pouces. La version de 1954, annoncée pour 9,3 ch, est équipée d’un démarreur électrique et d’une alimentation en 12 V avec deux batteries accouplées et la plate-forme repose-pied est élargie. Enfin, reconnus à leur juste valeur, les Faka seront produits jusqu’en 1957 et exportés dans dix pays européens et six en-dehors de l’Europe.

 

 

Suspension avant monobras et triple berceau, ici sur un Faka 150 de 1953. Le gros tube noir contient des piles alimentant les feux de position et on aperçoit sous la turbine l'élément ressort et caoutchouc de l'amortisseur arrière (Collection Philip Olivier).
Grand Tourisme au programme avec cette version 1955 du Faka Commodore qui arbore une toute nouvelle partie avant plus à la mode d'alors.
Les Faka sont simplifiés, mais pas dénudés pour autant, comme on peut le voir sur ce Commodore de 1955.
Le bras oscillant-support-moteur-carter-de-chaine en magnésium est une pièce fort complexe de même que le monobras avant et pour tout arranger les Walba avaient des versions “monobras avant et arrière à gauche” ou les deux à droite. Faka tentera de standardiser avec (sauf exception due aux anciens stocks), les deux monobras à droite.
Dur dilemme pour un collectionneur... chausser en neuf ou garder cette rare relique !
Le support moteur-transmission est articulé en son centre et la partie avant s'appuie sur le ressort amortisseur.
Marque de fabrique des Walba et Faka, la calandre en turbine est aussi une obsession de Louis Lepoix qui a toujours été fasciné par l'aviation. Il dessine également une vraie turbine éolienne en 1951 (copie conforme du Walba !) et il reviendra à ces premières amours à la fin de sa vie en dessinant une large série d'éoliennes.

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2 commentaires sur “Louis Lepoix #3 : Walba : L’anti-Vespa

  1. fmd dit :

    Merci… et c’est à cause de commentaires comme le votre que je continue !

  2. Vaysse dit :

    Bravo pour le travail que vous faites ici. C’est la première fois que je laisse un commentaire, c’est sans doute dommage car vous méritez vraiment des félicitations pour la pluralité de vos publications.