Au cours de la longue histoire de la moto, bien peu de grands designers ont réussi l’exploit d’associer des lignes de rêves à une vraie fonctionnalité et ces rarissimes réalisations sont, sauf exception, restées à l’état de prototype. C’est le cas de cette fantastique Major créée en 1947 par l’ingénieur piémontais Salvatore Maiorca, élue « Best of Show » au concours de la villa d’Este en 2018 et présentée du 29 novembre 2019 au 30 mars 2020 au musée national de la voiture à Compiègne dans le cadre de l’exposition « Concept-car. Beauté Pure ».
Par François-Marie Dumas – Photos Giorgio Sarti, François-Marie Dumas et archives
Fantastique, surréaliste, futuriste et pourtant si contemporaine de son époque, la Major est beaucoup plus qu’un extraordinaire exercice de style autour d’une recherche aérodynamique. Son élaboration on s’en doute très couteuse, fut financée dans l’immédiat après-guerre par Aeritalia à Turin, une filiale de Fiat qui mit à la disposition de Salvatore Maiorca ses moyens industriels. Le géant automobile italien s’intéressait ainsi pour la seconde fois au deux-roues motorisé. La première expérience ayant été un scooter conçu en 1938 et fort semblable au prototype construit par Piaggio en 1945, le Paperino.
La Major va encore plus loin dans ses recherches stylistiques et techniques que les autres grandes novatrices présentées ci-dessous : En France, la Majestic de 1930, en Italie, la Miller Balsamo de 1939 et, en Allemagne, la Killinger & Freund de 1938 et la BMW R47 carrossée par Louis Lepoix en 1947.
La Major est l’œuvre d’un ingénieur piémontais déjà célèbre dans le domaine des transports : Salvatore Maiorca qui, fort de ses précédentes réalisations, réussit à convaincre Aeritalia de financer ses prototypes. Son objectif est aussi simple qu’ambitieux : créer une moto d’avant-garde tant par son style que par ses concepts mécaniques. Le résultat sera à la hauteur de ces ambitions.
Le plus extraordinaire, est que, plus de 70 ans plus tard, l’esthétique de la Major est toujours aussi révolutionnaire. Datée, mais à peine. Aérodynamique en diable, céphalopodique ! écrit plutôt justement un site anglais, sculpturale, et fourmillant de détails superbes comme les silencieux dont les queues de poisson horizontales exacerbent encore le dynamisme des lignes. Et quel drapé ! La carrosserie en tôle d’acier englobe totalement la moto ne laissant dépasser que les roues, le phare et le guidon. Pureté absolue du trait ; une seule ligne court de la pointe du phare au moyeu de roue arrière tandis que la coque avant en courbes douces et savantes entoure la roue puis s’évase vers l’arrière pour protéger le pilote.
Bravo l’artiste, c’est superbe et l’exercice, on l’a déjà dit, ne se limite pas au style. La sublime carrosserie est également conçue comme une coque autoporteuse (comme la première Honda NR 500 de 1979 !) et si elle entoure d’aussi près les roues avant et arrière c’est que les suspensions ne sont pas, comme d’usage, entre les roues et le châssis, mais entre les jantes et leurs moyeux ! Maiorca a en effet réinventé le très ancien principe de la roue élastique chère à Félix Millet comme à Boris Vian qui brevetèrent chacun la leur.
— La roue élastique, une très vieille idée —
Vieille comme la moto puisqu’elle apparaît pour la première fois sur un tricycle Felix Millet en 1887, la roue élastique restera longtemps le rêve des ingénieurs tout du moins pour la roue arrière où l’on verra quelques moyeux suspendus incongrus, le plus connu étant le Triumph du début des années cinquante. C’est, pense-t-on alors, la suspension idéale qui permet de conserver un cadre rigide et de réduire les masses non suspendues. Simple dans son principe, la roue élastique Major est en trois parties. Deux flasques en alliage léger fixées au moyeu pincent un disque central en pétale entre six paires de cylindres caoutchouc de 50 mm et deux flasques latéraux de plus grand diamètre boulonnées sur la jante pincent à leur tour le disque central par l’intermédiaire de six autres paires de tampons. Ce dispositif permet, dit le constructeur, de conserver une grande rigidité latérale tout en laissant un mouvement amorti de la jante de plus ou moins cinq centimètres par la déformation en flexion des tampons. « Débattement de la jante, 50 mm sans déformation transversale » dit le journaliste-testeur de l’époque « et une tenue de route exemplaire comparable aux BMW ».
Maiorca assure même que des essais au banc équivalents à 40 000 kilomètres ont été réalisés avec une usure minime des éléments caoutchouc, chacun d’entre eux, soit 24 au total, ne subissant qu’un faible effort.
