Pierre Viura nous a quittés en cette fin octobre 2019 et je tiens à lui rendre un dernier hommage en republiant ici le long interview qu’il m’avait accordé pour mon livre sur les frères Nougier et leurs motos.
Pierre Viura est vice-champion de France Inter en 1965 sur sa Honda, puis trois fois champion de France Inter en 1967, 70 et 71, la première fois sur Honda 125 CR93 puis sur la 125 Maico RS d’usine préparée par Jean Nougier. Les relations entre “les Viura” et “les Nougier” sont d’ailleurs une longue histoire de famille. Jean Viura, le père de Pierre, était déjà l’adversaire éternel d’Henri Nougier au début des années trente, mais sur la piste seulement, car les deux hommes étaient amis dans la vie.
Pierre Viura raconte
« Je suis né en 1931 et j’ai fait ma première course en 1951 sur un 100 Monet-Goyon à moteur Villiers alors chronométré à 103 km/h. Au début je montais un peu ce qu’on me prêtait, n’importe quoi. En tout, j’ai piloté 19 marques de motos… Je suis arrivé chez Nougier en 1964. Je venais juste d’acheter le 125 Honda CR 93 . “Tu as acheté le Honda ? ”, me dit Jean Nougier ,“Tu peux pas me l’amener ?…”. Une heure après, il était tout démonté ! Comme Jacky Onda ne voulait plus piloter le 50 double arbre, j’ai fait les essais avec ce 50 Nougier. J’avais de fait un gabarit plus adapté au 50 que le sien avec mon 1 m 60 et, à l’époque, 55 kg ».
« Je n’avais jamais piloté un 50. Aux essais, je les voyais tous en dérapage… Où tu es ! C’est quoi cette galère !… Il faut tout prendre en dérapage avec le 50 pour que passent les chevaux pour pouvoir sortir du virage. Ça a été ma première course en 50. Il marchait vraiment très, très bien, mais il lui manquait quand même un peu de chevaux et environ 10 km/h. Nous l’avons chronométré à 122 km/h à Aureille, ce n’était pas assez face au Derbi qui faisait au moins 140. À Avignon on était tous derrière ! Nougier est ensuite passé au deux-temps et j’ai piloté le Nougier-Guazzoni en 1967 puis, en 1969, la version à cylindres Maico qui allait vraiment fort bien qu’un peu fragile. À Pau j’avais cassé aux essais. On a changé le piston en 10 minutes, on a enlevé l’essence et retourné le moteur pour enlever la limaille et l’après-midi j’ai fait second ! »
« En 125 c’étaient mes motos à moi. Le Honda CR 93 puis des Maico avec qui j’étais sous contrat. J’avais les versions d’usine à refroidissement liquide… enfin peut-être pas les mêmes que celles que l’usine confiait à ses pilotes allemands et qu’on m’a prêtée à une occasion. N’empêche qu’aux Coupes de Paris à Montlhéry en 1969, Daniel Crivello sur sa Maico privée préparée par Jean Nougier me doublait dans le bout droit et à la ferme je suis passé dans l’herbe pour le sauter ! Jean Auréal a remporté la course sur sa Yamaha, Daniel Crivello a terminé second et moi troisième.
« J’ai aussi couru pour Nougier en 250 sur la double arbre bicylindre et sur le bicylindre deux temps à Clermont et à Cannes, deux ou trois fois… En 1962, comme Jean Nougier parlait d’arrêter la compétition, j’ai d’ailleurs envisagé de lui acheter soit sa 250 bicylindre double arbre soit l’ultime évolution de la 175 bloc moteur portée à 250 cm3 que j’avais essayée, mais j’ai été alors engagé sous les couleurs officielles de Maico et j’ai abandonné cette idée ».
