À Nurmberg aussi, il suffit de traverser la rue pour trouver du travail. Pour preuve, la centaine de motos construites d’un bout à l’autre dans cette ville par les frères Küchen
Anticonformiste, novateur et éclectique, Richard Küchen fait partie de la dizaine d’hommes qui ont bouleversé l’histoire mondiale de la moto. Ce brillant ingénieur, né en 1898 à Bielefeld, va concevoir moteurs et motos pour plus de douze marques allemandes, de la fin des années 20 au milieu des années 50.
Une production d’une étonnante diversité où se retrouvent quelques-unes des machines les plus marquantes de leur temps. Richard Küchen, qui établit ses premières usines à Saverne-La-Montagne, à dix kilomètres à peine de notre frontière, eut pu être français. Doit-on le regretter, il n’est pas sûr que notre pays lui eût donné autant de possibilités de s’exprimer !
Au début des années 20, à l’époque où le deux-temps était moderne, Richard Küchen, lui, ne rêvait qu’au développement des quatre-temps. Déjà très en avance avec son simple ACT entraîné par arbre vertical, son premier modèle K se distingue par ses soupapes totalement encloses, une rareté à l’époque, qui sera l’une des caractéristiques des premiers Küchen.
Il utilise dès 1924 une commande des soupapes par cames verticales sur l’arbre et des culbuteurs puis (avant Chater Lea, qui va devenir le chantre de cette technique à partir de 1927), des cames à plateaux simples ou desmodromiques actionnant deux ou quatre soupapes. Consciencieusement, Richard Küchen teste et produit à peu près tous les types de distribution possibles sur ses moteurs monocylindres avant de se fixer (comme Bugatti) sur le trois soupapes (deux à l’admission) à simple ou double échappement, en moteur seul ou en bloc-moteur-boîte. Aux prises avec d’insurmontables problèmes de surchauffe et un allumage récalcitrant, car le multisoupapes interdit une bougie centrale, Küchen finit, comme tout le monde, par se contenter de deux soupapes par cylindre.
À la gloire des marques de Nuremberg
En 1931, Küchen s’installe à Nuremberg avec le projet de faire une gamme de quatre-temps pour Triumph Werke (TWN chez nous). Cette même année, Triumph embauche aussi Otto Reitz qui vient de NSU. Fâché, Küchen, s’en va chez Zündapp, dans la même ville, à qui il a déjà fourni des moteurs en 1930. Il y est chargé de développer une toute nouvelle gamme de motos assistée par son jeune frère Xaver, designer technique et artistique. Zündapp va ainsi devenir l’une des marques allemandes majeures en présentant au salon de Berlin 1933 huit modèles dessinés en un temps record par les frères Küchen: Une petite 175 à transmission par chaîne, la Derby puis une série complète avec cadres en tôle emboutie, moteurs aux lignes très épurées et sans aspérités, boîtes de vitesses à chaînes et transmission par arbre. La gamme se compose de deux monocylindres deux temps, les KK200 et K350, de deux flat twins quatre temps à soupapes latérales, les K400 et K500 , et deux quatre cylindres flat four quatre temps à soupapes latérales les K600 et K800 et d’un monocylindre 600 cm3 à ACT entraîné par arbre qui fut annoncé aux concessionnaires, mais ne sera jamais produit.
Le style Küchen est né et toutes ses créations se démarqueront par une grande recherche esthétique, des formes lisses et d’amples carters tant pour la beauté des formes que pour la facilité d’entretien.
Les K400 et K600 furent rapidement abandonnés, en revanche la KK200, qui avait le privilège à l’époque en Allemagne de ne pas requérir de permis et d’être exempte d’impôts, connut un grand succès et se dédoubla rapidement, avec un modèle économique à transmissions primaire et secondaire par chaînes, la DBK 200, puis un modèle encore moins cher, la DE 200 à cadre tubes et enfin la DB 200 qui resta en production jusqu’à la guerre.
