Pour la cinquième année consécutive le prestigieux concours d’élégance de la Villa D’Este sur les bords du lac de Côme en Italie, ajoutait à ses mirifiques automobiles un plateau de motos d’exception. Enfin, d’exception, pas toutes, car aux côtés des trois catégories respectivement dédiées aux débuts de la moto, aux luxe des années 30 et aux expérimentations des années 50, les classes réservées aux « motos extravagantes des années 70 et aux icônes de ces mêmes années, manquaient sérieusement de panache à une ou deux motos près. Un faux pas heureusement rattrapé par une catégorie « hors concours » exceptionnelle réunissant cinq motos victorieuses à la course la plus célèbre au monde le Tourist Trophy de l’Île de Man. Visite guidée…
Photos © F-M. Dumas / www/moto-collection.org – Les liens en bleu renvoient vers les fiches traitant de la marque ou des motos concernées
Le jury avec de droite à gauche, bras levés, son inoxydable président, Carlo Perelli, directeur de Motociclismo d’epoca, Mick Duckworth pour la Grande-Bretagne, François-Marie Dumas pour la France, Paul d’Orléans pour les États-Unis et, au fond, l’acteur Orlando Bloom, invité spécial et néanmoins motocycliste patenté.
Cocorico, la catégorie « Gentlemen’s ride » des années 30 est remportée par la Motobécane 500 S5C Grand Sport à quatre soupapes d’Yves Compan, une machine exceptionnelle dont on ne connaît que deux exemplaires. Le décor est dû à Géo Ham.
Apparue sur les premières Motobécane 500 de la série B, la culasse quatre soupapes fut brièvement utilisée sur le nouveau bloc S apparu en 1934 à commencer par cette 500 S5C Grand Sport dont la boîte, encore à 3 vitesses, est commandée au pied avec un curieux tambour de sélection déporté sur l’avant du cadre.
Yves Compan félicité par Orlando Bloom dont c’était la moto favorite.
La plus ancienne et l’une des plus rares, la Puch 450 type N de 1912 apportée de Slovénie par Petia Grom. Une machine fort moderne en son temps : soupapes latérales, suspension télescopique et un système de dépliage-repliage automatique de la béquille arrière par une pédale.
Bien belle cette Harley Davidson model 10E de 1912, mais justement un poil trop sur-restaurée, ce qui l’éliminera des podiums.
Après avoir utilisé les premiers moteurs BMW flat twin à soupapes latérales sur sa KR1 en 1921 et 22, Victoria présenta en 1923 cette 500 KR2, dont le moteur maison à soupapes culbutées (une première pour la marque) était dessiné par Martin Stolle… transfuge de BMW ! Cette superbe restauration se classe derrière la Puch et monte sur la deuxième marche du podium dans sa catégorie.
Première version à soupapes culbutées également pour cette 500 Moto Guzzi CV2 de 1928 que nous présente son propriétaire Luigi Broglio. On note qu’il n’y a qu’un seul ressort en épingle par soupape et son brin supérieur passant autour de la queue de soupape, il faut un démontage complet pour changer de ressort. Pas cool ! Notez, sous le réservoir la petite sortie annexe qui permet de déposer une goutte ou deux directement dans la pipe d’admission avant le démarrage.
« So cute » disent nos amis britons devant cette ravissante 175 Bianchi sport à soupapes culbutée de 1926. La couleur est une caractéristique des modèles course de la marque.
Les plus courageux… ou plutôt ceux qui réussirent à démarrer leur engin avant que ne soit donné, trop vite, le départ eurent le plaisir de faire un petit tour jusqu’à l’expo voiture de la villa D’Este. Devant ce parterre de voitures de millionnaires, certains avaient un air un peu pincé…
Retour aux motocyclettes avec cette rare Condor suisse de 1929 animée par un 1000 cm3 MAG modifiée spécialement pour elle avec sa magnéto-dynamo derrière les cylindres. La boîte est due à Condor et le curieux petit tube chromé qu’on voit derrière le cylindre arrière est un sifflet qui marche à dépression ! Ah, ces Suisses maniaques du plus petit détail !