« C’était un plaisir de travailler avec Jean et je n’ai jamais eu à me plaindre. Jamais une remarque, rien, il écoutait superbement tout ce que je disais et il faisait en fonction. Il n’y a en fait qu’avec la 250 bicylindre que nous avons eu des problèmes. Mickey Schaad l’a pilotée et il disait la même chose que moi, elle se déréglait régulièrement sans qu’on trouve ce qui n’allait pas. Ça venait de l’allumage. Pour l’anecdote, c’est aussi à Jean que je dois les couleurs que j’ai toujours portées en course sur mes carénages et sur mon casque, le “bleu Delphinium” une teinte piochée dans l’échantillonnage des DS Citroën, bien sûr. On était tellement habitué à me voir avec ces couleurs qu’on m’appelait Delphinium ! »
Le 28 mai 1972 à Bourg-en-Bresse, Pierre Viura sur la 250 Nougier deux-temps, qui effectue sa première sortie, termine 9e derrière Pfirter (Yamaha), Roca (MZ), Appietto, Chevalllier et Marsowsky (Yamaha), Rougerie (Aermacchi) et Pini (Yamaha) et devant Bourgeois. « Ça a été ma dernière course sur Nougier, après c’est André Kaci qui a repris la 250, mais j’avais gardé la machine un certain temps et un ami me propose un jour de m’acheter le frein pour sa BMW. Je demande à Jean : “Pourquoi pas” me dit-il, mais il était quand même plutôt fâché ou surtout vexé que je ne veuille plus courir. C’est comme ça que la 250 s’est finalement retrouvée avec un frein avant à disque de Honda. »
« Cette année-là j’ai encore été champion de France en 125 avec la Maico, mais ils ont ensuite arrêté mon contrat et j’en avais marre. J’ai donc arrêté la compétition en 1973 à 43 ans. Il faut dire qu’en dehors des courses je ramassais les photos et le hors-sac pour le Provençal. Avignon, Arles, Marseille, etc… Je faisais jusqu’à 17 000 km en moto certains mois (en m’arrêtant quand même à chaque passage au garage Nougier !) et ça depuis des années. Les jours de fête, Noël, je travaillais tout le temps et le vendredi il fallait charger tout seul les motos… Heureusement, Jacky Bœuf me remplaçait de temps en temps quand j’allais courir ».
« J’avais commencé mes tournées avec une Triumph T110, la “pisseuse d’huile”, puis ça a été une 650 Matchless avec un carénage Avon qui a tenu 100 000 km. Après je suis allé chez BMW, mais en général au bout de 25 000 elles étaient cuites encore qu’avec une d’elles j’ai fait 530 000 km, juste en refaisant l’embiellage à 360 000, et elle tourne toujours !
Pendant toute ma carrière sur deux roues j’ai eu quelques accidents et 27 fractures en tout dont deux en jouant au ballon. Le reste c’est la moto, mais jamais en course où je ne suis ne suis tombé que 5 ou 6 fois, pas plus. Une fois au Mans à 150 km/h, mais le lendemain je courrais, et puis à Montlhéry, à Cannes avec la 250 et au Ventoux où on m’avait prêté une moto où le bouchon d’huile n’était pas serré. Tout est parti sur le pneu avant au freinage ! À mon dernier accident sur route en 1992 et à cinq minutes de chez moi, j’ai eu 17 factures, dont 14 aux côtes et 17 jours de coma… ça ne m’empêche pas de continuer à faire de la moto tous les jours »… me dit-il, en enfourchant sa 1000 Yamaha !
(Interview par François-Marie Dumas recueillie en 2013 à Saint Andiol).
J’ai apprécié cet article car j’ai bien connu Pierre VIURA en 1971 il m’a fait un cadeau pour mon mariage. Dans ces années 70 je lui ai acheté une 450 Honda. Lors de l’achat de ma première BMW le lundi je profité de sa tournée pour le provençal pour me faire rentré chez Gouirand a Marseille qui normalement était fermé ce jour là .
Encore merci pour cet article qui retrace sa carrière
Merci pour ce bel hommage