La boîte à chaîne : une obsession
La réalisation de boîtes de vitesses a toujours été le cauchemar des constructeurs. La fabrication des engrenages est fort coûteuse et demande un outillage très long à amortir. C’est la raison pour laquelle les boîtes de vitesse séparées, fabriquées par des constructeurs spécialisés, ont eu si longtemps autant de succès. L’autre solution, adoptée par les grands constructeurs, est de rentabiliser les composants d’une boîte de vitesses en les utilisant sur plusieurs modèles. Toujours aussi peu soucieux des usages, Richard Küchen fit souvent un autre choix : les boîtes de vitesses à chaînes. Sans doute moins rapides que les boîtes à engrenages conventionnelles et demandant un peu plus d’entretien, elles avaient l’avantage extraordinaire d’être moins chères à réaliser et, surtout, de permettre une beaucoup plus grande flexibilité d’adaptation sur chaque modèle. Sur toute la gamme présentée en 1933, Zündapp vantait également la souplesse de transmission de ses boîtes de vitesses à chaînes duplex multiples en rajoutant que l’arbre de transmission faisant également office d’amortisseur pouvait encaisser jusqu’à 10° de torsion. Une autre particularité de ces moteurs Zündapp : leurs vilebrequins forgés d’une seule pièce avec des bielles à chapeaux montées sur aiguilles encagées (comme Moto Guzzi).
Le deux-temps de la discorde
Les vieux monocylindres deux-temps avec pistons à déflecteur Zündapp devenant obsolètes, la marque demande à Küchen de lui développer un deux-temps apte à concurrencer les meilleurs, à savoir, les moteurs à piston plat et balayage Schnürle dont les brevets sont détenus par DKW. Küchen tentera sans succès de contourner ces brevets en inventant un balayage à trois transferts (2 seulement pour DKW) dans lequel les flux d’admission passent par un transfert dédoublé à l’arrière du cylindre améliorant ainsi le balayage et donc les performances.
Son moteur sera mis en production puis arrêté, car il entrait quand même en conflit avec les brevets DKW. Chez Zündapp, Richard Küchen reprend également une vieille idée déjà brevetée en 1899 par Joseph Magnat et Louis Debon , avec un très curieux moteur 250 cm3 dit « Gegenlaufer« . Ce flat twin possède quatre pistons opposés par paires et commandés par un invraisemblable système de biellettes à partir d’un seul vilebrequin logé en dessous. Il ne sera jamais produit… et Küchen, un tantinet irascible, semble-t-il, claque la porte de Zündapp pour justement, aller passer deux ans chez DKW, de 1934 à 36. Il y développera ses idées sur le balayage des deux-temps et sera, on suppose, à l’origine du « Gegenlaufer » de DKW conçu sur le même principe de quatre pistons opposés par paires et deux cylindres, mais avec cette fois un vilebrequin séparé de chaque côté du flat four.
Les si belles Ardie de 1935
À Nuremberg aussi, il suffit de traverser la rue pour trouver du travail ! Avant même d’avoir épuisé toutes les possibilités de Zündapp, les frères Küchen qui mangent à tous les râteliers passent chez Ardie dans la même ville de Nuremberg et vendent à la marque pour 1936 une impressionnante série de projets de moteurs aussi beaux qu’efficaces composée de cinq quatre temps de 250 à 750 cm3 à arbre à cames surélevé et soupapes latérales, culbutées ou arbre à cames en tête entraîné par arbre et couples coniques. et d’un plus modeste deux temps. Tous seront produits sauf, malheureusement le très élégant 750 V twin culbuté face à la route associé à une transmission par arbre et bien sûr la boîte à chaînes si chère à Küchen. Il eut été la première moto moderne du genre 32 ans avant la Moto Guzzi 700 V7. La crise puis la guerre vont en décider autrement, mais Kûchen ne se décourage pas et réutilise le même dessin à échelle réduite pour sa Victoria 350 Bergmeister de l’immédiat après guerre. Il développe également chez Victoria quelques petits deux-temps de 50 cm3.
Un ingénieur visionnaire
Difficile de suivre Richard Küchen dans sa carrière météorique et mouvementée. Après avoir lancé ses projets chez Ardie, il « retraverse la rue », fin 1936, et passe chez Victoria, cette fois, qui est en bien mauvaise posture. La marque vient d’arrêter à la fois les flat twin en long qu’elle construisait depuis douze ans, et l’importation des moteurs anglais Sturmey-Archer utilisés sur plusieurs modèles et ses nouvelles 500 KR8 et KR9 Fahrmeister bicylindres sont un total fiasco.
Richard Küchen développe avec Hermann Reeb, ingénieur en chef de Horex, le 350 cm3 culbuté Columbus qui sera fabriqué par Horex-Columbus-Werke et monté par Victoria sur les modèles KR 35 SN et 35 SS puis 35 KR durant la guerre. À partir de 1938, ce moteur est aussi utilisé sur la Horex SB 35 qui donnera naissance après-guerre à la très répandue Horex Regina, le best-seller de l’Allemagne des années cinquante.