Juste devant la Condor, mais classée dans une autre catégorie, celle des années 30, où elle prend la deuxième marche du podium, cette rarissime Standard allemande est aussi équipe d’un 1000 cm3 MAG V-twin avec cette fois sa magnéto sur le coté droit du carter moteur. En ces temps difficile où Hitler avait interdit l’importation de motos étrangères, TWN (Triumph en Allemagne) réussit à pouvoir produire des moteurs MAG sous licence. Très internationale cette Standard a donc un moteur suisse, une fourche à l’image de celle des Vincent elle-même inspirée par Harley, une boîte Hurth allemande et un cadre copieusement renforcé copié sur les HRD britanniques.
Et bien non, cette superbe Indian Four type 436 de 1936 de la collection Battilani, ne sera pas primée. Sa catégorie étant vraiment très riche, il fallait bien faire un choix, mais elle ne démérite pas pour autant.
Pas de médaille non plus pour cet unique modèle connu (sauf erreur !) de Tornax Tornado de 789 cm3 de 1935 apporté par le Motor Sport Museum d’Hockenheim. Ce bicylindre face à la route à simple ACT excessivement moderne pour son époque apparut en 1932, quatre ans avant la Speed Twin de Triumph !). Il n’en fut produit que 5 à 6 exemplaires sous la marque Tornax et Horex produisit une cinquantaine de motos avec le même moteur dont ils extrapolèrent même une 1000 cm3 pour la course en 1935 et une 600 à compresseur en 1936.
Dans la catégorie réservée aux nouvelles expérimentations des années 50, cette Victoria 350 V35 Bergmeister ne pouvait manquer la première place, tant pour son originalité technique avec son V twin face à la route et sa boîte à chaîne si chère à son créateur Richard Küchen, que par son état remarquable et sans faux feux.
Plutôt pataude et courte sur pattes sur ses roues de 16 pouces, l’Adler M 250 ne paie pas de mine, c’était pourtant l’une des machines les plus efficaces et modernes de son temps et Yamaha ne s’y est pas trompé en la prenant pour modèle pour réaliser sa première 250 bicylindre, la YD1 de 1957. La fixation qu’on voit sur la biellette de la fourche en tôle à roue pousse de cette première version de l’Adler sert à rajouter un ressort amortisseur supplémentaire pour l’usage en side-car. Ils pensent à tout ces Allemands !
Encore une belle rareté qui n’eut pas les honneurs du podium pour cause de catégorie trop riche. Cette 350 cm3 Douglas 90-Plus de 1951 venue des Pays-Bas fut l’une des plus belles sportives britanniques pendant sa très brève carrière avant d’être détrônée par la BSA Gold Star juste un an après sa sortie. On adore au passage son superbe frein avant ventilé et le petit cornet d’entrée d’air sur le côté gauche du moteur qui permet de refroidir l’embrayage monodisque à sec.
« Experiments in the fifties » titrait la catégorie et on y est en plein avec ce Motom 98 T de 1955 qui monte du coup sur la première marche du podium dans cette classe. Et il n’y a pas que la ligne oh combien originale avec son moteur horizontal caréné façon réacteur et son faux réservoir « entre-tubes » ou son double silencieux d’échappement (un à droite, un à gauche). La technique n’est pas en reste avec des barres de torsion pour le rappel des soupapes et des blocs caoutchouc pour les suspensions oscillantes. Cerise on the cake, ce Motom ci n’est pas restauré mais comme neuf, d’origine.
Je vous en parle parce qu’elle était là, mais si originale qu’elle soit, cette Healey ne marqua pas vraiment son époque ni avec son cadre mono poutre façon Egli ni avec son moteur d’Ariel 1000 Square Four déjà fragile dans les années 50 et totalement obsolète en 1974 où les Frères Tom et George Healey commirent ce bitza à une quatorzaine d’exemplaires, ce qui d’ailleurs les ruina.