Sur le projet de bicylindre, la roue élastique, est plus rudimentaire, avec toujours un disque central qui s’appuie cette fois sur un petit pneu interne, des flasques latérales assurant la rigidité. On a en fait, deux roues concentriques un peu comme dans le brevet de Boris Vian, le petit pneu central faisant office d’amortisseur.
Le moteur maison est développé avec la collaboration de l’ingénieur Angelo Blatto déjà célèbre pour ses réalisations dans les années 20 et 30 chez Aquila, Augusta, OMB et bien sûr, Ladetto & Blatto. C’est un bloc quatre temps culbuté très inspiré par l’aéronautique avec un cylindre en acier tourné et une culasse alu. Un ventilateur en bout de vilebrequin assure le refroidissement par air forcé. Ce vilebrequin en long entraîne une boite à quatre vitesses commandées par sélecteur et la transmission par arbre comporte un joint de cardan en sortie de boîte. La pédale de kick est amovible comme sur les premières Honda 1000 Gold Wing de 1975.
Avant cette 350 monocylindre, Salvatore Maiorca avait étudié une version à bicylindre vertical disposé en long et à refroidissement liquide avec deux grands radiateurs dans le carénage avec des grilles d’entrée d’air sur l’avant. Pas de joint de cardan, cette fois, mais un simple flector. Pas non plus de sélecteur au pied, mais un levier au réservoir. Une seule biellette commande la direction et le guidon est totalement à l’air libre. Bien plus élégante, la 350 ne conservera la double queue de poisson de la bicylindre que pour l’esthétique, car son unique silencieux sort discrètement du côté gauche !
Dans l’optimisme béat de l’après-guerre, les Italiens en oublient même le coût prohibitif d’une telle réalisation. Une société est créée à Milan le 15 janvier 1948 pour commercialiser la Major, ou pour le moins ses roues suspendues, et la SARE (Società Applicazioni Gomme Elastiche) et la SAGA (Società Applicazioni Gomme Antivibranti) construisent une usine de production en collaboration avec Pirelli. Pirelli qui expose d’ailleurs la Major sur son stand au salon de Milan 1948. Hélas, le rêve était trop beau pour être vrai. La Major restera unique.
— Fiche technique Major 350 monocylindre 1947 —
Moteur monocylindre vertical 4 temps à vilebrequin longitudinal – Cylindre en acier tourné, culasse aluminium, soupapes culbutées – Refroidissement par air forcé – 349,3 cm3 (76 x 77 mm) – 14 ch/5.200 tr/min – Carburateur Dell’Orto – Graissage par circulation d’huile et double pompe – Allumage batterie-bobine
Transmissions : Embrayage multidisque à sec – Boîte 4 rapports par sélecteur au pied – Transmission par arbre et couple conique
Partie cycle : Carrosserie autoporteuse en tôle d’acier emboutie – Moyeu à rotule et direction commandée par biellettes – Roues élastiques de 19“ intégrant une suspension à 24 blocs caoutchouc déformables
Dimensions et performances : 150 kg en ordre de marche (moteur 43 kg) – Réservoir 13 litres – 105 km/h
… et la moto dans cette version finalisée en 350 cm3 monocylindre a été présentée en 1947.
Pourquoi 1947 ? Les brevets ont été déposé par Salvatore Maiorca 6, via Niapone à Turin en Italie le 12 décembre 1945 et en Angleterre et France les 3 et 7 décembre 1946. Le dessin du catalogue de 1948 supra reprend ceux desdits brevets.
toujours un coup d’avance !!!
j’ai hâta de la voir en vrai …
RDV a Vincennes
Alain
Boris Vian avait beaucoup d’idées, et j’ai toujours adoré le système de son ascenseur basé
sur l’élasticité des câbles: il fallait très vite sortir au rez de chaussée car c’est l’élasticité des
câbles qui le faisait remonter, et le poids des passagers qui le faisait descendre…
Pour la Major, c’est un bel exercice de style comme la Majestic ou la New motorcycle, mais
les solutions employées étaient bien trop coûteuses tout en apportant pas grand chose.
Les roues sur silents blocs devaient donner une sensation de roues à plat, tout en n’ayant pas suffisamment de débattement pour apporter le moindre confort. Tout est sur le dessin, pas grand chose pour le côté pratique. Elle me rappelle le résultat des élucubrations du genre:
« Dessinez la moto de l’an 2000 » en 1935. Ces motos là on effectivement plus leur place dans un musée que sur la route..
Merci pour cet historique Pier, la Major appartient maintenant au musée d’Hockenheim qu’il faut remercier au passage d’exposer si souvent ses motos dans les différents salons.
La Major a été donné comme cadeau au Museo dell’automobile di Torino comme tous les motos du Museo, en suite le Museo dans les années 80 a vendu tous les motos compris la Major a un collectionneur de Turin Bruno Valgrande , après sa mort son fils a vendu beaucoups des motos compris la Major (dommage)
amicalement
Pier
Originales et superbes lignes pour cet « ancêtre »
Merci François-Marie !