Küchen retourne chez Zündapp en 1938 pour développer la KS 750 à roue du side tractée, basée sur le bébé qu’il a laissé lors de son précédent passage, la KS 600. Il réalise aussi pour l’armée, le Goliath, un petit char miniature téléguidé destiné à aller placer des explosifs. Il est successivement motorisé électriquement, puis par le bicylindre à plat de la Zündapp K500, puis par un nouveau et simpliste 700 cm3 deux temps. L’usage kamikaze de ces Goliath fait qu’il n’en survit que quelques exemplaires ! Dans le même temps Richard Küchen travaille aussi sur un 125 cm3 deux temps à double piston en prévision de l’après-guerre.
Les hostilités terminées, il crée un bureau d’études à Ingolstadt avec son frère Xaver et reprend son idée de moteur en V qu’il vend à Victoria. Ainsi naît en 1953 la très belle 350 Bergmeister qui ne sera pourtant pas un grand succès commercial. https://www.moto-collection.org/moto-collection/modele.php?idfiche=1218
Éclectique, Küchen réalise aussi bien des 50 cm3 deux temps (Express) que des flat twins quatre temps, Hoffmann Gouverneur 250 et 300 cm3 en 1953, une 250 deux temps à double piston pour FN — la 175 cm3 M22 en 1953 — des moteurs de voitures, et, en apothéose, le très chic petit bicylindre vertical quatre temps de 250 cm3 calé à 360° avec une très moderne distribution par simple ACT entraîné par chaîne qui va (brièvement) équiper la Tornax SV en Allemagne en 1954, la Motosacoche Opti en Suisse en 1955 et même, en France, un prototype de New Map. Ce sera, semble-t-il, la dernière œuvre majeure de Richard Küchen qui s’éteint à Ingolstadt le 5 octobre 1975.
Pour en savoir plus sur Richard Küchen si vous parlez allemand, rendez-vous sur le site http://www.meisterdinger.de/kon/kuechen/ qui m’a bien aidé pour cet article ou allez visiter le Musée de l’Industrie de Nuremberg.
Impressionnant quant à la technicité . Chapeau bas .
Un grand merci pour ce « léger hors sujet » que je peux confirmer en partie d’après les discussions que j’ai eues avec Dieter Herz, frère du champion Wilhelm Herz, et ancien propriétaire de la Gegenlaufer survivante.
Excellent article comme souvent, qui a pour moi le mérite de s ‘intéresser aux origines supposées de la DKW Gegenlaufer.
Pour ceux qui en doutent encore il est évident que les Russes se sont inspirés voir ont tout simplement copié les productions Allemandes, en tous cas pour ce qui concerne DKW .
J ‘ai essayé a une époque d ‘enquêter sur ce sujet et je n ‘ai glané que quelques maigres informations tant ce sujet est difficile.. Il est cependant généralement admis que lors de l ‘invasion par l ‘armée Rouge de l ‘usine DKW de Zschopau en Avril ou Mai ? 1945; le personnel de DKW avait pris soin de planquer auparavant 106 machines selon W. Kaaden dans un entrepôt situé dans la ville de Waldkirchen non loin de Zschopau.
M ‘étant rendu sur place avec un des plus anciens employés encore vivant de chez MZ (ex DKW) j ‘ai pu voir les lieux de prés et j ‘ai constaté a ma grande surprise que cet entrepôt n ‘était autre que le même entrepôt qui servira a Kaaden plus tard pour travailler le bois dans l ‘immédiat après guerre.
J ‘ignore par quel chemin cette « prise de guerre » est partie en Russie mais j ‘ai vu en contrebas de cet entrepôt des rails de chemin de fer. Cette planque ayant été dénoncée aux autorités Russes par un citoyen zélé de Waldkirchen il ne restait plus qu ‘a l ‘ acheminer en Russie..
Par la suite, au grès de mes recherches, j ‘ai notamment trouvé des véhicules automobiles de records de vitesse Russes datant de l ‘immédiat après guerre motorisés par des moteurs DKW de motos de course..
Je pense que ce n ‘est pas un hasard, pardonnez moi ce léger hors sujet.
Jacky évoque les moteurs de tracteur MAP. J’en ai vu et écouté tourner, ils ont une bonne capacité à accélérer et leur bruit est intéressant. Si je ne m’abuse, l’excellent mécano de Auch, l’ami Max Coueille et son frère ont installé à l’époque quelques MAP Diesel dans des Citroën 15 en remplacement du 6 cylindres
Tant que nous sommes dans les pistons opposés, j’ai vu des moteurs CLM fixes (compagnie Lilloise de moteurs qui deviendra Indénor)
réparés chez Boutet à Limoges dans les années 80:
http://www.cfchanteraines.fr/lvdc/lvdc0077/carnet05_04.gif
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué et très volumineux, les machins faisaient une hauteur imposante. Ils entraînaient des presses à caoutchouc chez Watelez.