Il fallait que l’une de ces motos d’exception reçoive le titre envié de « Best of the show » ce fut la Münch-4 TTS-E de 1973. Qui mieux qu’elle pouvait d’ailleurs illustrer le thème de sa catégorie « Extravagance sur deux roues ». Sans être fanatique du style, on admire quand même la performance de Friedl Münch d’avoir réussi sans avoir les moyens d’une grande usine, à construire la moto la plus puissante de son époque. Une telle adaptation d’un moteur automobile et la réalisation de nombreuses pièces aussi complexes que la roue arrière en magnésium ou les immenses moyeux freins est tout à fait admirable.
Pour ne pas être méchant, je ne vous parlerai ni de son moteur qu’on aurait souhaité plus pêchu, ni de ses freins, ni de ses suspensions et encore moins des repose-pieds passager non suspendus montés sur le bras oscillant, mais quel style ! Il est dû au petit-fils du fondateur de la marque Willie G. Davidson qui inventa avec cette Harley Davidson XLCR le style des Café Racer modernes autour de quelques éléments aussi simples qu’un petit tête de fourche, une selle façon dirt-track et une peinture uniformément noire. Beau boulot.
La MV Agusta 750 GT fut sans doute la moins prisée des 750 MV. Pour une fois que la marque aux multiples titres mondiaux voulait s’affranchir de son image sportive, c’était raté. C’est pourtant un bel exercice de style qui lui valut une deuxième place dans sa catégorie derrière la Münch et devant la Harley Davidson XLCR.
La série réservée aux motos victorieuses au TT était heureusement « hors concours » car il y aurait eu, je crois 5 ex-aequo ! Nous eûmes même droit à une séance de chauffage de la BMW 500 à compresseur de 1937 avec laquelle Georg Meier remporta le championnat d’Europe et fut le premier pilote étranger à finir vainqueur du Senior TT sur une moto non britannique tandis que classe était présidée par la BMW S1000 RR qui remporta le TT catégorie Superbike aux mains de Michael Dunlop en 2014.
En 1954, Ray Amm remporte le TT avec cette Norton 500 Manx « Long Nose » dont les flancs du carénage recèlent des réservoir d’essence supplémentaires. Les ceusses qui ont été aux Coupes Moto Légendes de l’an dernier ont déjà eu le plaisir de découvrir cette machine apportée, comme la NSU et la Honda par le musée d’Hockenheim.
Avec son nez en bec de dauphin qui semble avoir inspiré les gros trails d’aujourd’hui, cette unique NSU 250 R22-54 bicylindre remporta le Lightweight TT en 1954 aux mains de Werner Haas, champion du monde 125 et 250 en 1953.
Dix ans plus tard, Jim Redman remportait la seconde de ses six victoires au Lightweight TT avec cette 250 Honda 2 RC 164 quatre cylindres conçue spécialement pour lui par le directeur de la compétition d’alors Michihiko Aika.
On est jamais mieux servi que par soi même et BMW, organisateur de l’évènement, en profite traditionnellement pour présenter des « concept models » sur quatre et deux roues. Deux roues, mais six cylindres avec ce projet-101 digne de figurer dans les prochains James Bond. Inspiré par le style des baggers américain, il préfigure sans aucun doute les prochaines grosses GT de la marque. Il pose ici successivement avec une remarquable 750 R16 de 1932 dans son jus d’origine et toujours vaillante et moi-même au guidon avec Stephan Schaller, le big boss de BMW Motorrad (cravate à rayures), et Edgar Heinrich, à ses côtés, qui ont l’air de bien se marrer en me voyant sur ce type d’engin qui n’est pas dans mes habitudes.
Ola Stenegärd, designer vedette de BMW responsable du projet 101, et l’exubérant et néanmoins très expert Paul d’Orléans se moquent aussi. Il est difficile de leur donner tort !
Ola Stenegärd, nous prouve guidon à l’appui qu’il n’est pas contre un petit saut dans le temps.
il semblerait donc que la tendance soit aux motos obèses et intégralement emballées. Cette évolution – pour coller au marché étasunien ? – ne me satisfait pas du tout !
Superbe reportage, merci !
C’était la belle époque de la moto, nostalgie, Louis