Grand espoir au salon de Paris en 1947 : la moto française renaît avec deux nouveautés extraordinaires : la 500 Sublime vertical twin et la 350 Motobécane V4C bicylindre en V. Motobécane va-t-il retrouver sa place et la France va-t-elle redevenir un producteur de belles motos sportives ?
Texte et photos François-Marie Dumas et archives moto-collection.org
Pas facile de reprendre une production à partir de rien ! Les Allemands qui ont occupé l’usine pendant la guerre ont emporté les machines-outils et le manque de matières premières se fait cruellement sentir. Les gros monocylindres d’avant-guerre remis en production font illusion dans les premières courses et quelques-uns équipent l’administration, mais il faut du neuf, car le premier et fort maigre salon de 1946 s’est contenté de promesses. 1947 est en fait le premier vrai Salon de l’après-guerre. L’ingénieur Éric Jaulmes, qui va devenir responsable technique de Motobécane en 1946, a débuté l’étude de la V4C dés 1945 et les premiers moteurs tournent au banc l’année suivante. La première machine, finie en dernière minute comme il se doit, sera la vedette de ce salon de Paris 1947. Encensée par la majorité, mais plutôt critiquée par une certaine presse, d’ailleurs survivante, qui écrit que Motobécane ferait mieux de rénover ses gros monocylindres d’avant-guerre (ce qui sera d’ailleurs fait un peu plus tard) et de travailler à la commercialisation de la 125 culbutée Z46 MobyClub qui, annoncée en 1946 n’arrivera au compte-gouttes qu’à la fin de 1947.
Toujours est-il que la V4C attire tous les visiteurs de ce deuxième salon de l’après-guerre en octobre 1947 qui se tient exceptionnellement dans les sous-sols du Grand Palais. Enfin, l’une des plus grandes marques françaises repart de zéro en présentant une machine performante et moderne dont les lignes générales et l’ensemble mécanique en particulier se distinguent par une remarquable sobriété des lignes sans aucune excroissance. Contrairement aux usages de la firme, la bicylindre est présentée sous le même nom de code, V4C, pour les deux marques jumelles Motobécane et Motoconfort, mais, comme si la décision de la montrer avait été prise en dernière minute, les V4C n’apparaissent même pas au « Prospectus du Salon « . Elles y sont pourtant bel et bien, en beige et marron façon 125 Z46C et sous l’appellation SuperClub chez Mototobécane et en vert baptisée SportClub chez Motoconfort. Curieusement, la presse spécialisée de l’époque fera une totale impasse sur la Motoconfort, pourtant plus gaie, et ne parlera que de la Motobécane. Ces modèles du salon ne sont équipés que d’un seul carburateur inversé, mais les deux pages ronéotées distribuées sur le stand annoncent cependant que deux carburateurs seront disponibles en option. Aux dires d’Éric Jaulmes, qui avait coutume d’essayer lui-même ses projets lors de longues randonnées vers les Alpes, cette version bicarbu était notablement plus amusante, mais ses performances effrayaient la direction et d’autre part la monocarbu répondait bien mieux au cahier des charges des administrations. « Lors des essais la V4C, annoncée pour 120 km/h en production, atteignit 155 km/h de moyenne au tour à Montlhéry alors que la N4C étudiée quatre ans plus tard, en 1951, ne tournera qu’à 110 de moyenne » nous confiait Éric Jaulmes lors d’une interview au début des années 70. Quatre V4C complètes sont construites, plus quelques moteurs et de nombreux essais sont effectués dont un Paris-Nice plein gaz aller et retour effectué par le coureur Patuelli devenu essayeur maison.
« La V4C bénéficie de l’expérience acquise par Motobécane avec ses modèles Armée » annonce le descriptif de l’époque rédigé par Éric Jaulmes qui justifie ainsi l’allumage par volant magnétique et le carter de chaîne étanche et oublie de dire que seule une poignée de 500 Superculasse ont été réalisées pour essai par les armées française et espagnole et qu’aucune ne passera commande !
La puissance modeste est volontairement limitée à 17 chevaux (comme la 350 mono) obtenus à 6 500 tr/min, mais son faible poids à sec (130 à 135 kg) lui confère une excellente vivacité. Sans citer en détail ce texte dithyrambique où Motobécane explique en 1947 les raisons de ses choix, reconnaissons que la V4C est d’un grand modernisme. Comparé à un deux cylindres parallèles, un bicylindre en V permet, dit l’ingénieur maison, des alésages plus grands et donc des conduits et des soupapes de plus grands diamètres. Il n’y a qu’un seul arbre surélevé à quatre cames pour les deux cylindres et les soupapes, commandées par tiges et culbuteurs en alliage léger au centre du V sont rappelées par des ressorts en épingle. L’ensemble est totalement enclos et ainsi correctement lubrifié avec un reniflard efficace pour éviter les surpressions et les fuites d’huile (mais sans qu’on sache s’il s’agit d’un simple barbotage comme sur les autres productions de la marque ou d’un vrai graissage sous pression).
Sportive, mais trop chère
La volonté de monter les deux cylindres dans le même axe a nécessité l’emploi d’un embiellage plus complexe et cher qu’avec deux bielles côte-à-côte montées sur aiguilles encagées. Pour pouvoir s’articuler sur un maneton unique, l’une des bielles est en fourche ce qui permet d’utiliser un vilebrequin très court, rigide et léger. D’autre part l’usage d’un voire de deux carburateurs inversés était cité comme solution miracle pour une grande souplesse alliée à des performances remarquables. Quoiqu’on en dise sur son descriptif, la V4C n’est visiblement pas construite à l’économie et c’est bien ce qui lui vaudra sa perte. La transmission primaire s’effectue par pignons à taille hélicoïdale et l’embrayage totalement séparé à l’intérieur des carters est multidisque à sec.
