Révolution de l’après-guerre : il ne suffit plus qu’un produit soit bon, il faut, de plus en plus, qu’il soit beau, fonctionnel, attirant et valorisant… c’est là tout le travail du designer et, en Allemagne, les études de style et d’aérodynamisme d’un Français, Louis Lucien Lepoix, vont avoir une influence prépondérante sur toute l’industrie motocycliste de ce pays jusqu’au début des années 70.
J’ai eu la chance de rencontrer Louis Lepoix à plusieurs reprises et il m’a laissé scanner une grande partie de ses archives que je vais partager avec vous ici en plusieurs épisodes. Premier chapitre : les débuts et la sublime BMW 750 R12 carrossée de 1947.
Des Beaux Arts à Lyon aux usines Zeppelin au bord du lac de Constance
Un téléphone, un tracteur, un système d’arrosage, une tondeuse à gazon, un pistolet de peinture, un Camping-Gaz, vous avez certainement tous un jour ou l’autre utilisé un objet dont le design était dû à Louis Lucien Lepoix et comme ce styliste visionnaire était aussi un motocycliste convaincu ses créations vont, pendant près de trente ans, avoir une influence déterminante sur le style des deux-roues, en particulier en Allemagne où Lepoix s’est établi en 1945. Né en 1918 d’un père mécanicien automobile, le jeune Lepoix hérite de la passion paternelle pour les belles mécaniques. Il suit des cours de dessin aux Beaux-Arts à Lyon dès 1934 et, subjugué par l’œuvre de Raymond Loewy, le Français dont les créations ont révolutionné l’Amérique, il décide de devenir styliste industriel. Tout juste âgé de 18 ans, il fait sa première demande de brevet en 1936 pour un pare choc de voiture amortisseur en caoutchouc. Le dépôt est hélas trop cher et il ne déposera son idée qu’en 1943. Avions, voitures aérodynamiques, moteurs turbo, radar détecteur d’avion révolutionnaire, le jeune Louis exerce son crayon dans tous les genres et s’attaque à la moto en 1938-39 avec, époque oblige, une étonnante moto militaire horizontale. Il reprendra et brevettera ce projet en 1945 en rajoutant deux mitrailleuses devant le pilote couché et deux lance-fusées au-dessus. En attendant, il commence la guerre sur la ligne Maginot et la finit en dessinant des avions et des voitures camouflés pour l’armée française. L’usine est découverte par les Allemands en 1942, Louis fuit en vélo et devient maquisard. En octobre 1945, le jeune officier part en stage en Allemagne chez Dornier puis Maybach avant de rejoindre le Centre de Réparation Automobile Sud (CRAS) installé par l’armée française dans les anciennes usines Zeppelin Friedrichshafen, au bord du lac de Constance.
La moto horizontale, est-elle l’avenir de la moto et du scooter ? Elle est en tout cas très aérodynamique et pas sous motorisée. On retrouve sur ces esquisses de du side-car « AirCar » entièrement carrossé et profilé en 1942, puis de la moto horizontale conçue par Louis Lepoix en 1943-44 autour d’un moteur d’Harley-Davidson, divers éléments qui réapparaitront en 1951 sur ses motos de record pour Horex et sur le scooter Bastert.
Les premiers projets naissent au fond d’une cave
Le « stage » allemand va durer 43 ans, car, désespérant de trouver des clients intéressés par ses projets avant-gardistes en France, Louis s’installe à Friedrichshafen où il monte son premier atelier. « Si l’industrie française ne veut pas de vous, commencez donc ici » lui a conseillé le directeur technique de la société ZF qui lui loue pour 15 Reichsmarks par mois une cave plus une terrasse de 9 m2 à laquelle on n’accède que par une échelle. Sitôt dit, sitôt fait, et Louis réalise sa première œuvre, la Champion, une voiturette façon Lotus 7 animée par un moteur Hirth bicylindre de 400 cm3, avec une transmission de faucheuse et un châssis monotube. Elle pèse 350 kg et atteint 90 km/h.
Louis Lepoix crée la moto de ses rêves
Motocycliste convaincu, fervent partisan de l’aérodynamisme et sensible aux morsures du froid Louis Lepoix va réaliser la moto de ses rêves , une monture qui allie la beauté des formes à une protection la plus parfaite possible. Il achète aux enchères une ancienne BMW 750 R12 de la Wermacht qui lui semble tout à fait parfaite pour réaliser son projet d’une moto entièrement carrossée. « J’ai pu recruter trois artistes tôliers venant de la construction aéronautique des usines Zeppelin totalement bombardées » raconte-t-il « J’ai fait des dessins en perspective et par la suite quelques dessins techniques et avec mes trois compères nous avons réalisé des moules en plâtre et « tapé » la tôle d’aluminium selon la formule consacrée ». Créé sans aucune contrainte commerciale, ce chef-d’œuvre unique résume à lui seul toute la philosophie et les principes auxquels le designer restera fidèle sa vie durant. Un design « humain » avec une parfaite adaptation des formes à la fonction.
De Simca à Bugatti
Après l’habillage si réussi de sa BMW R12 en 1947, Louis Lepoix réalise un coupé sport sur la base d’une Simca décrépite et ces deux réalisations vont lui servir de référence pour lancer en 1950 sa société « Form und Technic » avec le succès colossal sur lequel nous allons revenir dans les prochains articles. Je ne vous parlerais pas ici des automobiles, mais il faut quand même citer au passage sa première grande réussite, la Bugatti 101, dernière du nom (aujourd’hui exposée au musée Schlumpf à Mulhouse) et son dernier et plus populaire succès, la Simca 1000 de 1958 dont la version finale compilera les idées de ses dessins avec ceux réalisés en interne et ceux de Revelli de Beaumont (le styliste de l’Aermacchi Chimera).
Malgré une allergie pour les motos voulant se déguiser en bagnole, car il y a toujours un bout de tôle entre la mécanique et toi, les exercices de Lepoix et de Talon ont toujours été intéressants. Il n’ont pas eu de chance car la production des motos avait commencé à se casser la gueule très rapidement bouffée par les voitures bon marché et les familles nombreuses du baby boom, il ne faut pas l’oublier. J’ attend la suite!
Merci François-Marie pour cet article (le premier, on attend les autres).
Lepoix mérite en effet d’être mieux connu chez nous !
Ton article a le mérite de mettre la lumière sur un styliste français réllement d’avant-garde comme en témoigne sa BMW, prélude à la Honda Pacific Coast comme tu le mentionnes. Il s’inscrit dans la lignée de grands créateurs français qui ont touché à tout avec succès, tels les Roger Tallon – Taon Derny, téléviseurs, le TGV … – et Raymond Loewy qui fit une remarquable carrière aux USA – Coca-Cola, paquet de cigarettes Lucky Strike, Studebaker Avanti … J’ai hâte de lire la suite !