L’intérêt comme sur les tracteurs MAP (manufacture d’armes de Paris) devait être leur absence de vibrations.
Quant au moteur russe j’avais vu ça dans un vieux Moto revue des années 50…et ils ne s’étaient donc pas creusé le ciboulot pour cette invention réalisée…par les allemands!
Merci pour le compliment. Il y a de fait deux illustrations « copiées »… sur le site que je cite au-dessous.Les dessins proviennent de documents d’époque et les photos de mes archives personnelles.
A ma connaissance JAP, n’avait que des moteurs en V et Helyett, comme Majestic les accouplait avec une boîte Bridier Charron et sa transmission par arbre. Cela dit, il y eut d’autres motos bicylindres en V face à la route avec une transmission par arbre dont MotoCardan en 1904, la première, Walter avec une 750 en 1923 et AJS avec une 500 en 1931.
Bonjour Jacky en direct de Limoges, il y a aussi eu des applications des moteurs à pistons opposés en aviation et le moteur développé par les Russes est celui de DKW, replacé en travers. Voir https://www.moto-collection.org/moto-collection/modele.php?idfiche=5901
Et le quatre cylindre à piston opposé est un bazar qui revient régulièrement.
Il y a même les Russes qui avaient essayé de faire une moto de course avec ça.
Le seul moteur (Diesel)qui a eut un bon succès avec ce principe est celui des excellents tracteurs MAP,
(qui deviendra Soméca par la suite). Le bazar en photo:
https://i.servimg.com/u/f75/11/30/62/65/map_vi11.jpg
J’étais chez l’ami Baster hier en train de contempler une Bergmeister et elle était effectivement réputée pour avoir un temps de réponse à l’accélération mais je regrette de ne pas avoir acheté celle de J M Debonneville.
concernant le bicyclindre en V, JAP en faisait également, équipant notamment la fameuse (et rare) Hélyett 750, a transmission acatène également…
comme toujours!!!!
« reportage » largement documenté, on prends toujours plaisir a parcourir
continuez, même si… quelques images sont copiées au passage (sans en faire commerce))
Très beau parcours en effet. Malgré la Bergmeister qui n’avait de Maître de la Montagne que le nom. En effet, pour sans doute sacrifier à l’esthétique -rien ne dépasse- les conduits d’admission son inclus dans les cylindres d’où parcours tarabiscoté et échauffement des gaz, bref l’inverse de ce qu’il faut. La Bergmeister ne fut pas une réussite
La boîte à chaîne offre plusieurs avantages. la pignonnerie coûte peu, il n’est pas nécessaire d’avoir des entre axes aussi précis, le carter travaille en compression au lieu d’à l’éclatement, il est donc plus robuste ou peut être plus légère. Et le rattrapage du jeu inter maillons a un rôle d’amortisseur de transmission.
Curieusement, le side-car Zûndapp KS 750 utilise une boîte classique. Et, à propos, contrairement aux apparences son moteur n’est pas un flat-twin puisque que les cylindres forment un angle de 170°
Oui, très beau parcours. La boîte à chaînes a plusieurs avantages. Elle est économique à construire : de simples pignons à chaîne peu coûteux à usiner et pas besoin d’entre axe d’une grande précision. Le carter de boîte travaille à la compression et non à l’éclatement; donc plus robuste ou plus mince à résistance égale. Et le rattrapage du jeu dans les maillons procure de la souplesse à la transmission. Curieusement, contrairement aux autres Zündapp, la boîte de vitesses du side-car militaire KS 750 sera pas à chaînes mais à pignons. Autre originalité, contrairement aux apparences le moteur du KS 750 n’est pas à proprement parler un flat-twin puisque les cylindres forment un angle de 170°
Je m’étonne qu’un esprit aussi brillant ait conçu le moteur de la Victoria Bergmeister : sans doute pour sacrifier à l’esthétique – rien ne dépasse ! – les conduits d’admission sont inclus dans les cylindres, donc leur parcours est tarabiscoté et les gaz sont copieusement réchauffés, c’est exactement l’inverse de ce qui est souhaitable. Le nom Bergmeister – Maître de la Montagne ! – était un tantinet présomptueux, le modèle ne fut pas une réussite.