Malgré de nombreux emprunts de pièces aux modèles existants ou en cours d’élaboration, en particulier la 175 culbutée qui prête entre autres ses pistons, la V4C reste trop chère ce qui n’est nullement du goût de la direction qui la trouve aussi trop sportive et entend se concentrer sur ses modèles économiques en construction. Toutes les capacités de production de l’usine sont absorbées par la D45 puis les 125 et 175 culbutées, puis enfin, la Mobylette dont le colossal succès va mettre un point final à l’étude. « Motobécane poursuit la mise au point de sa 350 bicylindre » lit-on encore dans le numéro d’avril 1948 de « Motocycles« , et une version 500 cm3 est même déjà prévue sur plans, mais la partie est jouée. On lui préférera une mise à jour de la Superculasse 350 qui apparaît en 1948 avec d’ailleurs la fourche et la suspension arrière coulissante étudiées pour la V4C. Très curieusement Motobécane après avoir abandonné ce très moderne projet réalisera dés 1948 une 250 cm3 bicylindre en ligne, la L3C dont la conception préfigure la 350 L4C étudiée à partir de 1951 et commercialisée en 1954. Mais ceci est une autre histoire sur laquelle je reviendrai.
Les seules V4C survivantes sont le prototype de SuperClub bicarbu qui servit aux essais, conservé par la famille de son concepteur Éric Jaulmes, et une version reconstituée par Maurice Chapleur et actuellement exposée au musée de la marque à Saint-Quentin. Une fort belle machine dont le moteur est dit-on totalement vide et qui résume un peu l’histoire de ce beau prototype en arborant le logo et les couleurs de Motobécane, mais l’appellation « Sport Club » de Motoconfort sur son carter moteur gauche !
Fiche technique Motobécane 350 V4C 1947
Moteur quatre temps bicylindre en V à 45° à cylindres et culasses en alliage léger- 348 cm3 (60 x 61,8 mm) – Soupapes encloses et culbutées avec ressorts en épingle – 17 ch/6 500 tr/min– Mono ou bicarburateur – Allumage par volant magnétique – Boîte intégrée 4 rapports par sélecteur à droite – Embrayage multidisque à sec – Transmissions primaire par engrenages à taille oblique, secondaire par chaîne sous carter intégral – Cadre simple berceau tubulaire dédoublé sous le moteur – Fourche télescopique à bain d’huile, débattement 160 mm – Suspension arrière coulissante, débattement 65 mm – Roues à broche interchangeables – Freins à tambour Ø 170x 30 mm – Pneus 19″ – 135 kg – 135 km/h
Vite dit ! C’est oublier que Motobécane qui, en agissant pour ses intérêts et non pas par passion, a abandonné le projet V4C et quelques autres mais il est devenu jusque dans les années 80 le plus gros constructeur mondial de deux roues motorisés avec la Mobylette. L’usine MBK (sous contrôle de Yamaha) reste d’ailleurs l’un des plus gros constructeurs européen de motos. Le reste de notre industrie ne se porte d’ailleurs pas si mal … mais dans d’autres domaines que la moto.
superbe machine. Dommage que la France n’ai pas pu conservé ses constructeurs de motos, sabordés par nos taxes, cotisations et impôts divers. ‘Allemagne à gardé quelques constructeurs, les USA, le Japon et quelques autres pays continuent à fabriquer de superbes machines qu’ils vendent en France. Dans tous les domaines, toute l’industrie Française suit le même chemin d’un sabordage habituel. Dans quelques années, ils nous restera que des musées traitant du souvenir de nos industrie. Notre fleuron continu à disparaitre dans un non-sens collectif et aucuns de nos gouvernements successifs ne bougent, ils ont tous trop peur de perdre leur train de vie princier en gardant le même taux de taxation qui étouffe toutes nos entreprises. La France s’isole de plus en plus, nous sommes devenus dépendant dans bien des domaines et ce n’est certainement pas fini. Heureusement en France il nous reste le tourisme qui est de plus en plus lui aussi exploité par des entreprises étrangères basées hors de France pour minimiser leurs impôts et taxes. C’est d’ailleurs ce que font Renaut, Peugeot et bien d’autres constructeurs automobiles. Tout cela est ubuesque..
Un belle pétoire, mais je ne sais pas si elle avait son marché. La L4C après avoir essuyé les plâtres ne s’est pas très bien vendue . Le v twin Hedlünd de mon pote suedois a une admission vilaine comme ça…mais avec un carbu de bagnole américaine, ça tire quand même les 100 bourrins à très bas régime. Par contre, ça ne laisse pas beaucoup de place au réservoir.
Cette motobec est un peu l’exemple qui sera récurrent de la moto française. En effet ce sera la même chose pour la 350 3 cylindres 2 temps (avec d’autres raisons), et pour la Voxan, qui avait beaucoup d’atouts.
Websix
Felicitation François-Marie !
Encore un bel article sur cette occasion manquée.
J’ai ajouté quelques plans sur le site FaceBook du Motobécane Club de France. Tu peux biensur les utiliser.
Amicalement
Patrick
Ah, j’aime toujours bien les commentaires éclairés de François-Arsène ! Merci
Jolie moto … mais un haut moteur particulièrement mal foutu : des pipes d’admission torturées, enfermées bien au chaud et on a l’impression que le bureau d’études s’est écrié « bon sang mais c’est bien sûr, on a oublié le carbu ! » alors il se sont débrouillés pour en enquiller un, bien au chaud entre les culasses.